Comme si la commission Bouchard-Taylor n'en n'avait pas assez fait, il fallait bien reprendre le débat. Celui-ci s'est poursuivi, là où il avait été laissé, sur le terrain de la langue. Thème sensible, et médiatiquement porteur, rapidement les commentateurs et animateurs d'émissions culturelles ou d'affaires publiques ont relancé le débat.
L'intégration des immigrants se faisait-elle assez rapidement, trop lentement ou pas du tout? Peu importe les chiffres, peu importe les arguments, l'avenir de notre société était en jeu et les immigrants, encore une fois, en étaient responsables. Pas nous, mais eux. Pourquoi n'adoptent-ils pas nos comportements? Mais nos comportements sont-ils si exemplaires pour maintenir notre culture encore vivante?
Derrière tous ces discours tenus par l'élite médiatique francophone, pour une plus grande intégration des immigrants à la langue française et à la culture québécoise, une certaine imposture semble se cacher. Chantre de la défense et de la promotion de la langue française, il est cependant intéressant de voir que cette élite, lorsqu'elle s'intéresse à la culture populaire, c'est principalement à la culture anglophone qu'elle fait référence. À la simple écoute des émissions culturelles radio-canadiennes ou télé-québécoises on remarquera rapidement que les animateurs, animatrices et invités s'intéressent principalement à la culture anglophone. Il en est de même de la part des journalistes culturels des quotidiens montréalais.
Grandes vedettes anglo-saxonnes
Cette élite s'extasie devant les grandes vedettes anglo-saxonnes de la pop et moins pop-music. Les plus intellectuels du groupe, probablement ceux qui maîtrisent mieux la langue anglaise, applaudissent le retour de Clapton, Dylan ou du Boss, les autres s'extasient devant Madonna ou U2, et d'autres, à notre grande surprise, vont même à s'attarder aux Spice Girls.
Du côté cinéma, la situation est en tout point comparable, sinon pire en termes d'imposture, car pendant que d'un côté elle défend le doublage en français au Québec, elle va voir les films en version originale anglaise pour mieux sentir le jeu des acteurs, allant même au passage à considérer un peu quétaine l'écoute d'un film doublé. Pour mieux se rendre compte de cet attrait pour le cinéma américain, regardez bientôt tout le déferlement qui se produira autour de la remise des Oscars.
L'univers télévisuel n'échappe pas à cet engouement pour la langue de l'Autre. Elle regarde Desperated Housewifes, 24, Dr Grey et combien d'autres séries en anglais même si celles-ci sont diffusées en français. Et pour être bien au fait de cet univers culturel anglophone très people, elle écoute religieusement Jay Leno et tous les autres talk-show de fin de soirée. Évidemment, elle regardera le Super Bowl en anglais pour ne pas manquer les dernières publicités de Budweiser.
Finalement, on peut supposer qu'à la maison traînent sur leur table à café, Wall Paper, Harper's, New York Times, Vogue, Metropolitan Home et Martha Stewart, plutôt que Clin d'oeil, Décormag ou Manon, tu m'inspires. Sans oublier qu'elle chat, mail, google et surf sur des sites probablement anglophones.
Pendant ce temps, cette même élite discute à savoir qu'elle est la meilleure mesure pour évaluer l'intégration des immigrants: la langue parlée à la maison ou la langue parlée en public et comment faire pour s'assurer qu'ils s'intègrent à notre culture. Cette élite devrait pourtant bien s'avoir que la culture ne s'acquiert pas en parlant, mais en écoutant, en regardant et en lisant. Et là est l'imposture, on voudrait que ces nouveaux arrivants s'intègrent à la culture francophone, alors qu'elle s'y intéresse de moins en moins. Qu'ils préfèrent Tricot Machine à Mica, la pop star de l'heure, qu'ils regardent Le Banquier plutôt que Deal or no deal, Perdus plutôt que Lost. Et on reste surpris qu'ils ne se nourrissent pas d'une langue à laquelle nous ne nous abreuvons même plus.
Peu de place
Comment, en plus, exiger qu'ils s'intègrent à notre culture quand cette élite médiatique lui fait très peu de place. Où sont les étrangers à la télévision, à la radio, dans les journaux, quelle place leur fait-on? Les plus chanceux auront un rôle de délinquant, de prostituée ou de batteur de femmes.
On demande beaucoup à nos immigrants, on voudrait qu'ils aillent vivre dans les régions qu'on quitte, qu'ils occupent les emplois qu'on ne veut plus, qu'ils fassent les enfants qu'on ne fait plus, qu'ils parlent la langue qu'on abandonne, finalement qu'ils sauvent notre culture qui nous indiffère de plus en plus. En somme, on voudrait qu'ils nous sauvent de notre disparition.
Et c'est peut-être là la plus grande imposture, ne pas admettre que nous sommes sur le point de nous éteindre en tant que peuple fondateur de cette unique société francophone d'Amérique, et surtout ne pas reconnaître que nous sommes les seuls responsables de cette extinction. Au cours de la prochaine décennie, la population québécoise ne s'accroîtra plus de façon naturelle, plus de Québécois mourront qu'il en viendra au monde. D'ici quelques années à peine, notre croissance démographique dépendra des nouveaux arrivants. Notre faible fécondité fera en sorte que d'ici un peu plus d'un siècle nous allons complètement disparaître.
Autre imposture, nous savons tous très bien, même si nous aimons mieux ne pas l'avouer, qu'en choisissant uniquement le français, les immigrants se mettent eux-mêmes sur la voie de garage et qu'ils constituent le nouveau sous-prolétariat de demain. Il ne faudrait pas s'étonner qu'un jour ils remettent en question cette décision, comme le font de plus en plus de Québécois francophones.
Le Québec est aujourd'hui à la croisée des chemins, entre la conservation de son passé et l'intégration dans une société mondialisée de plus en plus anglicisante. De toutes les nations, c'est assurément le Québec qui aura les plus lourds défis à surmonter. Pour y arriver il faudra cesser d'accuser l'autre pour commencer à se regarder tel que nous sommes, car comment leur demander à Eux d'être ce que Nous sommes de moins en moins.
Photo -- Les ministres Christine St-Pierre et Yolande James. (Photo PC)
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Daniel Gill
L'auteur est professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal.
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