Partant d’une éducation pour tous au début des années ’60, nous sommes progressivement passés aux critères de la performance et, qui plus est, de l’excellence. Mais qu’avons-nous perdu en chemin? À partir du moment où l’école est devenue accessible à tous, l’utopie a été de penser et, pire encore, d’exiger que tous les élèves performent, atteignent l’excellence académique, en d’autres termes, se classent tous parmi les premiers. Se peut-il que nous ayons erré dans la définition que nous nous sommes donnée de l’excellence? Un jeune réussissant ses études secondaires avec une moyenne générale de 68% et ce, après avoir consenti des efforts constants, n’est-il pas aussi excellent qu’un autre ayant cumulé une moyenne de 84% et ce, sans qu’il ait fourni d’efforts significatifs?
Par ailleurs, il y a trente ans, un jeune qui terminait ses études était presque assuré d’obtenir un emploi dans quelque domaine que ce soit, la motivation à l’étude étant, de ce fait, facilitée par un contexte favorable à l’emploi. Petit à petit, certaines professions sont devenues contingentées, ce qui a contribué à la naissance d’un climat d'insécurité pour les jeunes qui persévéraient dans leurs études. L’abolition du cours classique et la naissance du Cégep contribuèrent à la prolifération des profils de cours et, par conséquent, des professions. C’est ainsi que le jeune de 16 ans (ce qui équivaut à la moitié de l’ancien cours classique) fait déjà face à un choix qui, sans être déterminant, l’engage vers un profil de cours qui pourrait, dès ce moment, lui fermer les portes de certaines professions. L’avènement des techniques, conduisant au marché du travail immédiatement après le cours collégial, est venu multiplié le choix qui s’offre à l’élève. Finalement, le jeune est confronté à un courant de mondialisation croissant le condamnant à se mettre au diapason, entre autres, des nouvelles technologies de l’information et de l’apprentissage d’une troisième langue.
Ces réalités nous conduisent inévitablement vers la problématique suivante : les résultats scolaires étant devenus le critère le plus important dans une société ayant privilégié la course à l’excellence, plusieurs élèves subissent rapidement, si ce n’est au primaire, au plus tard au secondaire, une démotivation conduisant, hélas souvent, au décrochage! C’est ainsi que des jeunes, pourtant talentueux, perdent le goût d’apprendre dans une école qui maintient le cap sur une excellence axée autour des performances scolaires.
Par ailleurs, placé devant un choix, à mon sens, prématuré, soit vers 16 ans, quant à un profil de cours, le jeune se sent souvent bousculé et non-préparé. De plus, le contingentement de certaines professions qui pourraient susciter son intérêt, allié à la prolifération des profils de cours, conduisent le jeune à une forme d’insécurité souvent déstabilisante. Ajoutons à ces observations que l’introduction accélérée des nouvelles technologies de l’information (NTIC) de même que le courant de mondialisation se sont souvent faits au détriment de l’enseignement des matières de base.
En ce qui a trait à la famille actuelle, sans jeter de jugement de valeurs sur les raisons qui ont conduit les deux membres du couple sur le marché du travail, force nous est de constater que, souvent, et ce dès le primaire, «l’enfant à clé» entre souvent à la maison sans présence pour l’accueillir. Lorsque les parents reviennent du travail, ils sont souvent fatigués et tendus, plus ou moins réceptifs à quelque forme de communication avec leurs enfants.
Il n’en fallait pas davantage pour que se produise un glissement du rôle traditionnel de la famille vers l’école actuelle qui s’est sentie, avec le temps, le devoir social de conjuguer avec cette nouvelle réalité familiale. Sans vouloir jeter le blâme sur qui que ce soit et, partant du principe que parents et éducateurs sont de bonne foi dans leurs relations avec les jeunes, il m’apparaît que ces derniers sont souvent ballottés entre deux mondes, celui, d’une part, de la famille, vivant ses préoccupations modernes, où les parents sont souvent confrontés à la tentation de succomber à la facilité du «oui» pour éviter de longues discussions qui conduiraient à des frustrations jugées inutiles et, d’autre part, le monde de l’école qui accueille le jeune devant une panoplie de règlements contraignants conduisant à toutes sortes de frustrations jugées, là, utiles, voire même nécessaires.
C’est ainsi que nos écoles se voient confrontées à des jeunes turbulents ou éprouvant des difficultés de concentration. Des spécialistes, orthophonistes, psychologues, travailleurs sociaux, etc…ont fait leur apparition dans les écoles dans l’intention de pallier la problématique d’approche de ce profil d’élèves. Des notions nouvelles sont apparues pour désigner ces élèves marginaux, soit hyper-actifs ou déficit d’attention. Des médicaments sont même apparus sur le marché. Cependant, après plusieurs années d’expérimentation de toutes sortes pour venir en aide à ces enfants, est-on en droit de se demander si nos efforts ont été utiles? Poser la question, c’est en partie y répondre! Je ne prétends pas que nous n’avons pas réussi à pallier certains problèmes reliés au comportement de ces jeunes, mais on doit à tout le moins constater que les difficultés subsistent ou, à tout le moins, s’estompent en partie à l’occasion, et parfois temporairement, dans certains cas!
Ces situations représentent des constats, non des jugements! Pourtant, je demeure convaincu que les enfants d’aujourd’hui ne sont ni mieux ni pires que nous l’étions à leur âge. S’il y a quelque chose qui a changé, c’est la société. Nos jeunes ont besoin, comme nous à l’époque, d’attention, d’une attention axée autour d’une relation adulte-enfant basée, bien sûr, sur le respect de leur personne mais aussi, sur le respect des autres. Ceci étant dit, il y a toujours eu et il y aura toujours des enfants dont le comportement semble déraper d’une ligne de conduite dite «normale». Cependant, nous aurions avantage à revenir à des interventions de base avant de les cataloguer, trop rapidement à mon avis, d’enfants éprouvant des déficits d’attention ou des comportements hyper-actifs.
Pendant ma carrière de trente-deux ans dans le monde de l’enseignement, il m’a été maintes fois donné l’occasion de demander aux jeunes quels avaient été les meilleurs moments vécus à l’école. Ils m’ont fait part spontanément de circonstances souvent anodines où le professeur avait fait preuve de compréhension, de reconnaissance et de respect de leur personne. Ils gardent en mémoire des paroles bienfaisantes et des gestes de bonté à leur endroit.
En terminant, laissons la parole à Marguerite Lavoie dans son livre intitulé À bas l’école passe-temps, vive l’apprentissage : « Je pense que pour enseigner efficacement dans le sens le plus englobant du terme, il faut d’abord être heureux, ce qui se devine par la sérénité, l’aménité et la congruence. Ce sont les étudiantes et le étudiants eux-mêmes qui définissent la bonne ou le bon professeur : celle ou celui qui ne se prend pas pour un autre, qui est capable de rire de nos farces et qui sait nous comprendre. »
Henri Marineau, ex-enseignant au secondaire
Québec
L'école québécoise contre vents et marées
Tribune libre
Henri Marineau2095 articles
Né dans le quartier Limoilou de Québec en 1947, Henri Marineau fait ses études classiques à l’Externat Classique Saint-Jean-Eudes entre 1959 et 1968. Il s’inscrit par la suite en linguistique à l’Université Laval où il obtient son baccalauréat et son diplô...
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Né dans le quartier Limoilou de Québec en 1947, Henri Marineau fait ses études classiques à l’Externat Classique Saint-Jean-Eudes entre 1959 et 1968. Il s’inscrit par la suite en linguistique à l’Université Laval où il obtient son baccalauréat et son diplôme de l’École Normale Supérieure en 1972. Cette année-là, il entre au Collège des Jésuites de Québec à titre de professeur de français et participe activement à la mise sur pied du Collège Saint-Charles-Garnier en 1984. Depuis lors, en plus de ses charges d’enseignement, M. Marineau occupe divers postes de responsabilités au sein de l’équipe du Collège Saint-Charles-Garnier entre autres, ceux de responsables des élèves, de directeur des services pédagogiques et de directeur général. Après une carrière de trente-et-un ans dans le monde de l’éducation, M. Marineau prend sa retraite en juin 2003. À partir de ce moment-là, il arpente la route des écritures qui le conduira sur des chemins aussi variés que la biographie, le roman, la satire, le théâtre, le conte, la poésie et la chronique. Pour en connaître davantage sur ses écrits, vous pouvez consulter son site personnel au www.henrimarineau.com
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