Ce texte fait état d’un revirement important dans la position du monde politique italien sur la guerre en Ukraine. Il est daté du 11 mai et constitue peut être l’amorce d’un mouvement plus vaste en Europe. Dominique Delawarde
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(Alors que le Premier ministre italien Mario Draghi et le président Joe Biden se rencontraient mardi à la Maison-Blanche, l’unité de façade qu’ils ont tenté d’afficher est sur le point de voler en éclat, tant l’opposition progresse en Italie contre la stratégie de « guerre permanente » de Londres et Washington – y compris dans les rangs des partis composant la majorité, faisant planer la possibilité d’une chute du gouvernement…)
Mario Draghi pourrait en effet se retrouver privé de gouvernement à son retour des États-Unis. Car, tandis que Biden a pressé le Premier ministre italien à accroître le soutien militaire à l’Ukraine, les choses ont basculé en Italie.
Alors que le Parlement avait auparavant approuvé la décision de Draghi sur l’envoi d’armes, le groupe de députés s’y opposant, initialement minuscule, est devenu majoritaire en quelques jours. À l’origine, seuls la gauche radicale et de petits groupes au sein du M5S (Mouvement cinq étoiles), de la Lega et du Parti démocrate (PD) lui-même s’opposaient à cette décision. Cependant, depuis les déclarations du pape contre « les aboiements de l’OTAN à la porte de la Russie », la situation a radicalement changé. Le M5S, dirigé par l’ancien Premier ministre Giuseppe Conte, et la Lega, dirigée par Matteo Salvini, sont désormais publiquement opposés à de nouvelles livraisons d’armes et favorables à une négociation de paix. L’opposition au sein du PD, dirigée par l’ancien ministre Graziano Delrio, a pris de l’ampleur au point que la direction du PD, pro-OTAN, a changé de camp, sans doute dépassés par les événements.
Chose remarquable, parmi les artisans de ce basculement, l’on retrouve l’homme d’affaires Carlo De Benedetti, considéré comme l’oligarque ayant créé le Parti démocrate italien. Deux jours après l’intervention du Pape, De Benedetti a accordé un long entretien au quotidien Corriere della Sera, appelant à découpler la politique étrangère italienne (c’est-à-dire de l’UE) de l’axe Washington-Londres. Il a notamment mis en garde contre les conséquences imminente de la crise alimentaire, déclarant que des millions de réfugiés, forcés de choisir entre la famine et le risque de se noyer dans la Méditerranée, vont envahir l’Italie depuis l’Afrique.
• https://www.corriere.it/22/05/08/carlo-de-benedetti-intervista-guerra-putin
Comme dans un effet domino, le secrétaire général du PD, Enrico Letta, a ensuite donné une interview au même journal, s’écriant : « l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Espagne et la Pologne doivent maintenant se déplacer, unis, pour la paix. Allez d’abord à Kiev, puis rencontrez Poutine. Nous ne devons pas nous laisser guider par les États-Unis, l’Europe est assez grande. Cette guerre se déroule en Europe et c’est à l’Europe d’y mettre fin ».
• https://www.corriere.it/22/05/09/letta-ucraina-europa-russia
Le Parlement a ensuite exigé d’être informé par le Premier ministre avant sa visite à Washington, ce que Draghi a ignoré. C’est pourquoi il risque d’être confronté à son retour à une majorité sur le papier qui rejettera tout ce que Biden aurait pu lui demander. Cela ne signifie pas forcément que le gouvernement tombera, mais a minima il en sortira très affaibli – de même que l’unité de l’Europe derrière les États-Unis.
De plus, l’opposition contre la stratégie anglo-américaine monte également parmi les militaires italiens. Dans un entretien publié par l’Antidiplomatico et relayé sur notre site, le général italien Fabio Mini, ancien chef d’état-major du Commandement de l’OTAN pour l’Europe du Sud, appelle à dissoudre l’Alliance pour créer une nouvelle structure de sécurité régionale, rejoignant ainsi l’appel de l’Institut Schiller publié dès le début de la guerre en Ukraine.
• https://solidariteetprogres.fr/un-general-italien-appelle-a
• https://www.institutschiller.org/Appel-a-convoquer-une-conference-internationale-pour-une-nouvelle-architecture
Par ailleurs, le général Marco Bertolini (à la retraite), ancien commandant du quartier général des opérations interarmées, a exprimé de fortes critiques à l’encontre du secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg. Alors que ce dernier a récemment déclaré que « les membres de l’OTAN n’accepteront jamais l’annexion de la Crimée », Bertolini a affirmé que Stoltenberg ferait mieux de se taire sur des sujets qui dépassent ses compétences.
« Nous devons comprendre que la Crimée est une ressource indispensable pour Poutine, parce qu’elle est principalement habitée par des Russes, et surtout parce qu’elle garantit l’accès à la mer Noire, a-t-il expliqué dans une interview avec Il Fatto Quotidiano. La déclaration de Stoltenberg démontre que la Crimée est le point le plus sensible de la question. Le problème est que Stoltenberg ne peut pas parler au nom de Zelensky. Il est le secrétaire général de l’OTAN, qui est une organisation supranationale et, pour commencer, il ne peut même pas parler au nom d’un seul pays, d’autant plus que l’Ukraine ne fait pas partie de l’Alliance ».
Face au risque imminent d’affrontement direct entre la Russie et les États-Unis, la dissolution de l’OTAN et son remplacement par une nouvelle architecture de sécurité est une urgence absolue. Puisse les développements en Italie en être l’étincelle…