L'engagement de Nicolas Sarkozy envers George W. Bush - Loyauté unilatérale ou convergence des intérêts?

Géopolitique — nucléaire iranien



Quand deux chefs d'État se rapprochent et éprouvent de la chaleur l'un pour l'autre, la tradition et le cynisme en politique étrangère invitent l'observateur à regarder au-delà des personnalités pour chercher des causes plus systémiques, plus structurelles car, dit-on, les États ou ceux qui les représentent n'ont pas des amis mais des intérêts. Et les intérêts sont souvent conçus en termes de puissance.
Au regard du récent rapprochement entre le président français Nicolas Sarkozy et le président américain George W. Bush, cette tradition analytique en politique étrangère et en relations internationales, plusieurs fois centenaires, risque-t-elle d'être renversée? Il nous semble bien que non. Toutefois, si les États-Unis bénéficient certainement de l'appui de Nicolas Sarkozy à leur politique étrangère au sujet de l'Iran, la question qui subsiste est dans quelle mesure l'amitié entre les deux hommes, amorcée par Sarkozy depuis qu'il était ministre de l'Intérieur sous Chirac, profite aux intérêts de la politique étrangère française?
Il est notoire que George W. Bush et son équipe ont tendance à aggraver les crises nationales et internationales, se sont autoproclamés anti-establishment et perçoivent la politique comme un domaine où doit prévaloir le schéma ami-ennemi. Il est vrai que, comme l'estime M. Sarkozy, les États-Unis et la France partageaient la même conception de la liberté et des droits de l'homme. Toutefois, les événements d'Abou Ghraïb, les prisons de Guantanamo, l'espionnage sur les citoyens américains sans permission judiciaire, les enlèvements et les tortures par procuration sont là pour démontrer que les États-Unis et la France ne se ressemblent pas en matière des droits de l'homme; les États-Unis sous l'administration Bush ne ressemblent pas ce qu'ils étaient sous la majorité des administrations précédentes.
Schéma ami-ennemi
Si cette prétendue ressemblance en matière de liberté et des droits de l'homme n'est que pure rhétorique, il y a un autre domaine de ressemblance qui est bien réel: le schéma ami-ennemi qui domine la conception politique des deux hommes. Et ça, Sarkozy l'a bien compris quand il disait: «Mon attachement à la relation avec les États-Unis est connu. Il me vaut bien des critiques en France. Mais [...] j'assume cette amitié, j'en suis fier et je la revendique.»
Il a compris qu'il ne peut baser sa relation avec Bush sur le respect, la vérité, la diplomatie et le compromis, mais essentiellement sur la loyauté, une loyauté unilatérale, c'est-à-dire la sienne à l'égard de Bush pendant que la réciprocité n'est pas garantie. Et ça Tony Blair l'a appris à ses dépens, comme l'a bien remarqué Michael Ancram, le porte-parole conservateur en politique étrangère, à CNN en 2004: «[...] trop souvent dans le passé Tony Blair est parti à Washington et, au lieu de défendre les intérêts britanniques, il a plutôt fait ce que le président des États-Unis lui a demandé de faire et en oubliant qu'il est le premier ministre de la Grande Bretagne.»
Connaissant bien la déception des Britanniques, pourquoi Sarkozy veut-il remplacer Blair comme serviteur de Bush? Pense-t-il réussir là où Blair a échoué en soutenant le discours belliqueux de Bush au sujet de l'Iran, c'est-à-dire amener Bush à respecter la France comme puissance sur laquelle on peut compter? En cas d'attaques aériennes américaines contre les installations nucléaires, militaires, industrielles et les centres de commandement iraniens, qu'en serait le coût pour la France dans les pays arabo-musulmans et pour Sarkozy lui-même en France et en Europe? Il l'estime, sans doute, minime; c'est pourquoi il a tendance à vouloir rompre avec la diplomatie traditionnelle mieux équilibrée de la France qui se résume à essayer de convaincre l'Iran de négocier tout en rejetant le spectre d'une attaque militaire contre ce pays.
L'Iran, entre la France et les États-Unis
Dans un récent discours sur la politique étrangère, après son retour d'une visite informelle aux États-Unis, le président français a déclaré devant ses ambassadeurs que l'Iran pourrait être attaqué militairement s'il ne renonce pas à son programme nucléaire.
Même si les porte-parole de la présidence française crient haut et fort que la France n'a pas changé de cap sur l'impasse nucléaire entre les États-Unis et l'Iran, la récente déclaration de Sarkozy laisse entendre qu'il aurait eu des informations privilégiées qui le placeraient dans le secret des dieux, renforçant les rumeurs sur les éventuelles attaques américaines contre l'Iran. En effet, les observateurs se demandent quelle serait l'option militaire si les États-Unis se décident dans ce sens. Certains affirment aussi que les États-Unis se seraient préparés pour des attaques aériennes massives et excluraient une invasion terrestre à l'irakienne. Enfin, d'autres font des conjectures sur une éventuelle opération terrestre qui vise l'occupation de certaines régions stratégiques dans le sud de l'Iran.
Dans le cas du premier scénario, le soutien militaire français serait inutile. Advenant la mise en pratique des autres options, il n'est pas évident que le peuple français partagerait l'enthousiasme débordant de son président de s'associer à une autre erreur stratégique des résidus néoconservateurs de Washington. Par contre tout soutien diplomatique français ou autre serait bien apprécié par George Bush. Des bombardiers et des missiles de longue portée sont déjà prêts à détruire 10 000 cibles iraniennes en quelques heures. Ces cibles seraient entre autres: les installations nucléaires de l'Iran, son régime, ses forces armées, son appareil d'État et son infrastructure économique, et ce, en l'espace de quelques jours si ce n'est de quelques heures si le président Bush en donnait l'ordre.
Pourquoi une attaque sur plusieurs fronts si l'objectif est seulement de mettre fin aux activités nucléaires iraniennes? L'objectif initial de l'attaque changerait une fois les hostilités déclenchées. Les États-Unis et ceux qui les suivraient dans cette tâche -- comme Sarkozy -- viseraient alors à provoquer des révoltes internes dont l'objectif serait de réduire l'Iran à un État faible et en ruine.
Il y aurait toute une panoplie de Ahmed Chalabi prêts pour accomplir cette mission destructive pour le compte des États-Unis. Ils seraient recrutés parmi les exilés de la diaspora iranienne. L'échec de Chalabi et le catastrophe irakien seraient-ils assez forts pour dissuader les guerriers de Washington?
Soutenir les États-Unis dans un plan aussi destructeur pour gagner quoi en fait? La France de Sarkozy voudrait un rôle au Proche-Orient pour rompre avec sa marginalisation. Ne fût-ce un rôle subalterne. Elle veut être une médiatrice entre les forces politico-militaires libanaises et entre les factions paramilitaires irakiennes. Une tâche difficile parce que le terrain de la médiation au Proche-Orient est déjà occupé par Blair depuis sa démission comme premier ministre britannique. «Sacré Blair!», dirait Sarkozy.
Le président Sarkozy a besoin du soutien des États-Unis pour que la France intervienne au Tchad afin, dit-elle, de «protéger» les réfugiés du Darfour installés dans des camps dans ce pays. Mais personne n'est dupe. En réalité elle a besoin du concours des États-Unis et des pays européens pour sauver le régime tchadien de ses propres rebelles installés au Soudan. Ce régime tchadien, inféodé à la France, est menacé par des rebelles eux-mêmes soutenus par le Soudan.
Une éventuelle intervention de Sarkozy au Tchad, sous couvert de protéger les réfugiés du Darfour, rappelle l'ingérence de la France et de la Russie après la Grande Guerre dans les territoires arabes de l'Empire ottoman sous prétexte de protéger les communautés chrétiennes. Comme celle-là a produit des résultats non concluants, Liban et Syrie en témoignent, rien ne laisse présager une fin plus heureuse au Tchad et au Soudan cette fois-ci. Afin d'intervenir dans le confit soudanais, les États-Unis sont incontournables pour la France, car cette tâche nécessite une résolution des Nations Unies.
Si cette loyauté unilatérale se transforme en réciprocité entre les États-Unis et la France, Sarkozy réclamerait le titre de champion de la politique étrangère européenne. Enfin, l'Union européenne avec la France en tête se taillera un rôle dans les affaires d'importance stratégique mondiale. C'est peut-être ainsi que l'Alliance atlantique reconstruira sa cohésion. Toujours sur le dos des plus faibles!!
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Abdelkérim Ousman, Professeurs au Département de science politique et d'économique du Collège militaire royal du Canada

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