Les appels répétés de certains milieux visant à privatiser des pans entiers des pouvoirs de l’État, voir même à réduire ce dernier à sa plus simple expression, ne sont pas sans soulever de nombreuses questions. Mon propos est de remettre en perspective ce débat qui porte, à toute fin pratique, sur l’organisation sociale, les politiques des gouvernements, les priorités économiques. Cette relation de l’État et du Privé doit se comprendre dans le cadre des grands objectifs du BIEN COMMUN de l’ensemble de la société.
LE « PRIVÉ »
Si de par sa nature même « le Privé » poursuit des objectifs qui sont prioritairement inspirés par des intérêts personnels et corporatifs, ses actions et interventions ne sont pas sans incidences, parfois positives, parfois négatives sur les grands objectifs du « bien commun » de la société. Bien qu’il ne lui revienne pas de répondre en priorité à ce« bien commun », il est de son devoir d’y inscrire ses interventions en harmonie avec ce dernier. Il demeure et demeurera toujours un acteur important dans le développement de toute société. Toutefois, dans le cadre d'une véritable démocratie, il ne saurait en être l’acteur principal. C’est à l’État que revient cet honneur et c’est à l’État d’en circonscrire les paramètres.
L’ÉTAT
Les peuples se dotent d’un État d’abord et avant tout pour structurer et organiser les pouvoirs et les activités qui assureront le « bien commun » de la société. Dans les démocraties modernes, la configuration de l’État trouve son fondement et sa personnalité propre dans une CONSTITUTION, discutée et votée par le peuple. Elle est la « loi fondamentale » qui définit l’État, ses pouvoirs ainsi que le « bien commun » auquel il doit répondre prioritairement et en tout temps. L’État est ainsi l’autorité suprême, disposant de tous les pouvoirs dans le cadre de sa mission au service du « bien commun » de la société. Aucune entreprise privée ne saurait disposer d’une telle autorité et répondre à pareil mandat. Seul l’État y est habilité par sa nature même. Il est le pouvoir et la voie du peuple.
Force est de constater que la « démocratie moderne » n’est pas arrivée dans tous les pays, dits démocratiques. Nombreux sont ceux qui vivent sous le pouvoir de constitutions à propos desquelles les peuples n’ont eu rien à dire, bien qu’ils auraient eu beaucoup à redire. C’est notamment le cas du Canada, du Québec et de bien d’autres pays dominés par des pouvoirs puissants qui n’ont pas vu la nécessité d’y impliquer leur peuple. Ces pratiques sont toutefois en voie de disparition. En effet, dans les pays émergents de l’Amérique latine, comme l’Équateur, la Bolivie, le Venezuela et certains autres, le premier geste posé par les nouveaux élus, fut celui de doter l’État d’une constitution, discutée et votée par le peuple. Une démarche, donnant ainsi à la démocratie ses lettres de noblesse. C’est la voie ouverte à ce qu’ils appellent la démocratie participative.
LE BIEN COMMUN
Qu’en est-il donc de ce « bien commun », raison d’être de tout État?
Il y a évidemment des variables d’un État à un autre, mais certains éléments plus essentiels que d’autres se retrouvent en tous. C’est le cas pour ce qui se rattache à la vie : accès aux biens essentiels à la subsistance, à la santé, à l’habitat, à la sécurité et au respect. C’est également le cas pour tout ce qui a trait aux connaissances et au savoir faire comme l’éducation, la culture, les arts, les métiers. C’est également le cas pour tout ce qui assure l’harmonie et le respect des libertés individuelles et collectives. Le « bien commun » c’est également toutes les richesses naturelles qui se retrouvent sur le territoire. Il y a les richesses minières, les richesses forestières, celles liées à l’eau et aux produits de la mer. Toutes ces richesses, appartiennent à la collectivité et doivent être protégées et exploitées de manière à ce que leurs principales retombées servent prioritairement à réaliser les grandes missions relatives au « bien commun » de la collectivité.
LES ÉLUS (ES)
Dans un monde parfait, les élus (es) sont ceux et celles qui prennent sur leurs épaules la responsabilité des grandes missions de l’État, prioritairement au service du « bien commun » de la société. Ils et elles sont les apôtres, mandatés (es) par le peuple, pour que toutes les ressources et les énergies de la nation servent au mieux et en toute priorité les intérêts liés au « bien commun » de tous et toutes, sans aucune discrimination. En somme, l’État est pour ainsi dire l’ « entreprise » du peuple dont les principaux gestionnaires sont les élus (es).
COMMENT COMPRENDRE ALORS LA PRIVATISATION DES MISSIONS DE L’ÉTAT?
Si les intérêts de l’État et du privé peuvent être parfois complémentaires, ils peuvent être également et très souvent en opposition. En ce sens, chaque fois que le « privé » peut s’approprier, directement ou indirectement, des pouvoirs de l’État, il s’en trouve renforci et le peuple, à travers l’État, y perd au change. Ce n’est pas pour rien que les pouvoirs du « privé » se font si présents auprès des élus (es) et parviennent souvent à s’en faire des alliés (es), travaillant davantage pour lui que pour le peuple.
Ainsi, nous en arrivons à élire des gouvernements qui deviennent des mandataires, non plus des intérêts du peuple, mais de ces pouvoirs « privés » aux intérêts, souvent en opposition à ceux du « bien commun ». Lorsque ce « privé » incite les élus (es) à couper dans les dépenses de l’État, particulièrement dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de la sécurité sociale il prend bien garde de ne pas remettre en cause ses avantages et privilèges fiscaux et autres dans ses relations avec l’État. Quant aux élus (es) qui se prêtent à ces pressions et incitations, ils et elles trahissent la confiance que le peuple a mise en eux et en elles.
Plus que jamais il importe de redonner à l’État toute sa place et pour ce faire un grand ménage s’impose à tous les niveaux de l’administration publique, des Sociétés d’État et des pouvoirs eux-mêmes. Une nouvelle conscience sociale doit permettre l’émergence d’un État au service du « bien commun ». Ce défi ne saurait se concrétiser sans l’élaboration d’une nouvelle constitution en qui le peuple saura se reconnaître. Tous les acteurs, intervenants et intervenantes, y trouveront leur place, mais le maitre du jeu demeurera toujours le peuple par l’intermédiaire de l’État, tel que défini dans une constitution démocratique.
Oscar Fortin
Québec, 10 mars 2012
http://humanisme. Blogspot.com
L'État - le Privé - le Bien commun - les élus (es)
Les principaux auteurs d'une constitution d'un pays... en deviennent les principaux bénéficiaires
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Formation en Science Politique et en théologie. Expérience de travail en relations et coopération internationales ainsi que dans les milieux populaires. Actuellement retraité et sans cesse interpellé par tout ce qui peut rendre nos sociétés plus humaines.
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7 commentaires
Oscar Fortin Répondre
15 mars 2012Merci M. Morin de porter à notre attention cette vidéo qui illustre merveilleusement bien les deux discours: celui des oligarchies qui souhaitent que les syndicats se fassent tout petit et plutôt silencieux d'une part et d'autre part celui des syndicats et mouvements sociaux qui prennent de plus en plus de place et qui trouvent que les oligarchies en mènent beaucoup trop large.
Revoir René Lévesque au meilleur de sa forme comme journaliste professionnel voyait, à l'époque, très clairement le problème à la racine des injustices et des grandes inégalités et était bien conscient que l'État servait davantage les oligarchies que le peuple. Les choses n'ont guère changé depuis ces années. Il y a bien eu des progrès que les oligarchies et les gouvernements à leur service s'acharnent à effacer de l'ardoise de la vie collective.
Archives de Vigile Répondre
15 mars 2012Voici une petite vidéo fort intéressante : « Quand René Lévesque répondait à Éric Duhaime à propos des syndicats ».
Marius MORIN
Oscar Fortin Répondre
14 mars 2012Pierre, merci pour votre commentaire qui invite à poursuivre la réflexion sur les mécanismes pouvant les mieux assurer une véritable représentation du peuple. Je sais que certains milieux questionnent beaucoup la pertinence des partis politiques et se font les promoteurs d'élection de candidats indépendants sur la base de leur pensée politique et de leur volonté de servir au mieux la communauté. Roméo Bouchard que vous connaissez sans doute très bien, travaille beaucoup cette idée. D'autres , comme vous le signalez, parlent de tirage au sort.
Dans les deux cas l'argumentaire me laisse sur ma faim. Je pense que toute pensée sociale et politique doit être portée et mise de l'avant par une organisation et des leaders qui s'en font l'incarnation dans un milieu donné. J'ai toujours à l'esprit que la réalité d'un peuple, d'un parti politique est toujours plus que la somme de ses membres. Il y a une synergie qui émerge des mises en commun qu'on ne peut se permettre de perdre.
En ce qui a trait à la méthode du tirage au sort, ça me laisse avec l'idée que n'importe qui a la vocation de servir dans un Parlement. Le tirage au sort présuppose ce postulat. Je pense qu'il faut que les personnes le veuillent et qu'elles aient des prédispositions pour assumer pareilles tâches. Il est important de maintenir, à travers des regroupements et des discussions, une dynamique entre les diverses façons de comprendre la vie en société et de travailler pour la servir au mieux.
Pour le moment, je m'intéresse davantage aux diverses manières d'assurer le fonctionnement des partis politiques et leur indépendance des groupes d'intérêts qui cherchent à les manipuler et à les infiltrer. Il faut également disposer des meilleures technologies pour éviter les fraudes électorales. Une nouvelle constitution devrait nous permettre d'avoir des représentations proportionnelles pour éviter des situations comme celle du parti conservateur à Ottawa qui gouverne avec moins de 25% de l'électorat canadien et moins de 40% de ceux et celles qui sont allés voter.
Je vais poursuivre ma réflexion sur le sujet en prenant bonne note des références que vous avez eu l'amabilité de me transmettre.
Archives de Vigile Répondre
14 mars 2012Très bon texte mais poussez plus loin votre réflexion et demandez-vous si la démocratie de représentation (l'élection, les élus) ne contribue pas en bout de ligne en une collusion entre les élus et l'Ordre marchand (le privé).
Demandez-vous aussi s'il ne serait pas plus efficace et plus démocratique de revendiquer le tirage au sort pour les charges publiques au lieu de l'élection.
Un excellent ouvrage sur le sujet est celui de Yves Sintomer intitulé : Petite histoire de l'expérimentation démocratique, publié aux Éditions La Découverte (Poche).
Un site merveilleux aussi à découvrir : celui de la constitution citoyenne du professeur Étienne Chouard que vous pouvez retrouver ici : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/
Pierre Cloutier
Oscar Fortin Répondre
14 mars 2012Je pense que le véritable travail sera celui de l'éveil, de la conscientisation des personnes et des peuples qui font des bonds qualitatifs chaque fois qu'ils réalisent qu'on se moque d'eux. Les pays de l'Amérique latine ont passé par bien des épreuves: coups d'État, persécution, emprisonnements,tortures, exploitation éhontée par des multinationales et des oligarchies nationales, agissant, avec la complicité des gouvernements, en toute impunité contre les intérêts des peuples. J'ose espérer que nous n'aurons pas à attendre ce chemin de croix pour retrousser nos manches. Il faut dire, également, que l'arrivée de leaders charismatiques et profondément dédiés aux intérêts de leurs peuples jouent également un très grand rôle. Il doit bien y avoir ici, quelque part, un Evo Morales, un Rafael Correa ou un Hugo Chavez qui ont cette passion pour construire une véritable démocratie participative qui soit vraiment au service du peuple.
Ici, dans nos sociétés chloroformées par la consommation et l'illusion d'un bonheur n'ayant pas plus de durée que celle d'un nuage de printemps, il est bien difficile d'en sortir. Il y a comme un électrochoc qui s'impose et je pense que nous n'en sommes pas très loin.
merci pour vos commentaires.
Archives de Vigile Répondre
14 mars 2012"dans les pays émergents de l’Amérique latine, comme l’Équateur, la Bolivie, le Venezuela et certains autres, le premier geste posé par les nouveaux élus, fut celui de doter l’État d’une constitution, discutée et votée par le peuple. Une démarche, donnant ainsi à la démocratie ses lettres de noblesse. C’est la voie ouverte à ce qu’ils appellent la démocratie participative."
Les élites d'Amérique latine sont rendus à un niveau de civilisation de beaucoup supérieur aux élites nord-américaines, en particulier par rapport aux élites canadiennes et québécoises.
On ne peut s'attendre à cela de nos élus au Canada et au Québec. Le bas niveau de civilisation dans lequel ils végètent les empêchent de songer à la démocratie participative.
Il y a toujours eu des civilisations attardées et rétrogrades et la civilisation canadienne et québécoise en est une, en particulier au niveau de ses élites mais aussi au niveau du peuple, car n'a-t-on pas les élites et les élus que l'on mérite?
Archives de Vigile Répondre
14 mars 2012Entièrement d'accord avec vous monsieur Fortin. Mais, comment le peuple peut-il se prendre en mains et se donner une vraie constitution alors que l'élite actuelle est sous l'emprise des intérêts privés qui sont prêts à tout, y compris la plus extrême illégalité pour maintenir son contrôle sur la société? Selon "leur" constitution,il est illégal pour le petit peuple, d'utiliser les armes pour obtenir gain de cause mais, eux (de l'establishment), n'hésitent pas à y avoir recours par l'entremise des gouvernements qui sont à leur service. A moins d'être civilisé, il n'y a qu'une seule loi dans la vie, c'est la loi du plus fort comme l'a dit Jean de LaFontaine. C'est pourquoi, le peuple civilisé, le peuple humaniste, est toujours perdant face à l'establisment capitaliste sauvage qui lui, est associal.