Ceux qui se réclament de la lutte contre l'Empire n'ont aucun problème de conscience à persécuter ou à diffamer ceux qu'ils désavouent - même lorsqu'il s'agit de simples commerçants. La controverse entourant le boycottage de la boutique Le Marcheur, «coupable» d'offrir sur ses tablettes des chaussures de fabrication israélienne, ne semble pas vouloir s'éteindre, d'autant plus qu'Amir Khadir a cru bon de s'y associer, en lui donnant ainsi une publicité inespérée, le député de Mercier ayant un peu le statut de conscience humanitaire de la classe politique québécoise.
Loin d'être anecdotique, cette controverse est symptomatique de l'existence au sein de notre société d'un courant d'ultragauche dont on doit questionner la philosophie politique dans la mesure où il est parvenu à s'inscrire dans l'espace public et à s'y positionner durablement en se présentant sous les traits de «la gauche», terme qui lui permet de masquer son radicalisme.
Avant d'avoir un projet politique clairement défini, l'ultragauche a une vision du monde. Au centre de son imaginaire, on trouve une hostilité viscérale envers la civilisation occidentale, accusée d'exercer une hégémonie mondiale sur le plan militaire, économique et culturel. L'ultragauche se représente l'Occident sous la figure de l'Empire, dont le centre est alternativement placé à Washington ou à Tel-Aviv, selon les obsessions de chacun. C'est dans cette perspective qu'on doit comprendre son antiaméricanisme et son antisionisme, d'autant plus que les États-Unis comme Israël semblent moins disposés que l'Europe à reprendre la rhétorique de la pénitence occidentale.
Si l'ultragauche ne fantasme plus comme il y a quelques décennies sur des paradis prolétariens comme la Chine communiste, elle est d'une complaisance indéniable envers ceux qu'elle s'imagine «résister à l'Empire», comme l'Iran d'Ahmadinejab ou le Venezuela de Chavez. Non pas qu'elle endosse la suspension des libertés civiles dont se rendent coupables ces régimes, mais elle semble souvent disposée à la relativiser au nom de nouveaux équilibres géopolitiques mondiaux qu'elle désire ardemment.
C'est une même disposition d'esprit qui amène l'ultragauche à afficher sa complaisance pour les casseurs encagoulés lors des sommets internationaux, qu'elle s'imagine en militants au service des victimes du capitalisme mondialisé. De même, plusieurs de ses représentants, qui font preuve d'une indéniable intransigeance envers la moindre coutume apparemment «patriarcale» lorsqu'elle est d'origine occidentale, peuvent en venir à manifester de la sympathie pour la burqa et les pratiques de ségrégations sexuelles qu'elle représente. La raison? Même athée ou libertaire, l'ultragauche est bien disposée envers toutes les luttes qu'elle s'imagine en contradiction avec l'Empire.
L'ultragauche a une arme, la diabolisation, qui vient avec son lexique: fascisme, racisme, impérialisme, sexisme. Elle en use avec d'autant plus d'efficacité qu'elle est persuadée de livrer une lutte à finir contre l'oppression. Ainsi, l'Amérique de Bush était assimilée au «fascisme» et Israël est accusé de pratiquer «l'apartheid» envers les Palestiniens. Évidemment, ceux qui expriment un désaccord avec l'ultragauche sont nécessairement des mercenaires ou des chiens de garde de l'Empire. Ils n'ont plus le titre d'interlocuteurs valables.
Il s'agit chaque fois de caricaturer l'adversaire sous le signe du mal radical. Et dans la guerre ouverte du bien contre le mal, tout est potentiellement permis. Ceux qui se réclament de la lutte contre l'Empire n'ont aucun problème de conscience à persécuter ou à diffamer ceux qu'ils désavouent - même lorsqu'il s'agit de simples commerçants. Au nom d'un antifascisme carnavalesque et anachronique, l'ultragauche cherche à tendre un cordon sanitaire autour de ses détracteurs.
Évidemment, et il faut le rappeler, l'ultragauche n'est pas toute la gauche. Mais ses analyses sont souvent récupérées de manière plus ou moins atténuée par des acteurs du débat public dont on ne saurait contester les convictions démocratiques. C'est justement pour cette raison que c'est la gauche démocratique qui devrait être la première à rappeler à l'ordre ceux qui pratiquent une opposition radicale à la démocratie occidentale et à la civilisation qui l'irrigue.
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Mathieu Bock-Côté
L'auteur est candidat au doctorat en sociologie à l'UQAM.
L'ultragauche démasquée
Accusée de caricaturer la droite par MBC, l'ultragauche est ici innocemment caricaturée par lui, à la limite du ridicule. Comment peut-on défendre l'Empire?
Mathieu Bock-Côté1347 articles
candidat au doctorat en sociologie, UQAM [http://www.bock-cote.net->http://www.bock-cote.net]
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