Vous êtes en train de lire mon 500e texte sur Vigile. Intimidé par ce cap, je me demandais si la conjoncture politique allait me fournir le matériel d’un bon papier. Or je suis bien servi. Le référendum tenu en Écosse la semaine dernière aura constitué un révélateur extraordinaire de toute la mauvaise foi avec laquelle le système en place est disposé à s’assurer de sa perpétuation.
Il faut d’abord savoir que la règle du jeu n’a pas été respectée, comme l’ont rapporté de nombreux articles dans la presse écossaise ou étrangère que nous avons mis en ligne sur Vigile au cours des dernières semaines. Non seulement y a-t-il eu de graves irrégularités avant le vote lorsque le gouvernement britannique a été pris en flagrant délit de tricherie qui n’ont pas été sans rappeler aux Québécois l’expérience du référendum de 1995, mais il y en a eu également dans le scrutin comme l’ont démontré des vidéos enregistrées en temps réel sur certains lieux de votation.
La réalisation que le référendum avait pu être volé a amené le premier ministre Salmond, qui avait déjà annoncé sa démission prochaine au lendemain du scrutin, à tirer la seule conclusion possible dans les circonstances, soit qu’il y avait pour toute nation d’autres moyens qu’un référendum pour accéder à l’indépendance.
Effectivement, comme il le soulignait en entrevue, rien n’empêche un gouvernement majoritaire de déclarer unilatéralement son indépendance, même s’il avait jusqu’alors privilégié la voie référendaire. Une déclaration unilatérale serait d’autant plus susceptible d’être reconnue par la communauté internationale que la tenue d’un référendum pourrait avoir été écartée en raison de l’impossibilité d’empêcher la fraude du scrutin, comme le démontrent le cas du Québec en 1995 et celui de l’Écosse en 2014.
Au demeurant, le critère le plus important pour la communauté internationale est toujours celui de l’effectivité. L’État qui demande sa reconnaissance est-il entre les mains d’un gouvernement solide ? Le mandat de ce gouvernement témoigne-t-il de l’existence dans cet État d’un authentique vouloir-vivre collectif ? Est-il en mesure de faire respecter ses frontières et ses lois, en plus d’assurer la protection de ses citoyens ? Autant de paramètres que satisferaient d’emblée le Québec et l’Écosse s’ils devaient cogner à la porte de la communauté internationale pour demander à se voir reconnus comme États indépendants.
L’aveu de Jean Chrétien
En ce qui concerne la preuve de l’impossibilité d’empêcher toute fraude lors d’un référendum, les indépendantistes du Québec et d’Écosse doivent une fière chandelle à Jean Chrétien, premier ministre du Canada au moment du référendum de 1995, qui vient de la leur livrer sur un plateau d’argent. En effet, voici ce qu’il déclarait il y a quelques jours au SundayPost, un hebdomadaire de Dundee :
[...] Au Canada, deux semaines avant le référendum, le camp du OUI menait par une marge de 8 à 10 points dans les sondages. La question était délicate pour nous car il s’agissait d’une affaire qui relevait du gouvernement du Québec, et dont le gouvernement fédéral que je dirigeais n’avait pas le droit de se mêler.
Mais dans les derniers jours, je me suis dit « Au diable les règles ! », et nous avons organisé un immense rallye à Montréal où nous avons fait venir des milliers de personnes [de partout au pays] pour signifier aux Québécois notre souhait de les voir rester avec nous. [...]
[Ma traduction et mes caractères gras]
Voici la version originale de cet aveu, telle que parue dans le SundayPost :
[...] In Canada two weeks before the referendum in 1995 Yes were suddenly eight to 10 points ahead. It was more difficult for us because it was a provincial issue and the federal government I led could not get involved.
“But in the last nine days I said to hell with the rules and organised a huge meeting in Montreal in which thousands of people flew in to send a message that we wanted Quebec to stay with us. [...]
Il ne peut y avoir de meilleure preuve de l’impossibilité d’empêcher la fraude lors d’un référendum que cet aveu. Jean Chrétien était le premier ministre en 1995 et il reconnaît avoir pris la décision d’enfreindre les règles et donné des ordres à cet effet.
Avec ce que la Cour suprême nous a appris sur la démarche du rapatriement en 1982 (légal mais illégitime), après que la Cour suprême ait confirmé le droit du Québec à la sécession (1998), après ce que la Commission Gomery nous a appris sur le modus operandi du gouvernement fédéral pendant le référendum de 1995, après ce que Normand Lester et Robin Philpot nous ont appris sur « Les secrets d’option Canada » en 2006 , après les conclusions du Rapport Grenier en 2007, après ce que l’historien Frédéric Bastien nous a appris sur les rapports incestueux entre la Cour suprême et le gouvernement Trudeau en 1982, après l’aveu de Jean Chrétien sur les violations commises par son gouvernement en 1995, le déficit de légitimité du gouvernement fédéral que j’avais identifié en 1997 comme la cause des référendums de 1980 et de 1995 dans mon ouvrage intitulé La Prochaine Étape – Le défi de la Légitimité}, publié aux Éditions Stanké, ne peut désormais plus être comblé.
Élimination du verrou référendaire
Le verrou référendaire qui retient le Québec enfermé dans le Canada depuis 1973 lorsque Claude Morin a proposé ce moyen de réaliser l’indépendance aux péquistes en congrès, après, selon son propre aveu, des discussions avec les plus hauts mandarins fédéraux, vient de sauter.
Le référendum passe de la première étape du processus de l’accession à l’indépendance à la dernière, essentiellement pour avaliser sur le plan juridique (de jure) un état de fait (de facto) qui se sera matérialisé au moment de sa tenue.
La discussion sur l’indépendance peut maintenant reprendre sur de nouvelles bases plus pragmatiques, comme celle de la nécessité de se doter d’un rapport de force adéquat pour y parvenir. Parmi les moyens dont nous disposerons lorsque le PQ (ou un autre parti indépendantiste existant ou à naître) reprendra le pouvoir, aucun n’offre de meilleur potentiel que l’utilisation de la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec, mieux connue sous le nom de Loi 99, adoptée sur division en 2000 et confirmée à l’unanimité en 2013 sur adoption d’une motion de l’Assemblée Nationale à cet effet. Cette unanimité confère à cette loi une légitimité exceptionnelle.
Comme je l’ai souligné l’an dernier au moment de l’adoption de la motion de l’Assemblée Nationale dans un texte intitulé Comment se débarrasser d’une reine sans la guillotiner, en vertu de cette loi, tout gouvernement indépendantiste nouvellement élu avec une majorité des sièges à l’Assemblée Nationale serait en mesure, dès l’assermentation de ses membres, de poser un premier geste d’indépendance à l’endroit du régime fédéral en prêtant serment d’allégeance au peuple québécois plutôt qu’à la reine.
Vu le niveau traditionnellement très faible de soutien à la monarchie au Québec, cette décision serait applaudie au Québec, et elle placerait le gouvernement fédéral devant un fait accompli qui ouvrirait obligatoirement la porte à des négociations après quelques manifestations de crispation au Canada anglais. Maîtres au jeu du fait accompli qu’ils pratiquent sans vergogne contre nous depuis la Conquête, ils comprendraient vite où est leur intérêt.
La suite passerait à l’histoire. À nous de la faire !
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