À lire et à entendre certains commentateurs, essentiellement anglo-saxons, l'Europe est à l'agonie, son modèle de développement politique et social un objet de musée, sa population frileuse, xénophobe et inadaptée au monde moderne. Ce genre d'imbécillités fait les choux gras des néoconservateurs américains et de plusieurs membres de l'administration Bush enragés par le succès éclatant de la seule organisation, l'Union européenne, qui a gagné une guerre, celle d'établir la paix sur le vieux continent. Cinquante ans après la signature du traité de Rome, les Européens ont de quoi entonner l'Ode à la joie de Beethoven, aujourd'hui hymne de l'Europe.
L'Union européenne est née dans la peur, celle d'une nouvelle guerre. L'Europe des débuts du XXe siècle n'a été qu'une succession de conflits plus sanglants et cruels les uns que les autres. En cinquante ans, quelque 100 millions de morts de l'Atlantique à Vladivostok. Toutes les nations ont payé le prix fort de cette tragédie. En 1945, l'Europe, exsangue, a promis de tout faire pour que plus jamais cela ne recommence, pour bâtir sur le Vieux Continent une aire de paix. Les grands hommes de l'époque, soutenus par les Américains et les Canadiens, ont pensé et créé une série d'organisations - dont l'ONU et l'OTAN - destinées à réaliser cette promesse. Les fondations de la sécurité étaient établies, il fallait maintenant s'assurer de leur pérennité en édifiant ce qui est le moteur de la paix, l'intégration et le développement économiques. L'Union européenne était ce pilier. Elle l'est toujours pour le plus grand bonheur des 500 millions de ses citoyens et des 300 millions d'autres autour (Russie, Maghreb, Turquie) qui en profitent d'une manière ou d'une autre.
L'édification de l'Europe, bien entendu, n'a jamais été chose facile. Cette forme démocratique du Saint-Empire romain germanique ne s'est pas construite sous la poigne de fer d'une dictature, mais dans la controverse et les difficultés inhérentes aux débats démocratiques. Le résultat est éclatant. L'Union européenne est une zone de 27 pays disposant d'un même passeport, pour certains d'une monnaie commune, d'une économie puissante et florissante (oui, oui, florissante contrairement à ce que l'on peut lire dans la presse américaine et sous la plume de certains "experts"), d'une gouvernance et d'un système de sécurité sociale enviés par le reste du monde.
Et puisqu'il faut comparer, sur certains aspects de la vie quotidienne, l'Europe est l'avenir du monde, les États-Unis un repoussoir, parfois même un État du tiers monde. Il y a, bien entendu, des zones d'ombre. La nouvelle immigration effraie les Européens. L'Europe de la défense et de la sécurité peine à se dégager de l'emprise américaine afin de former une entité propre. Le sud de la Méditerranée et le Proche-Orient, si proches de ses rives, sont des zones de turbulences fort inquiétantes. Certains éditorialistes anglo-saxons, comme Mark Steyn, du National Post, prédisent que "les Européens se réveilleront au chant de l'appel à la prière du muezzin".
Un éternel chantier
Si des opinions aussi idiotes colorent l'idée que certains se font de l'Europe, les faits se chargent de rétablir la vérité. L'aventure européenne est un éternel chantier et, depuis 50 ans, celui-ci a montré son extraordinaire capacité d'adaptation et de mutation. Aujourd'hui, l'Union européenne est en mode repos. L'adoption d'une monnaie commune, l'absorption de dix nouveaux membres en quelques années, la pesante bureaucratie de Bruxelles refroidissent les ardeurs des plus pro-Européens. Quoi de plus normal? La grande ambition, celle de transformer le continent en zone de paix et de prospérité, a été réalisée au-delà de toutes les espérances. Il faut maintenant gérer, et c'est moins exaltant comme travail. Certains, comme l'ancien président français Valéry Giscard d'Estaing, se plaignent du manque de vision des hommes et des femmes d'État actuels. L'Europe économique et sociale est une réalité, mais, disent-ils, l'Europe politique est un échec. Elle ne parle pas d'une seule voix, surtout lors de crises aiguës et face aux États-Unis, son ami et grand rival. C'est vrai, mais c'était inévitable. Aucune superstructure bureaucratique, parlementaire ou décisionnelle ne peut susciter l'engouement des populations si celles-ci disposent toujours des États nationaux à qui se référer. Et ces États restent au coeur de la construction européenne. Il faut s'en accommoder en attendant l'émergence d'une identité européenne qui prendra du temps.
La construction européenne est une oeuvre de longue haleine, toujours éreintante, parfois frustrante, mais certainement plus gratifiante que de mener des guerres inutiles, comme en Irak, ou d'accumuler des armes au-delà de toutes mesures et construire des lignes Maginot dans l'espace afin de contrer des menaces insignifiantes (le terrorisme islamique) ou parfaitement neutralisables (Iran, Corée du Nord).
L'Europe poursuit sa course, car son existence n'est plus un rêve, c'est une réalité. Dimanche, les leaders européens se sont fixé un nouvel échéancier afin de mettre en vigueur dès la mi-2009 un nouveau traité. Il y aura des querelles. Les sceptiques et les partisans vont s'affronter. C'est ça l'Europe. Et, comme disait la mère de Napoléon, "pourvu que ça dure".
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal.
j.coulon@cerium.ca
L'ode à l'Europe
L'aventure européenne est un éternel chantier et, depuis 50 ans, celui-ci a montré son extraordinaire capacité d'adaptation et de mutation
17. Actualité archives 2007
Jocelyn Coulon59 articles
L’auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l’Université de Montréal.
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