L’Unité permanente anticorruption (UPAC), qui est à la chasse aux fuites dans les médias, a déjà elle-même prévu d’utiliser des fuites afin de faire avancer ses propres enquêtes.
Au cours des derniers jours, notre Bureau d’enquête a consulté des documents qui montrent comment des enquêteurs de l’UPAC ont déjà planifié d’utiliser du coulage d’informations à la télévision de Radio-Canada pour faire parler des suspects. Ces documents laissent croire que le coulage d’information aux médias peut parfois être fort utile aux corps policiers.
Rappelons que la semaine dernière, l’UPAC a arrêté le député libéral Guy Ouellette dans le cadre de ses recherches pour déterminer qui a coulé des informations sur son enquête Mâchurer, qui vise entre autres l’ex-premier ministre Jean Charest et l’ex-argentier libéral Marc Bibeau.
Le grand patron de l’UPAC, Robert Lafrenière, affirmait même, en mai, à l’Assemblée nationale, que tout serait mis en œuvre pour trouver « le bandit » responsable de la fuite d’informations.
« Plan d’action »
Dans les documents que nous avons pu consulter, les policiers de l’UPAC évoquent un épisode de l’émission Enquête, à Radio-Canada, comme faisant partie intégrante de leur stratégie. Rien n’indique que l’UPAC était la source des documents obtenus par Radio-Canada, mais les documents consultés montrent que l’unité policière est très bien informée des plans des journalistes.
« Divers plans d’action seront mis en place, écrivent-ils. Entre autres, par la parution de l’émission Enquête à Radio-Canada qui mettra au grand jour l’événement organisé en 2003 au Sheraton Laval afin d’amasser de l’argent comptant pour le premier ministre Charest. »
Dans un autre document, les policiers écrivent avoir eu connaissance que Enquête « diffusera une émission au sujet de certaines informations visant le premier ministre Jean Charest et l’implication de Marc Bibeau dans le financement du PLQ ».
« À la suite de la parution de ce reportage, nous avons mis en place un plan d’action agressif afin de profiter de la parution de cette émission et de provoquer des conversations entre nos personnes impliquées dans le dossier et les gens que nous irons rencontrer », écrivent-ils.
Reportage en 2014
En novembre 2014, Radio-Canada a diffusé un reportage indiquant que Jean Charest est visé par des enquêteurs tentant de déterminer si, au moment où il était chef de l’opposition, il aurait sollicité du financement illégal auprès d’entreprises.
Un ex-directeur de cabinet de M. Charest de cette époque, Ronald Poupart, y allègue que M. Charest s’est rendu, en 2002, avec M. Bibeau, solliciter les ingénieurs de la firme SNC-Lavalin. Il n’est toutefois pas question d’une activité au Sheraton.
Questionnée sur la possibilité que l’UPAC profite de fuites d’information dans les médias pour faire avancer des enquêtes, la porte-parole de l’organisation, Anne-Frédérick Laurence, a refusé de commenter.
Elle n’a pas voulu dire non plus si son organisation était à l’origine de la diffusion d’informations sur la manière dont l’arrestation de Guy Ouellette s’est déroulée la semaine dernière.
Un reportage en 2014
En novembre 2014, le journaliste de Radio-Canada Alain Gravel, qui travaillait à l’émission Enquête, a révélé des informations concernant Jean Charest, Marc Bibeau et le financement du PLQ.
Il est impossible de confirmer si c’est bien à partir de ce reportage que s’élabore la stratégie des enquêteurs.
L’émission Enquête faisait partie du plan d’action
Voici deux documents qui montrent que l’UPAC entendait tirer profit d’informations coulées aux médias pour faire avancer une enquête. Nous avons caviardé les noms des personnes dont les policiers planifiaient d’intercepter les communications.
Document 1
La parution de l’émission Enquête est considérée par les policiers comme un des « divers plans d’action [qui] seront mis en place ».
Le reportage de Radio-Canada est clairement identifié comme la « phase 1 » du plan d’action de la police pour faire parler les individus.
Document 2
Le reportage de Radio- Canada servira de rampe de lancement pour « un plan d’action agressif », écrivent les enquêteurs.
Ce plan d’action inclut des rencontres avec diverses personnes visées par l’enquête.
« Les rencontres auront pour but de leur poser des questions en lien avec l’information rendu [sic] publique via l’émission Enquête. »