La France piégée dans le bourbier libyen

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L'incompréhensible stratégie diplomatique de la Macronie

par Guillaume Berlat


« De la Libye vient toujours quelque chose de nouveau » (Aristote).


La seule question est de savoir si ce sont des bons ou de mauvais vents. Or, depuis l’exécution en règle en 2011, de Mouammar Khadafi supervisée par Nicolas Sarkozy (lequel recevait encore le guide libyen en visite officielle à Paris en 2007) dans les environs de Syrte[1], rien ne va pas plus dans ce nouvel État failli ainsi que dans sa périphérie proche et lointaine. Emmanuel Macron, qui s’était fait fort de mettre un terme au duel entre les frères ennemis (Faïez Sarraj et Khalifa Haftar), récolte aujourd’hui ce qu’il avait semé hier. Notre brillant chef de l’État ignore manifestement que :


« Dans la diplomatie comme dans les travaux des champs, il y a des saisons fécondes et des saisons ingrates. Elles alternent d’ordinaire et c’est en travaillant qu’il faut se préparer au retour des temps meilleurs » (Jean Herbette, 1927).


Aujourd’hui, les critiques pleuvent de toutes parts contre la duplicité de la diplomatie française sur le dossier libyen, contre les errements de son en même temps, y compris de la part du secrétaire général de l’ONU, le portugais, Antonio Gutteres (lequel aurait piqué une sainte colère en accusant la France de « double jeu »). Petit à petit, le piège, qu’elle a minutieusement armé, semble inexorablement se refermer sur elle, s’ajoutant à la liste, déjà impressionnante de ses échecs diplomatiques et sécuritaires aux quatre coins de la planète. Comme souvent dans une démarche qui se veut objective et globale, avant de juger de la boulette du petit Pinocchio (Emmanuel Macron), revenons quelques années en arrière pour apprécier la bourde du petit Nicolas (Sarkozy). Cette affaire commence à faire désordre tant elle plante durablement plusieurs épines dans le pied de Pinocchio et de sa mauvaise troupe.


La guerre lancée en 2011 à l’initiative de Nicolas Sarkozy, sur la base de « fake news » diffusée par la chaine de télévision satellitaire qatarie Al Jazeera, démontre à la perfection que la diplomatie française est alors tombée dans le piège de l’incompétence et dans celui de la coercition.


Le piège de l’incompétence : la diplomatie romantique des philosophes


Bataille gagnée, guerre perdue. Ainsi pourrait-on résumer le bilan de l’intervention occidentale (appuyée par quelques pays arabes) à la lumière des plus récents développements en Libye et dans son voisinage ! Gagner une bataille ne signifie pas pour autant gagner la guerre, y compris en Libye. Nicolas Sarkozy, parfaitement conseillé par le philosophe-stratège BHL, avait cru qu’en faisant tomber une dictature dans un pays n’ayant pas de tradition démocratique et d’un état-nation, surgirait comme par miracle une démocratie à l’occidentale. Or, il n’en a rien été. La réalité finit toujours par s’imposer aux hommes politiques même si leur réveil prend du temps. Encore faut-il que leur démarche en revienne à un choix pertinent ! Et, ni Nicolas Sarkozy, ni son successeur, François Hollande n’ont eu le courage de le faire. Or, qu’en est-il huit ans après la chute du régime ? Les résultats actuels sont catastrophiques à maints égards. Tous les indicateurs sont au rouge qu’ils soient sécuritaires, politiques ou économiques et sociaux. L’aveuglement caractérise la démarche de nos dirigeants avant et après 2012. Ne recommandait-on pas aux diplomates à Tripoli de bannir le mot « guerre » de leur langage !


« La Libye sera un exemple de révolution réussie, de métamorphose du monde, de démocratie universelle »[2].


Bravo, l’incompétence de notre élite.


Le piège de la coercition : la diplomatie guerrière des néo-cons


Partout où les Occidentaux ont eu la prétention d’opérer militairement des « regime change », on constate la même faillite, la même montée en puissance des seigneurs de la guerre, des mafias, de l’islamisme (Irak, Afghanistan, Syrie…). Force est de constater que le rouleau compresseur de la coalition a eu raison du régime du colonel Kadhafi et de son armée dans un laps de temps relativement court. Agissant sous mandat de la Ligue des Etats arabes et de l’ONU (résolution 1973 du Conseil de sécurité du 11 mars 2011), l’opération « Unified Protector » est annoncée comme un conflit « propre », conduit uniquement depuis les airs et la mer. Elle est l’une des missions les plus courtes de l’OTAN mais aussi l’une des moins controversées. Après 204 jours, le régime du colonel Kadhafi chute et de nombreuses vies humaines sont épargnées. Or, nos élites sont frappées d’une pathologie courante par les temps qui courent, la myopie. Elle touche près de 30% de la population mondiale. Elle se concrétise par une difficulté à voir loin. Le contraire de ce que l’on est en droit d’attendre des hommes d’État, le fameux gouverner, c’est prévoir perdu de vue par les adeptes de la démagogie et du court-termisme ambiant. Ce que l’on qualifie de clairvoyance, de prescience ou de capacité à anticiper l’avenir.


« La Libye est devenue une véritable pétaudière depuis l’intervention armée occidentale de 2011 décidée par Nicolas Sarkozy, David Cameron et les Américains »[3].


« Contrairement aux Anglais et aux Américains qui ont reconnu que cette guerre était une faute, en France pas question d’admettre l’erreur »[4].


Bravo l’arrogance et la myopie de notre élite[5]. Nous en avons malheureusement des exemples tous les jours sur les dossiers internationaux les plus sensibles comme les plus anodins.



Dans un registre tout à fait différent, mais qui se situe dans la filiation légitime de l’action de ses deux prédécesseurs directs, la diplomatie d’Emmanuel Macron, en croyant ramener la paix en Libye tel le nouveau Messie, contribue au contraire à entretenir la guerre civile dans un pays en pleine déliquescence, un État failli. Aucune leçon n’a décidément été tirée de toutes nos guerres perdues aux quatre coins de la planète. Revenons au chef de l’État !


Après l’ascension fantastique du premier de cordée dans la mêlée mondiale, vient plus rapidement que prévu le temps des graves désillusions. Notre plus jeune président de la Cinquième République découvre les retours de bâton de l’arrogance et de la duplicité dans la diplomatie.


Le piège de l’arrogance : la diplomatie flamboyante des inspecteurs des Finances


« Dès son arrivée au pouvoir, le président Macron ambitionne de jouer le « faiseur de paix en Libye »[6].


Il pense frapper un grand coup. Inculte, ignare sur l’Afrique en général et sur la Libye en particulier, le président de la République s’est mis dans la tête de régler, en deux temps, trois mouvements le casse-tête libyen (ignorant l’ONU et l’Italie) grâce à une réunion à la Celle-Saint Cloud (26 juillet 2017 conclue par l’adoption d’une déclaration conjointe) et une à Paris (29 mai 2018, sorte de médiation entre les deux frères ennemis). Les parties présentes (les absentes marquèrent leur mécontentement) s’accordèrent sur la tenue d’élections le 18 décembre 2018, censées résoudre la crise (élections qui n’ont jamais eu lieu). Par ailleurs, on se souvient qu’Emmanuel Macron avait caressé le projet de créer des « hot spots » en Libye pour stopper les flux de migrants (juillet 2017).


Or, toute cette diplomatie Potemkine n’a débouché sur rien de concret sur les plans politique, économique, sécuritaire, migratoire… Au contraire, la situation est allée de mal en pis tant la confrontation entre Faïez Sarraj et Khalifa Haftar a pris un tour paroxystique. Le second lançant ses troupes sur Tripoli afin de renverser le pouvoir du premier censé être le dirigeant légitime aux yeux de la trop fameuse « communauté internationale » dont personne n’est en mesure de donner une définition claire et précise. La Libye est aux bords de l’implosion tant les rancœurs ont la vie dure et le retour à la paix très improbable[7]. Bravo l’arrogance des crânes d’œuf de Bercy. Au surplus de l’arrogance, nous cultivons avec superbe la culture mortifère de la duplicité.


Le piège de la duplicité : la diplomatie minable du jeu de bonneteau


Le moins que l’on puisse dire est que la diplomatie jupitérienne sur le dossier libyen a largement fait pschitt. Elle tourne à la Berezina diplomatique tant l’échec est patent et les acrobaties se retournent plus rapidement que prévu contre leurs auteurs à propos d’un un pays qui se dirige lentement mais sûrement vers une troisième guerre civile[8]. On ne peut à la fois déclarer urbi et orbi que Paris est légitimiste (soutenir le gouvernement de Faïez Sarraj à Tripoli) tout en appuyant en sous-main son principal opposant (le maréchal Khalifa Haftar qui veut renverser son opposant à Tripoli[9]) qui est considéré comme le meilleur rempart contre les islamistes. Faïez Sarraj, qui recevait récemment Jean-Yves Le Drian, ne se prive pas de le faire savoir haut et fort[10]. Il met en évidence le discrédit qui pèse sur un médiateur qui ne sait pas conserver une stricte position d’équilibre entre les protagonistes[11]. Tout, cela commence à faire désordre[12]. On ne peut jouer « en même temps » le pacificateur et le va-t-en-guerre[13].


« En diplomatie, il faut toujours dire la vérité. D’abord, on ne se trompe jamais. Ensuite, comme on ne vous croit pas – puisque vous êtes diplomate – vous avez d’emblée une supériorité sur votre interlocuteur » (Montaigne).


le maréchal Khalifa Haftar


Il faudra bien, un jour prochain, que nous nous décidions à effectuer un arbitrage sérieux entre considérations diplomatiques[14], stratégiques, sécuritaires, économiques[15], humanitaires, nationales et régionales et nous y tenir un bonne fois pour toutes. Bravo la duplicité des bateleurs de foire. Ce ne sont pas les dernières déclarations flamboyantes de Jean-Yves Le Drian au quotidien Le Figaro qui vont lever les doutes sur les véritables intentions de la diplomatie française en Lybie[16], pas plus que notre objectif stratégique clair et net dans le Sahel avec l’opération Barkhane[17]. Il est vrai qu’aujourd’hui, les combats en Libye sont lourds de menaces pour l’Europe au moment où le chef du gouvernement d’Union nationale fait une tournée sur notre continent (Allemagne, France, Italie) pour chercher des soutiens et pour ne pas se priver des critiquer vertement la duplicité macronienne[18]. Le seul problème est qu’aucun des deux frères ennemis ne veut du cessez-le-feu proposé par l’émissaire de l’ONU[19]. À trop ignorer les voies diplomatiques officielle à l’intérieur (le Quai d’Orsay littéralement ignoré au moment de la réunion de la Celle-Saint-Cloud se plaint d’une « diplomatie parallèle » qui fait fi des acteurs africains qui comptent) et à l’extérieur (l’ONU seulement appelée en renfort quand les affaires tournent mal), on se prépare souvent des lendemains difficiles.


Recevant à Paris le 8 mai 2019 le Premier ministre libyen Fayez al-Sarraj, Emmanuel Macron a appelé à une trêve sans conditions en Libye, sous supervision internationale, a rappelé la volonté de la France d’aider à la relance d’un processus politique en Libye, rappelant qu’il n’existe pas de solution militaire au conflit libyen et pour mettre un terme à l’offensive militaire lancée vers Tripoli, encouragé un cessez-le-feu sans conditions, a souligné la nécessité de protéger les populations civiles, a proposé de mettre en place, dès les prochains jours, une évaluation du comportement des groupes armés en Libye, y compris ceux qui relèvent directement du gouvernement d’entente nationale, en lien étroit avec l’ONU. Fayez al-Sarraj a qualifié la rencontre de « positive », estimant sur France 24 que le président français avait été « très compréhensif », mais il a invité la France à « prendre une position plus claire » à l’avenir.


« Il y a eu une manière de répandre une sorte d’image ou de rumeur selon laquelle la France était contre le gouvernement libyen et en faveur de cette offensive militaire qui nous semble totalement inacceptable et injuste », faisait valoir mardi une source à l’Elysée.


Des inconvénients d’un double jeu dans la diplomatie ![20]


Aujourd’hui, ce sont les Émiratis qui se trouvent sur le grill. L’AFP croit savoir que :


« Des experts de l’ONU enquêtent sur une possible implication militaire des EAU dans le conflit en Libye, après des tirs de missiles [air-sol] en avril avec des drones de fabrication chinoise équipant l’armée émiratie ».


Et, ce n’est vraisemblablement le début d’un long feuilleton qui apportera son lot de révélations embarrassantes pour tous les donneurs de leçons de morale !


Voici ce que notre breton armé déclare dans cet entretien au Figaro qui vaut son pesant de cacahuètes en réponse à la question de la perspicace Isabelle Lasserre, Comment sortir de l’impasse ? :


« En promouvant une solution politique qui permettra la formation d’un gouvernement issu des urnes, doté d’une légitimité interne et externe, c’est-à-dire ayant l’aval des Libyens et donc la reconnaissance internationale. La France n’a pas varié de politique depuis qu’en juillet 2017 le président de la République a pris l’initiative de réunir à La Celle-Saint-Cloud les deux principaux responsables libyens. La solution politique a été réaffirmée par la conférence internationale de l’Élysée en mai 2018, puis celle de Palerme, et enfin par les accords d’Abu Dhabi en novembre dernier. Nous poursuivons donc aujourd’hui nos efforts pour obtenir un cessez-le-feu et la réouverture d’une solution politique sur la base du processus d’Abu Dhabi, par l’intermédiaire de Ghassan Salamé, l’envoyé spécial de l’ONU en Libye ».


Parfait exercice de charabia diplomatique incompréhensible et incongru dont on comprend aisément qu’il contribue à enfoncer plusieurs épines dans le pied du patron du Lorientais désorienté, Jean-Yves Le Drian ! L’homme du droit et surtout du tordu. Toutes ces plaisanteries de mauvais goût conduisent à une sorte d’impasse du chaos. Impasse que la France a contribué à instaurer au cours de la décennie écoulée en Libye compliquée de nos jours par la diplomatie du en même temps[21].


Aujourd’hui, les pièges ne cessent de se refermer sur les deux pieds de notre « grand manipulateur » hors concours[22]. En dehors du piège libyen, la diplomatie française commence à avoir maille à partir avec les ONG qui traquent nos turpitudes au Yémen à travers nos ventes d’armes au bienfaisant Royaume d’Arabie saoudite.


Le piège libyen : la diplomatie des carabistouilles bretonnes


Cerise sur le gâteau, huit associations viennent de demander (25 avril 2019) à la justice de suspendre le transfert de bateaux français à la marine libyenne, une livraison qu’elles dénoncent comme contraire à l’embargo sur les armes et une « complicité » dans des violations des droits. Rappelons que le ministère des Armées avait indiqué (février 2019) que la France allait livrer au cours du printemps six embarcations rapides, des Zodiac de l’industriel français Sillinger, à la marine libyenne engagée dans le contrôle des flux de migrants tentant de traverser la Méditerranée. La livraison de Zodiac Sillinger a déjà été considérée par l’ONU comme une violation dans le cadre de l’embargo sur les armes imposé en Côte d’Ivoire de 2004 à 2016, souligne les plaignants. Elle contreviendrait au traité international sur le commerce des armes (TCA), dont la France est signataire, qui prévoit que les pays évaluent le risque de commission de violation des droits de l’homme avant d’autoriser l’exportation, une problématique déjà largement abordée dans le cadre des ventes d’armes à l’Arabie saoudite. On l’aura compris, il y a là une contradiction flagrante entre l’affichage ostentatoire d’une diplomatie des (fausses) valeurs et la mise en œuvre honteuse d’une diplomatie économique des marchands de canons. On ne peut pas dénoncer à longueur de temps les démocratures et autres démocraties illibérales tout en faisant plus que les plagier dans la pratique. Cela commence à se voir et fait mauvais effet surtout lorsque nous nous complaisons dans le beau rôle de donneurs de leçons à l’univers.



Le piège yéménite : la diplomatie de l’indignation à géométrie variable


Et, nous retrouvons le même problème avec nos ventes d’armes à l’Arabie saoudite pour conduire sa sale guerre au Yémen qui conduit trois journalistes ayant exploité des notes de la DGSE à devoir s’expliquer dans les locaux de la DGSI à Levallois-Perret ! En effet, trois journalistes, appartenant pour deux d’entre eux au média d’investigation Disclose et pour l’autre à Radio France, ont droit aux honneurs de notre service de sécurité intérieure après une plainte du ministère des Armées pour « compromission du secret de la défense nationale ». Rappelons que l’association Aser vient d’attaquer l’État français devant le tribunal administratif de Paris pour violation du Traité sur le commerce des armes (TCA) et se réserve désormais le droit de porter l’affaire en référé (procédure d’urgence qui pourrait conduire la juridiction administrative de première instance à adopter quelques mesures conservatoires). Pendant ce temps, aux États-Unis – où le complexe militaro-industriel est puissant – la Chambre des représentants a osé voter la suspension du soutien militaire à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis dans leur guerre au Yémen, obligeant le président Donald Trump à faire usage de son droit de veto. Mais, au Palais-Bourbon, les godillots de Macron, eux, ne mouftent pas[23].


Ils sont, comme nous, amplement rassurés en apprenant de la bouche même du président de la République, Emmanuel Macron que la France a la « garantie » de la part de l’Arabie saoudite que les armes qui lui sont vendues ne sont pas utilisées contre des civils au Yémen, à la veille du départ d’une nouvelle cargaison d’armement via le port du Havre.


« L’essentiel des armes qui ont été vendues sont plutôt utilisées à l’intérieur du territoire ou à la frontière mais elles sont utilisées dans le cadre d’un conflit », a déclaré le président français à son arrivée au sommet européen de Sibiu (Roumanie).


« Néanmoins, je tiens ici à dire ce que nous avons fait, c’est-à-dire d’avoir la garantie que ce ne soit pas utilisé contre des populations civiles », a ajouté Emmanuel Macron, précisant que cette garantie avait été « obtenue ». Cette question soulève cependant un « conflit moral », a encore déclaré le chef de l’Etat, qui peut être surmonté d’une part « en faisant la transparence et en étant exigeant avec nos partenaires », alliés dans la lutte « contre le terrorisme », et d’autre part en « nous engageant davantage dans la résolution du conflit au Yémen ». « On va s’engager aux côtés des Nations unies davantage pour résoudre ce problème », a poursuivi Emmanuel Macron[24].


Il est vrai que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent surtout lorsqu’elles concernent l’Arabie saoudite, un excellent client de nos armes intelligentes qui savent distinguer civils et militaires, territoire national et autre, bons et mauvais ennemis, ce qui est un « conflit moral » et un conflit « immoral ». Aux dernières nouvelles, le cargo serait reparti vide du Havre[25].


Mais, en définitive, c’est le genre de polémiques qui pimentent les quinquennats. Mais celles-ci présentent un intérêt particulier, dans un contexte de défiance généralisée à l’endroit du chef de l’État et de l’exécutif et de discrédit de la diplomatie française. Les annonces présidentielles du 25 avril 2019 n’ont pas changé fondamentalement la donne. Aujourd’hui, le discrédit de la classe politique jupitérienne est tel qu’il paraît difficile, voire impossible de remonter la pente. Il suffit de prendre connaissance des dernières déclarations de Gérard Collomb :


« Emmanuel Macron est en difficulté » (Europe 1, 9 mai 2019).


Heureusement que nous venons d’apprendre par la machine à bobards des communicants de la présidence de la République remettait désormais « l’humain au centre » de sa politique et qu’il voulait « écouter les gens », ayant compris après six mois de crise des « gilets jaunes » que l’homme est important dans toute action quelle qu’elle soit. Libyens et Yéménites n’ont pas encore bénéficié de toutes les vertus de son changement de pied, de son entrée dans le Nouveau monde de la morale. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan ne se fait pas prier pour s’en prendre au chef de l’État, accusant tour à tour la France « donneuse de leçons » sur le génocide arménien de génocides au Rwanda et en Algérie. La Vérité finit toujours par éclater dans le monde nouveau comme dans l’ancien monde dont on nous avait promis de faire litière.


« Les merdes, ça vole toujours en escadrilles », en Rafale, pourrait-on dire en mettant au gout du jour la célèbre remarque de ce vieux routier de la politique qu’est Jacques Chirac. Jugement de pur bon sens qu’ignorent Emmanuel Macron, Florence Parly, Jean-Yves Le Drian et leurs hordes de conseillers peu diplomatiques qui les vénèrent plus qu’ils ne les conseillent. Le dossier libyen restera, à l’instar des dossiers syrien et yéménite, un cas d’école à enseigner dans les écoles diplomatiques, comme au sein du tout nouveau « Collège des Hautes études de l’institut diplomatique » (CHEID) créé par Le Chouchen[26]. Un cas d’école de ce Waterloo diplomatique dont il faudra bien un jour tirer les conséquences. Comme nous l’avons souligné plus haut, démagogie et court-termisme constituent la marque de fabrique de la machine diplomatique macrono-ledrianesque. Le quotidien Le Monde a bien raison de titrer « La France désarçonnée dans le chaos libyen »[27]. L’expérience, toujours bonne conseillère, nous rappelle que la diplomatie de la vérité, vaut mieux que l’absence de vérité en diplomatie. Le problème des diplomates français (sous le règne de Pinocchio), c’est l’orgueil, la conviction que le monde doit se plier à l’ordre qu’ils veulent lui assigner. À l’instar de l’objectif initial de la revue Les Temps modernes, le but de la diplomatie est « d’apporter une intelligence globale du monde »[28]. Nous n’en sommes pas encore là. Sans un minimum de cohérence, la France perdra le peu de crédit dont elle dispose encore sur la scène internationale. Faute de quoi, le risque est grand qu’elle ne se piège encore plus dans l’actuel bourbier libyen.


Morale de l’histoire


« La première leçon de l’Histoire est de ne pas mentir, la seconde de ne pas craindre d’exprimer toute la Vérité » (Pape Léon XIII de 1893 à 1903).


À méditer par nos diplomates d’opérette, en particulier les Pieds Nickelés de l’Élysée (ceux de la cellule diplomatique dirigée par le fourbe, Philippe Etienne qui devrait bientôt être récompensé de ses contorsions en se voyant attribuer l’ambassade de France à Washington pour succéder au farfelu Gérard Araud), qui confondent allégrement communication et action !


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[1] Guy Georgy, Kadhafi. Le berger des Syrtes, Flammarion, 1996


[2] Emmanuel Rimbert, Jours intranquilles en Libye, Equateurs, 2015, p. 18


[3] Marc Endeweld, Le grand manipulateur, Stock, 2019, p. 243


[4] Jean-François Kahn, Libye : ils se sont mis les doigt dans l’œil, depuis ils ont fermé l’autre !, Marianne, 10-16 mai 2019, p. 6


[5] Guillaume Berlat, Intervenir en Libye : une lubie française, www.prochetmoyen-orient.ch , 18 janvier 2016


[6] Marc Endeweld, précité, p. 246


[7] Frédéric Bobin, Libye : les Tripolitains dépités par l’offensive d’Haftar, Le Monde, 28-29 avril 2019, p. 4


[8] Frédéric Bobin, En Libye, le front d’une troisième guerre civile, Le Monde, 26 avril 2019, p. 2


[9] Isabelle Lasserre, Libye : le jeu ambigu de Paris avec Haftar, Le Figaro, 12 avril 2019, p .11


[10] Frédéric Bobin, Sarraj dénonce le rôle de la France en Libye, Le Monde, 24 avril 2019, p. 6


[11] Frédéric Bobin/Nathalie Guibert/Marc Semo, Libye : comment Paris a perdu l’équilibre, Le Monde, 25 avril 2019, pp. 4-5


[12] René Backmann, Libye : comment la France a contribué à la montée en puissance d’Haftar, www.mediapart.fr , 27 avril 2019


[13] Claude Angeli, Le va-t-en-guerre libyen et ses chers parrains, Le Canard enchaîné, 24 avril 2019, p. 3


[14] Rencontre à Rome pour un cessez-le-feu, Le Monde, 26 avril 2019, p. 2


[15] Pierre Vermeren, « La Libye, première puissance pétrolière d’Afrique, intéresse beaucoup d’acteurs », Le Figaro, 16 avril 2019, p. 16


[16] Jean-Yves Le Drian (propos recueillis par Isabelle Lasserre), « La France est en Libye pour combattre le terrorisme », Le Figaro, 3 mai 2019, p. 3


[17] Claude Angeli, Une petite « Ecole de guerre » françafricaine. Et un record absolu d’attaques djihadistes depuis novembre dernier : 1200, avec, au total,4 780 morts, Le Canard enchaîné, 30 avril 2019, p. 3


[18] Yves Bourdillon, Le gouvernement libyen en quête de soutiens européens, Les Échos, 9 mai 2019, p. 6


[19] Isabelle Lasserre, Les combats en Libye, lourds de menaces pour l’Europe, Le Figaro, 7 mai 2019, p. 11


[20] Marc Semo, Macron appelle à une « cessez-le-feu sous supervision internationale » en Libye, Le Monde, 10 mai 2019, p. 3


[21] Claude Angeli, Le « trouble jeu » de Macron en Libye, Le Canard enchainé, 8 mai 2019, p. 3


[22] Marc Endeweld, Le grand manipulateur. Les réseaux secrets de Macron, Stock, 2019


[23] D.F., Silence dans les rangs sur le Yémen !, Le Canard enchaîné, 30 avril 2019, p. 8


[24] Macron dit avoir des « garanties » de l’Arabie saoudite sur les armes, Agence Reuters, 9 mai 2019


[25] Thomas Cantaloube, Un cargo saoudien qui devait charger des armes au Havre renonce à sa cargaison, www.mediapart.fr , 10 mai 2019


[26] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/le-college-des-hautes-etudes-de-l-institut-diplomatique/


[27] Éditorial, La France désarçonnée dans le chaos libyen, Le Monde, 25 avril 2019, p. 31


[28] Membres du comité de rédaction de la revue « Les Temps modernes », Le but de la revue « Les Temps modernes » était d’apporter une intelligence globale du monde, Le Monde, 3 mai 2019, p. 24


source : http://prochetmoyen-orient.ch/la-france-piegee-dans-le-bourbier-libyen/