BARCELONE | Dans la société civile espagnole, le mot « dialogue » était le plus répandu jusqu’à ce matin.
Le gouvernement Rajoy, lui, n’avait que deux mots à la bouche : loi et Constitution, répétés inlassablement.
En fait, ils n’étaient pas que répétés. Ils étaient invoqués, psalmodiés avec une ferveur quasi religieuse par Madrid.
Mariano Rajoy, ses alliés et toute la presse espagnole hors Catalogne, unis comme jamais, brandissaient cette Constitution espagnole de 1978 avec la même ferveur qu’un islamiste brandit le Coran.
Brisure
Les réponses prêtes d’avance dispensent de réfléchir. Elles servent aussi à dissimuler l’incapacité à répondre aux questions compliquées.
Madrid invoque en effet une Constitution que des millions de Catalans rejettent depuis longtemps.
Quand un régime légal n’est plus perçu comme légitime, donc moralement acceptable, les lois qui en découlent sont vues comme des abus de pouvoir intolérables.
C’est exactement ce qui se passe ici. Nombre de Catalans modérés voient aujourd’hui la loi espagnole comme la loi du plus fort.
Pour eux, un contrat moral avec le reste du pays et ses institutions, qui était déjà fragilisé, a été rompu.
Beaucoup de Catalans à qui je parle voient dans le droit espagnol un outil de répression, utilisé excessivement, afin de donner un vernis légaliste à une dérive autoritaire.
On peut partager ou non ce point de vue. Je vous dis que c’est celui qui prédomine.
Derrière le légalisme de Madrid, on sentait aussi un désir de leur donner une bonne leçon à ces Catalans si turbulents. Il y avait beaucoup de testostérone juridico-policière à Madrid.
Plus largement, une constitution doit-elle être un document vivant, évolutif, qui doit tenir compte des changements sociaux ou est-ce un document gravé dans le marbre pour l’éternité ?
La brandir comme un horizon indépassable est cruellement ironique quand on sait qu’elle fut un compromis pour réussir la sortie de la dictature.
Il est d’autant plus ironique d’entendre Madrid qualifier le processus catalan d’antidémocratique quand on se rappelle qu’il est né d’un jugement qui invalidait une constitution catalane approuvée par les Parlements de Barcelone et... de Madrid... et par un référendum jugé légal à l’époque.
Radicalisation
Si les Catalans sont effectivement différents, il n’est que normal qu’ils demandent que cette différence ait des conséquences politiques, institutionnelles et légales.
Jamais Madrid n’a montré de volonté de s’asseoir sérieusement avec eux.
Presque inévitablement, les forces politiques catalanes modérées ont été dépassées par des forces plus radicales.
Oui, le gouvernement catalan de M. Puigdemont a foncé tête baissée, mais c’est l’intransigeance de Madrid qui l’a radicalisé.
Comble de l’ironie, au cœur de l’argumentation ultra-simpliste de Madrid, un sophisme gros comme la cathédrale de Séville : on reproche au référendum de se faire sans garanties juridiques alors que la loi ne donne aucun espace juridique à cet effet.
Il suffit d’examiner le processus très politisé de nomination des juges du Tribunal constitutionnel pour savoir d’avance ce qu’ils vont dire.
La grave fracture sociale aujourd’hui révélée est là pour rester.