Jamais le Québec n’a été si anglophone et jamais le Canada n’a été si bilingue, titraient les divers journaux québécois la semaine dernière à l’occasion de la parution des données linguistiques du premier recensement de l’ère Trudeau. Déjà s’emballent les sbires du « sans-frontiérisme » et les chantres du libéral-progressisme : le Québec s’assouplit, s’ouvre au monde, et le Canada n’a jamais été si prompt à embrasser son noble multiculturalisme. Le Québec, dont les velléités nationalistes ont contribué à ce qu’il soit si souvent décrit par ses ennemis nationaux comme une enclave peuplée de psychorigides à tendance xénophobe, aurait-il aujourd’hui enfin décidé de participer à la vertueuse aventure canadienne ?
Le Québec est une culture
Ne soyons pas dupes du pitoyable festivisme de notre époque, il n’en est rien. Derrière ces chiffres se cache une toute autre réalité, beaucoup plus politique et beaucoup moins mièvre: le Québec est une culture et le Canada, pays culturellement stérilisé par le multiculturalisme de la Charte canadienne de 1982, devient aujourd’hui le porte-étendard conquérant du rouleau-compresseur civilisationnel anglo-protestant.
Le penseur français Régis Debray publiait récemment chez Gallimard un nouvel opus intitulé Civilisation, riche réflexion sur le déclin de l’Europe et l’infini pouvoir de conquête de l’esprit « gallo-ricain ». Il y oppose deux concepts fondamentaux : culture et civilisation. Une civilisation est offensive ; elle conquiert et convertit. Une culture est défensive ; elle résiste et survit. L’auteur fait appel à la lucidité de Paul Valéry, qui voyait venir le déclin de l’Europe au sortir de la guerre de 1914-1918 : « Ne sachant nous défaire de notre propre histoire, nous en serons dégagés par des peuples heureux qui n’en ont point ou presque point. »
Adieu veau, vache, nation…
Revenons maintenant à l’état du Québec d’aujourd’hui dans ce Canada multiculturel triomphant. À l’heure où la quasi totalité de l’élite médiatico-intellectuelle d’Occident devient incapable de réfléchir en dehors des ornières hégémoniques du libéral-progressisme, les Québécois sentent leur force nationale les abandonner et se voient même encouragés par les nouveaux curés du politiquement correct à laisser aller au diable vauvert leurs aspirations collectives au nom de préceptes moraux qu’il est interdit de remettre en question (ouverture à l’autre, « pax liberalis »). L’économique nous soumet à ses caprices, le rationalisme matérialiste écrase la pensée libre et le droit remplace lentement le politique.
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Or, pour reprendre la pensée de Carl Schmitt et de Julien Freund, le politique est une condition essentielle de l’humanité. Il est l’essence qui permet notamment aux individus de dépasser leur existence privée et de former des collectivités organisées, des peuples capables de reconnaître « l’Autre que Soi », et donc de se reconnaître eux-mêmes comme des « Soi ». La déliquescence du politique en Occident entraîne conséquemment cette dilution des collectivités qu’on appelait jadis des nations. L’affaiblissement des cultures nationales comme celle du Québec en est un symptôme terrifiant.
Sans « Soi », point « d’Autre que Soi »
Mais qui, aujourd’hui, s’en inquiète autrement qu’avec la légèreté dont on se préoccupe de la disparition lente d’un folklore sympathique ? Quelques esprits chagrins, sans doute, qu’on soupçonnera au détour d’être, comble de l’hérésie, xénophobes car méfiants face à l’avancée du bienveillant conquérant « gallo-ricain » et de ses alliés objectifs, ou conservateurs car attachés à l’idée d’enracinement.
Que reste-t-il aujourd’hui du Canada français qu’enflammait le général De Gaulle il y a 50 ans avec son « Vive le Québec libre » ? Qu’est devenue l’élite naissante qu’il célébrait alors dans chaque halte qu’il faisait le long du Chemin du Roy ? La réponse n’est guère réjouissante. Avec la crainte juvénile du conflit idéologique qui découle de sa conversion du libéral-progressisme anglo-protestant, elle apparaît plus colonisée que jamais. Elle se confirme comme grande ouvrière de l’appauvrissement de l’écosystème culturel occidental et planétaire, elle qui, pourtant, chante chaque jour à tue-tête son amour de la diversité et de « l’Autre ». Elle oublie, hélas, que sans « Soi », point « d’Autre que Soi ». Ce faisant, elle condamne des cultures exceptionnelles, comme celle du Québec francophone, à une disparition à moyen ou long terme. Son imposture ne connaît aucune limite, et sa capacité à trahir ses propres concitoyens et sa nation, hélas, ne semble pas le moins du monde s’essouffler.
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