Jouer avec la question nationale

Par François Fournier

La nation québécoise vue du Québec

De nouveau, les acteurs politiques instrumentalisent la question nationale au Québec aux fins d'intérêts partisans. Le Bloc québécois a ouvert le bal en présentant une motion sur la reconnaissance de la nation québécoise au Parlement canadien dans le but d'obtenir un non retentissant à la Chambre de communes et de susciter une vague de conversions à la souveraineté au Québec. On croirait à la sincérité de la motion initiale du Bloc s'il s'était déjà montré ouvert, en parallèle au plan A de la souveraineté, à un plan B articulé autour d'une réforme de la fédération profitable aux intérêts nationaux du Québec. Or, tant s'en faut. Le Parti conservateur a répliqué avec le même genre d'approche partisane en ajoutant à la motion bloquiste de départ, neutre et descriptive, un combien chargé «dans un Canada uni». Or, «un Canada uni» n'exprime tout simplement ni la perception des Québécois, ni la vérité de ce pays depuis le rapatriement unilatéral de 1982, l'échec de Meech et le résultat référendaire de 1995.
Ajoutons que ces mêmes parlementaires canadiens n'avaient nullement ressenti le besoin d'ajouter «au sein d'un Canada uni» en adoptant, en décembre 1995, une motion reconnaissant que le Québec formait une société distincte au sein du Canada. Poursuivant le cirque, le Bloc a alors amendé sa propre motion en précisant que le Québec formait «une nation actuellement au Canada». Personne ne sera dupe du sous-entendu «pour le moment»: une provocation gratuite et immature qui n'apporte rien au Québec.
Essentiellement spectateur, le Parti libéral du Canada est tiré, in extremis, d'un mauvais pas dont il n'aurait pu gérer la sortie tout seul sans déchirements tant il est vrai que l'idée d'une reconnaissance nationale du Québec, malgré l'ouverture sincère de Michael Ignatieff, est contraire à la tradition philosophique de ce parti. C'est donc en se pinçant le nez, et afin d'éviter d'être rayé de la carte électorale au Québec, qu'une majorité de députés libéraux, dont Stéphane Dion et Bob Rae, appuieront la motion conservatrice.
Au Parti libéral du Québec, on exulte: on n'a rien eu à faire et on va continuer à pratiquer la position du missionnaire en matière constitutionnelle; en prime, les souverainistes se retrouvent sur la défensive. Même réaction béate du côté de l'ADQ, qui a largement délaissé l'idée de faire progresser la question nationale au Québec, pour mieux se consacrer à un agenda populiste et démagogue sur les questions sociales, culturelles et économiques. Enfin, le Parti québécois, lui, exige que la reconnaissance nationale du Québec s'accompagne d'effets tangibles, alors qu'il ne croit pas à la réforme de la fédération canadienne et que, tout comme le Bloc, il n'a développé aucun plan B à cet égard. Ses critiques sont donc dénuées de crédibilité. Au total, les Québécois sont mal, très mal, servis par l'ensemble de sa classe politique au plan de l'affirmation nationale.
Les acteurs politiques respectent-ils l'intelligence des citoyens du Québec en jouant de manière si opportuniste et puérile avec un enjeu aussi central que celui de la question nationale? Ces politiciens sont bien mal venus de réclamer moins de cynisme de la part des citoyens à leur endroit alors qu'ils ne cessent eux-mêmes d'être guidés par des considérations tactiques qui prennent le dessus sur une éthique de l'authenticité.
Quant au fond même de la motion conservatrice, une question légitime se pose et à laquelle conservateurs, libéraux et néo-démocrates doivent offrir une réponse aux Québécois de toutes allégeances: quel sens donnent-ils à l'ajout «dans un Canada uni»? Restreint-il la portée de la reconnaissance? Décrit-il une simple réalité politique objective, à savoir que le Canada est un pays formellement «uni», c'est-à-dire en paix plutôt qu'en situation de guerre civile? Ou doit-il se comprendre comme subordonnant toute mesure politique ou constitutionnelle d'amélioration de la place du Québec dans le Canada à un concept aussi subjectif que celui d'unité nationale? La reconnaissance de la singularité nationale du Québec constitue-t-elle à ce point un problème pour l'État multinational canadien qu'il faille, dans une même déclaration, l'affirmer et l'annuler? On ne badine pas avec la question nationale.
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François Fournier, Sociologue

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chercheur et ex-analyste à la commission Bouchard-Taylor





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