Une attaque militaire contre le régime des ayatollahs est-elle possible? Les roulements de tambour en provenance de Jérusalem se font insistants, avec ou sans la complicité des États-Unis. En fait, des attaques secrètes ont déjà lieu. Quant aux provocations et rodomontades en provenance d'Iran, elles ne font rien pour apaiser les craintes, alors qu'une sourde lutte pour le pouvoir se joue, à Téhéran, entre «durs» et «moins durs», divisés sur la tactique à adopter.
Dans un monde guetté en 2012 par une accumulation angoissante des dangers — crise dramatique des finances publiques en Europe; montée de l'extrême droite en Hongrie et ailleurs; impuissance d'un président américain en campagne de réélection, ligoté par l'extrême droite au Congrès; convulsions arabes qui s'installent dans la durée, avec des détours parfois inquiétants —, la dernière chose dont on aurait besoin, c'est une guerre entre l'Iran et l'Occident.
Non seulement une telle guerre — qui pourrait impliquer, et pas nécessairement dans cet ordre: le blocage du détroit d'Ormuz par l'armée iranienne, des bombardements israéliens sur l'Iran et un embargo occidental contre le pétrole iranien — serait une folie aux probables effets pervers, mais elle pourrait encore accentuer la récession européenne et mondiale.
Or, il y a clairement, aujourd'hui, des forces qui poussent en ce sens. L'alarmisme sur le programme nucléaire iranien, partagé à des degrés divers par Jérusalem, Washington, Paris et Berlin, donne l'occasion à une sourde campagne de se développer, qui rappelle de mauvais souvenirs. On se croirait presque revenu au premier mandat de George W. Bush, aux lendemains du 11-Septembre, alors que les neocons s'en donnaient à coeur joie et imposaient une tonalité unique au discours public sur la guerre.
On s'en souvient: dans une ambiance quasi orwellienne, toute discussion sur la justification et l'opportunité d'une attaque contre l'Irak était de facto censurée, les rares voix discordantes dénoncées comme antipatriotiques et vite marginalisées.
La presse libre de la plus grande démocratie du monde — y compris ses meilleurs titres — traversera alors une éclipse de plusieurs mois. Le New York Times reviendra plus tard, dans un spectaculaire mea culpa, sur cet épisode honteux au cours duquel le grand journal a accrédité, à travers les écrits d'une journaliste qui recrachait la propagande du Pentagone, la thèse mensongère qui allait justifier l'invasion de l'Irak.
Aujourd'hui, ce même New York Times écrit qu'Israël a déjà commencé sa guerre de l'ombre contre l'Iran, plus ou moins encouragé — ce dernier point n'est pas clair — par les États-Unis. Propagande ultra-alarmiste, discrédit jeté sur quiconque ose en douter, refus d'envisager des discussions ultérieures, campagne d'assassinats contre des scientifiques iraniens (le dernier en date: un jeune chimiste dans la trentaine, tué par une bombe mercredi dernier, en pleine heure de pointe à Téhéran). «Les experts estiment que cette campagne est l'oeuvre d'Israël», ose écrire le journal.
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Ce qui est censuré aujourd'hui, et qui n'est plus recevable dans la plupart des grands médias américains et dans un grand nombre d'officines occidentales, c'est un discours mesuré sur la question nucléaire iranienne. Un discours qui refuserait l'alarmisme et l'hystérie.
Un discours qui dirait par exemple: attendez, les Iraniens n'ont pas encore la bombe. Ils collaborent encore — plus ou moins bien — avec l'Agence internationale de l'Énergie atomique (AIEA) et ils pourraient encore s'en tenir au nucléaire «civil».
Ou qui dirait: ils veulent la bombe? Normal, presque tous les pays autour d'eux l'ont déjà! Un discours qui rappellerait qu'entre autres puissances nucléaires à proximité de l'Iran, il y en a une qui s'appelle Israël, qui refuse toute autorité de l'AIEA sur son programme et qui dispose, elle, de plusieurs dizaines de têtes nucléaires, prêtes à l'usage au quart de tour.
Un discours qui avertirait, comme l'a fait début 2011 l'ancien directeur du Mossad Meir Dagan, qu'une attaque contre l'Iran est «une idée stupide», aux conséquences incalculables. Ou encore qui ferait valoir qu'«il est possible de vivre avec un Iran nucléaire, comme on a vécu avec l'URSS ou avec la Chine maoïste dotés de la bombe atomique» (John Abizaid, ex-haut gradé de l'armée américaine, en 2007).
Non, aujourd'hui aux États-Unis, de tels points de vue sont devenus pratiquement inaudibles. Et ce, même si le coeur de la désinformation, en 2012, ce n'est plus la Maison-Blanche ou le Pentagone, comme en 2002 et 2003.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses textes à l'adresse http://blogues.radio-canada.ca/correspondants.
Iran, la marche à la guerre ?
Une attaque militaire contre le régime des ayatollahs est-elle possible?
Géopolitique — Proche-Orient
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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