La conversion de Jean Charest

Le premier ministre a décidé de suivre les conseils d'économistes et d'appliquer plusieurs de leurs pressantes recommandations

Budget Québec 2010 - suites


Photo : Agence Reuters Mathieu Bélanger
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Robert Dutrisac - Québec — Jean Charest s'est toujours méfié des économistes; il a toujours douté de leur sens politique. Ils étaient nombreux à lui conseiller de hausser la taxe de vente du Québec (TVQ) de façon substantielle et d'abaisser autant que possible l'impôt sur le revenu des particuliers. Un fort consensus existe parmi les économistes québécois, si ce n'est l'unanimité, voulant qu'il soit préférable pour le Québec d'adopter cette fiscalité à l'européenne.
À cela, Jean Charest répondait qu'en théorie, tout cela était bien beau, mais que le Québec était en Amérique du Nord et que ses voisins imposaient des taxes de vente beaucoup plus basses qu'au Québec, en particulier les États américains à proximité. Le Québec ne pouvait pas se démarquer à ce point, pensait-il. Le pragmatisme plutôt que la théorie.
En laissant Raymond Bachand chasser les vaches sacrées à sa guise, Jean Charest a choisi de suivre les conseils des économistes et d'appliquer plusieurs de leurs pressantes recommandations. Évidemment, les Claude Montmarquette de ce monde font peu de cas des tempêtes politiques que peuvent soulever les remèdes de cheval qu'ils préconisent. Jean Charest, lui, doit s'en soucier.
Dans le rapport du Groupe sur la tarification des services publics, mis sur pied par la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, Claude Montmarquette et l'ancien ministre péquiste Joseph Facal soutenaient que le Québec devait en finir avec la «culture de la gratuité». Quant aux tarifs d'électricité, l'économiste recommandait le plus sérieusement du monde qu'on les augmente au prix qu'Hydro-Québec pouvait obtenir sur le marché new-yorkais. C'est-à-dire les doubler, voire les tripler, une ponction de 1500 $ par année au bas mot pour les malheureux propriétaires d'un bungalow ordinaire.
Une hausse progressive
Certes, Raymond Bachand n'est pas allé jusque-là. Le tarif du bloc patrimonial, fixé à 2,79 cents en 1998 par le gouvernement Bouchard, ne tient plus; il est majoré d'un cent et, encore là, graduellement, sur une période de cinq ans à compter de 2014. Mais comme les grands consommateurs industriels d'électricité ne seront pas touchés, c'est 1,37 cent qui est ajouté au tarif que paient monsieur et madame Tout-le-monde, ce qui représente tout de même une hausse de 20 %. Ce nouveau tarif sera par la suite indexé tous les ans, sujet à un maximum de 2 %. Plus que jamais, les tarifs d'Hydro-Québec seront décrochés du coût réel de l'électricité qu'elle produit.
La somme de 1,6 milliard ainsi récoltée sera entièrement versée au Fonds des générations afin de réduire la dette. Or la moitié de ce montant, soit 800 millions, sera déduite des paiements de péréquation que fera Ottawa. Au ministère des Finances, on ne s'en inquiète pourtant pas: les augmentations seront graduelles, le calcul de la péréquation est étalé dans le temps et bien des choses peuvent changer d'ici 2018.
À lui seul, l'abandon de la politique tarifaire d'Hydro-Québec en vigueur depuis 12 ans aurait fait du premier budget Bachand un «budget charnière», pour reprendre l'expression du premier ministre.
Mais c'est la petite révolution — qui n'a rien de culturel — qu'il amorce dans le financement de la santé qui constitue l'élément le plus novateur, mais aussi le plus controversé du budget.
L'impôt santé
La contribution santé, que tout le monde appelle désormais l'impôt santé, se présente comme un odieux «poll tax», une taxe par tête de pipe, la même pour tout le monde sans égard au revenu, à l'exception des pauvres qui en sont exemptés. Cet impôt santé de 200 $ par an s'applique aux gagne-petit: un salarié qui travaille 30 heures par semaine au salaire minimum paiera la même somme que Pierre Karl Péladeau.
Jean Charest et son ministre des Finances ont sans doute choisi cette ponction inéquitable plutôt qu'un impôt progressif parce qu'ils ne voulaient pas que l'impôt santé soit perçu comme de l'impôt sur le revenu. En 2007, le gouvernement Charest avait réduit l'impôt de 950 millions; avec l'impôt santé, c'est 945 millions qu'il ira chercher. Si Jean Charest avait annulé la seule baisse d'impôt qu'il a réussi à livrer, l'électorat aurait poussé les hauts cris. À la place, la controverse porte sur une mesure injuste socialement. On peut se demander toutefois ce qui est le plus néfaste sur le plan politique.
Cet impôt santé, qui passera de 25 $ en 2010 à 100 $ en 2011 puis à 200 $ en 2012, permettra de combler la différence entre une croissance des dépenses en santé de 3,8 % et celle qui est nécessaire, soit 5 %. Mais après 2012, cet apport de 945 millions sera intégré au budget courant de la santé et ne contribuera plus à la croissance des dépenses. Tout sera à recommencer: il faudra trouver d'autres revenus ou faire des compressions dans les autres missions de l'État pour financer les hausses annuelles des dépenses en santé.
Et puis, il y a cette «franchise» appliquée à chacune des visites médicales, 25 $ par visite, lit-on dans le document «Vers un système de santé plus performant et mieux financé» du ministère des Finances. Raymond Bachand a déclaré que ce ne serait pas cette formule, tirée du rapport Castonguay, qui sera finalement retenue. Mais le principe de ticket modérateur, ou «orienteur», pour employer le qualificatif utilisé par le ministère, demeure. Même si ce ticket variera en fonction du revenu des usagers, qu'on le veuille ou non, ce sera «plus tu es malade, plus tu paies», pour reprendre l'expression du leader parlementaire du gouvernement, Jacques Dupuis. C'est la rondelette somme de 500 millions que voudrait bien encaisser le gouvernement avec ce nouveau tarif maladie.
L'étau
Tous ces changements, qui soulageront le portefeuille du contribuable, sont étalés sur quelques années. C'est «un étau graduel», a dit Raymond Bachand. Quelle étrange expression! Le gouvernement voudrait bien que l'opération soit sans douleur, qu'elle soit si progressive qu'elle soit à peu près imperceptible. Le contribuable a plutôt la sombre impression d'être la grenouille qu'on plonge dans une casserole d'eau froide avant d'allumer le feu.
Raymond Bachand croit qu'avec tout le battage médiatique autour d'un État québécois déficitaire, endetté, mal géré et dépensier, le bon peuple est désormais bien conditionné pour accepter des gestes «courageux» de la part du gouvernement. Hier encore, le ministre félicitait TVA pour son travail qui a permis à la population d'ouvrir les yeux. Il est vrai que le groupe convergent a mis autant d'énergie à dénoncer les dépenses publiques qu'il en a déployée à couvrir les péripéties de Star Académie. Depuis le budget toutefois, l'image d'un premier ministre qui pige sans vergogne dans les poches des contribuables semble vouloir s'imposer. Le sourire de Raymond Bachand s'est figé.
En 2003, le gouvernement Charest avait allumé bien des feux et suscité la grogne de l'électorat. Un mouvement issu des centrales syndicales et des groupes populaires avait vu le jour: la coalition «J'ai jamais voté pour ça». En décembre 2008, après que le chef libéral eut fait campagne sur l'économie — une économie dynamique que la récession épargnerait —, personne n'aurait pu imaginer qu'il se lancerait dans une réforme du financement de la santé caractérisée par un «poll tax» et un ticket modérateur. Il est vrai que Jean Charest est un véritable maître quand il s'agit de cacher son jeu.


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