Le monde, la politique, la démocratie et les finances sont dominés par une hydre mondiale composée par 28 grandes banques internationales dont les politiques fixent non seulement le cours des finances mais aussi de la démocratie parlementaire. C’est l’argument implacable et sévèrement démontré par l’économiste français François Morin dans son livre qui vient d’apparaître en France : « L’Hydre Mondiale, l’Oligopole Bancaire » (Lux Editeur). Professeur émérite de sciences économiques à l’Université de Toulouse, François Morin a été membre du conseil général de la Banque de France et du Conseil d’analyse économique. « L’hydre mondiale » est un conglomérat de 28 banques coordonnées entre elles– « interconnectées » – qui gèrent le marché des changes, les taux d’intérêt, créent les produits toxiques pour lesquels ensuite les États, ou bien, les citoyens paient, qui influent sur les économiques politiques et modèlent la démocratie à leur guise.
Le livre de François Morin – aussi l’auteur d’ « Un monde sans Wall Street » – révèle des éléments bancaires inédits sur le pouvoir de cette hydre globalisée dont la puissance, pour la première fois dans l’histoire, a retourné le rapport de forces entre le public et le privé. Manœuvres frauduleuses, pactes secrets, lobby contre la démocratie, manipulation des marchés, ces banques « systémiques » jouent un rôle néfaste dans les sociétés du monde en faisant de la démocratie un otage de leurs intérêts privés.
Une donnée suffit pour mesurer leurs bras : ces 28 banques détiennent des ressources supérieures à celles de la dette publique de 200 États de la planète. Les investigations réalisées en 2012 ont démontré, en partie, les méandres de leurs manœuvres secrètes. François Morin complète l’investigation avec un livre d’une grande solidité analytique où les chiffres, exposés sans le tamis de l’idéologie, sont fluides comme un oracle de ce qui arrivera. Aujourd’hui ce sont des États diminués, qui ont perdu leur souveraineté monétaire et qui doivent affronter un géant hyper vigoureux. Actuellement, 90% de la monnaie est créée par les banques, contre 10% par les banques centrales. Donc, cet oligopole manipule comme il lui convient les deux paramètres fondamentaux de la monnaie : le taux de change et les taux d’intérêt. « Les États sont en même temps otages de l’hydre bancaire et aussi disciplinés par celle-ci », dit Morin. Parmi les 28 banques de l’oligopole, il y en a 14 qui « produisent » les produits dérivés toxiques dont la valeur atteint les 710 000 millions de dollars, soit, l’équivalent de dix fois le Produit intérieur brut mondial.
L’auteur insiste pour sonner la mobilisation mondiale pour récupérer la dimension politique séquestrée par le secteur financier privé et il ne cesse de souligner que nous continuons à être en « état d’urgence » parce qu’à l’horizon se forment les silhouettes du casse-tête d’un nouveau cataclysme. L’hydre bancaire s’est transformée en oligopole vandale de l’économie mondiale et la stabilité des sociétés.
Vous démontrez l’existence d’un oligopole composé par 28 banques qui sont uniquement au service de leurs propres intérêts. Dans quelles conditions et à quel moment a surgi cet oligopole ?
Cet oligopole a commencé à émerger vers le milieu des années 90. La libéralisation complète du marché de capitaux a permis la création de vastes marchés monétaires et financiers à échelle planétaire. Les grands acteurs bancaires de cette époque se sont adaptés à cet état du monde. Il faut remarquer que cette libéralisation complète du marché de capitaux intervient après deux libéralisations précédentes dans les années 70 : celle du marché des changes et celle des taux d’intérêt. L’oligopole alors se créée quand ces trois processus arrivent à leur terme. Alors nous pouvons dire qu’à partir de 1995, il y a des banques qui deviennent systémiques à échelle mondiale, c’est-à-dire que la chute de l’une d’entre elle peut provoquer un cataclysme financier mondial.
Comment cet oligopole a influé sur la crise argentine de 2001 ?
Bien sûr il y a une relation. Cet oligopole compte en son sein 14 banques qui fabriquent des produits (financiers) dérivés, spécialement les produits qui dépendent du taux de change. Donc, la majorité des crises systémiques que nous avons connues à partir de 1990, et dans les pays du Sud-est Asiatique, au Brésil ou en Turquie, était des crises provoquées par la spéculation internationale, par le mouvement de capitaux. Ce mouvement a été amplifié de plus par les produits dérivés créés avec le taux de change. La crise argentine de 2001 a été une crise accélérée par ces produits qui permettent à la spéculation internationale de pouvoir gagner beaucoup et rapidement. Quand, en 2001, l’Argentine s’est écartée du dollar il y a eu une forte spéculation autorisée par la globalisation des marchés financiers et par les produits dérivés qui étaient fabriqués, en ce temps-là, par les grandes banques internationales. Quatorze de ces banques ont spéculé contre l’Argentine.
Parmi les révélations de votre livre, la plus surprenante est que vous démontrez que le poids de ces 28 banques dépasse la dette publique mondiale.
La puissance réelle de ces 28 banques, soit leur capacité de mobiliser des ressources financières, est énorme : le bilan global de l’ensemble de ces banques est, en 2012, supérieur à la dette publique de 200 États. D’un côté, cela montre la puissance phénoménale de ces banques et, de l’autre, hélas, la faiblesse des États, qui sont surendettés. Il y a donc une faiblesse par rapport à la force phénoménale qui est en face d’eux.
A quel moment de notre histoire récente cet oligopole devient-il ce que vous nommez une « hydre mondiale » ?
Cela commence quand nous nous rendons compte que, finalement, ces banques se mettent d’accord entre elles, qu’elles pratiquent une sorte de collusion. Ces banques agissent comme une bande organisée pour influencer collectivement les principaux prix des finances mondiales, spécialement les taux de changes et les taux d’intérêt. Les premières investigations sur ces banques sont récentes. Elles remontent à 2012 et montrent que ces pratiques de collusion commencent réellement en 2005. En somme, entre les années 90 et 2005 l’oligopole commence à se former et, à partir de 2005, ses pratiques deviennent courantes. Nous sommes en présence d’un acteur collectif qui devient dévastateur pour l’économie mondiale. C’est une hydre dévastatrice.
L’interconnexion entre les membres de l’oligopole s’étend à beaucoup de domaines…
Ils agissent sur différents marchés. Le marché des changes est l’un des plus grands du monde parce qu’aujourd’hui il y a 6 milliards de dollars qui s’échangent chaque jour. En 2012 on a découvert que cinq banques contrôlaient 51% de ce marché. Mais elles gèrent aussi le marché des taux d’intérêt à court terme et le marché des certains produits dérivés. Ceci est un peu l’éventail de leurs actes délictueux pour lesquels les banques ont payé des amendes qui sont, par rapport à leurs gains, insignifiantes.
Dans quelle mesure les actions de cet oligopole expliquent-elles les politiques d’austérité qui sont en place un peu partout ?
En premier lieu, par le refus à la réalité du surendettement des pays européens. Quand on observe les données, il n’y a plus de doutes : avant la crise, l’endettement européen était de 60 % du PIB. Mais à partir de 2007, juste quand la crise commence, cet endettement s’accroît brutalement. L’actuel surendettement est lié aux causes de la crise financière et non au gaspillage dans les finances publiques, comme ils veulent nous le faire croire. Aujourd’hui on croit que grâce à des politiques budgétaires d’austérité, on va combattre le surendettement, mais c’est totalement erroné ! La crise est une conséquence du comportement des grandes banques durant la crise dess subprimes (produits financiers spéculatifs). Si on veut réduire la dette publique actuelle et future, il faudrait agir sur ce comportement. Mais ces banques continuent la même chose que par le passé. Sans croissance et sans inflation le surendettement ne se résoudra jamais, encore moins avec des politiques budgétaires d’austérité. Nous sommes sur un chemin sans issue.
Vous affirmez que les États sont otages de ces banques.
Oui. Les États n’osent pas remettre en question les pratiques de ces grandes banques. Ces institutions ont développé une logique financière très dangereuse, elles sont responsables de l’instabilité monétaire et financière internationale, mais les États sont désarmés en face de cet oligopole qui est capable de mettre en échec la loi qui est élaborée pour le désarmer. La logique financière pernicieuse qui existait avant la crise de 2007 persiste.
De fait, cet oligopole constitue une menace pour la démocratie. Pire encore, il la modèle à sa guise.
Il semble clair que depuis le moment où les États cessent d’avoir une marge de manœuvre, qu’ils sont soumis aux obligations budgétaires et, par dessus, comme cela se passe depuis les années 70, qu’ils perdent leur souveraineté monétaire, tout cela converge dans un affaiblissement progressif de notre démocratie. Quand l’arme monétaire disparaît, quand on compte plus avec l’arme budgétaire, l’État reste en infériorité face à des puissances économiques qui l’affrontent et le dominent. Aujourd’hui, dans la majorité des grands pays, la démocratie chute et perd sa substance devant un monde économique et bancaire super puissant.
La sensation globale que laisse la lecture de votre livre est que le cataclysme nous guette toujours.
Oui, le cataclysme est à venir, fondamentalement parce que les grandes banques n’ont pas changé leur logique financière. Nous sommes devant des groupes privés qui agissent selon leurs propres intérêts et qui sont hyper puissants. Par conséquent, les mêmes causes produisent les mêmes effets. L’instabilité financière persiste et comme les dettes publiques ne font plus qu’augmenter dans tous les pays développés, nous nous trouvons avec la menace croissante d’une explosion de la bulle des obligations. Les dettes sont constituées par des obligations financières et, comme la dette augmente, il y a un moment où la bulle explosera et nous aurons un cataclysme financier plus grave que ceux vécus jusqu’à présent, puisque les États, grâce à leurs politiques de rigueur fiscale, ne pourront pas intervenir. Rien n’a changé dans la logique profonde de la globalisation des marchés et on n’a pas, non plus, voulu casser l’oligopole. Il semble évident que toutes les conditions sont réunies pour que nous ayons un autre cataclysme.
Vous révélez aussi un fait qui paraît être de la science-fiction : cet oligopole a réussi à transformer la dette privée en dette publique.
En 2007, 2008, les grandes banques détenaient les produits toxiques, mais, au lieu de restructurer ces banques, au lieu de les faire payer pour les conséquences des effets de leur comportement, les États sont intervenus pour recapitaliser ces banques ou pour les nationaliser. Enfin, ces obligations qui représentaient une dette privée se sont transformées en dette publique. Les contribuables ont payé.
Est-ce que c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que le rapport de forces entre le privé et le public s’inverse ?
C’est la première fois que nous avons un monde aussi globalisé où les capitaux peuvent se déplacer d’un côté vers l’autre de la planète à la vitesse de la lumière, et où il y a des acteurs si puissants en face des États. Dans le passé, il y a eu des confrontations entre le pouvoir financier et le pouvoir politique, mais c’est la première fois dans l’histoire que cette confrontation a lieu à l’échelle mondiale. C’est la nouveauté.
Alors révolution, mobilisation citoyenne… Par où aller avec une société globale qui a perdu sa puissance, sa capacité d’action décisive, qui a troqué sa conscience démocratique et citoyenne en échange du nouveau statut de consommateur planétaire ?
Hélas, ce qui va se passer c’est que, si rien n’est fait, il y aura une nouvelle crise financière. Et cette attitude passive, apathique, peut générer d’ énormes perturbations dont les effets politiques et sociaux seraient précisément dramatiques parce que cette perturbation n’a pas été anticipée par les forces politiques et sociales. Bien sûr, des mobilisations citoyennes sont requises. Ce ne sera pas facile. Regardez ce qui est arrivé en Grèce, avec le Premier ministre Alexis Tsipras et le parti Syriza. Les blocages pour changer la relation entre le politique et l’économique ont été gigantesques. L’histoire n’est pas encore finie. Nous avons vu un gouvernement accepter un accord auquel il ne croit pas. Cela nous montre jusqu’à quel point la démocratie est mise en question ! En Espagne, avec le mouvement Podemos, peut-être la même chose va se passer . Je ne crois pas que l’on peut dire à l’avance que les mobilisations citoyennes vont initier les changements que nous attendons. Peut-être, avec les réseaux sociaux et les mouvements, on pourra espérer le commencement d’un processus.
Il manque une parole politique forte capable de synthétiser le monde d’aujourd’hui et, aussi, de lancer la consigne capable d’ouvrir le chemin de changements réels. Les contradictions que nous avons vues en Grèce sont le point d’incandescence de ces questions. Rien n’est fini. Comme on dit de façon populaire : si nous la Saison 1 en Grèce nous a plu, nous allons adorer la Saison 2 ! Il est certain que sans une action collective nous ne sortirons pas de cela. Comment imaginer ce qui vient, comment retourner ce rapport totalement inégal de forces entre les puissances bancaires et les États affaiblis ? Je reconnais que la démocratie est en danger, mais je crois que l’unique solution passe par une reconquête politique qui peut prendre plusieurs formes.
Ces dernières années, les États ont progressivement abandonné leur souveraineté politique, monétaire et budgétaire. Nous devons prendre en considération la réalité de la globalisation du monde. Les États doivent récupérer leur marge de manœuvre, leur souveraineté, mais dans un cadre organisé, à une échelle planétaire. Cela suppose que les États agissent collectivement en organisant, par exemple, une grande conférence de type Bretton Woods (1944). Un autre chemin, c’est que les citoyens poussent les États à agir, dans le monde entier, à travers différents mouvements. Cependant, avant tout, ces options supposent que l’on prenne conscience de l’état du monde, des rapports de force existants. Il est indispensable que le politique revienne au premier plan de la gestion des affaires économiques. La monnaie doit être un bien public et non un bien privé.
En somme, il s’agirait d’endormir le consommateur et de réveiller le citoyen mondialisé. Dans ce contexte, la crise grecque est l’explosion visible de la dégradation de la démocratie occidentale.
Les grecs ont quelque chose de très fort dans leur histoire millénaire : ils ont toujours eu le sens du politique. Depuis les débuts de la démocratie en Grèce, les débats ont toujours été très riches, même violents. Ceci est ce qu’il faut réveiller aujourd’hui dans le monde. Les grecs montrent comment faire de la politique. Nous nous trouvons dans un état d’urgence.
J. P. Morgan Chase
Bank of America
Citigroup
HSBC
Deutsches Bank
Groupe Crédit Agricole
BNP Paribas
Barclays PLC
Mitsubishi Ufjfg
Bank of China
Royal Bank of Scotland
Morgan Stanley
Goldman Sachs
Mizuho FG
Santander
Société Générale
ING Bank
BPCE
Wells Fargo
Sumitomo Mitsui FG
UBS
Unicrédit Group
Crédit Suisse
Nordea
BBVA
Standart Chartered
Bank of New York Mekon
State Street
La bance totale de ces banques est de 50.341 millions de dollars.
Eduardo Febbro
Traduit du français pour El Correo de la Diaspora Latinoamericaine par : Estelle et Carlos Debiasi
http://www.elcorreo.eu.org/L-oligopole-bancaire-agit-comme-une-bande-organisee
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