Jeudi passé 4 juillet, vers trois heures, j'étais dans les rues de Mons. Un haut-parleur qui diffuse de la musique laisse place à un homme qui annonce brièvement que le roi s'adressera au pays à 18h. Tout le monde devine qu'il va annoncer qu'il abdique.
La premier attentat à l'explosif à Mons
Mons est la ville dont le futur bourgmestre Léo Collard, déjà député au parlement fédéral, socialiste plutôt du centre et Wallon modéré, déclarait le 18 juillet 1950 à la Chambre : «La Wallonie est menacée d'un mouvement incontrôlable et irrationnel de nature morale et psychologique [[Annales parlementaires, session chambres réunies, 18 juillet 1950 cité par Paul Theunissen, 1950, le dénouement de la question royale, Complexe, Bruxelles, 1986, p. 88.]].» Le roi Léopold III revenait au pays et comptait bien régner à nouveau.
A la veille même du retour d'un roi qui s'était accommodé de la présence allemande et qui avait capitulé contre l'esprit de la Constitution belge le 28 mai 1950, un premier attentat a lieu à Mons, vers 6 h du matin, contre la ligne de tramways passant devant le Vaux-Hall. Soit trois jours plus tard, le 21 juillet, confirmant la justesse de l'analyse de Léo Collard. Des dizaines d'attentats auraient encore lieu partout en Wallonie et une grève générale massive.
Le 27 juillet, le leader syndicaliste liégeois, André Renard, qui a d'ailleurs rallié le Congrès national wallon à son assemblée extraordinaire de Charleroi en mars 1950, fait diffuser le communiqué suivant d'une rare éloquence : «La grève sera générale, illimitée, totale. Aucun soin ne sera pris de l'outillage. Nous laisserons se noyer les charbonnages. Les hauts fourneaux n'ont pas été bouchés; les cockeries sont abandonnées. On ne nous a pas pris au sérieux. Tant pis! A partir d'aujourd'hui, les mots «révolution» et «insurrection» auront pour nous un sens pratique. Nous les emploierons dans notre vocabulaire de tous les jours. Nous irons jusqu'au bout et nous ne reculerons devant rien. Léopold II a voulu la bataille. Le voilà servi!» (Le Soir, 28 juillet 1950).
Après une déclaration pareille, Léopold III n'a plus qu'à se retirer car Renard ne parle pas en l'air. Deux jours plus tard les gendarmes belges ne tirent pas non plus en l'air et leurs fusils laissent trois morts sur la place du village de Grâce-Berleur, sur les hauteurs de Liège, un quatrième, blessé grièvement, décède deux ou trois jours plus tard. Trois de ces hommes étaient d'anciens résistants. Ce que n'avaient pas pu faire les nazis, les gendarmes léopoldiens s'en chargeaient. Lorsque, après le retrait de Léopold III son père (le 1er août au matin), Baudouin I prête serment devant les Chambres réunies, le 11 août, un cri s'élève des travées de la Chambre : «VIVE LA REPUBLIQUE!», lancé d'une voix terriblement forte et convaincue. On l'attribue à Lahaut, président du Parti communiste. Sept jours plus tard, Julien Lahaut est assassiné à son domicile par un homme d'extrême droite qui n'est identifié que depuis peu grâce à la télévision flamande qui suit l'affaire de près.
La désolante attitude des dirigeants wallons actuels : Flahaut
Bon! le roi Albert II va abdiquer le 21 juillet à 11 heures et son fils va prêter le serment constitutionnel à 12h.45 devant les Chambres réunies sous la présidence d'André Flahaut. On a demandé à André Flahaut, Président de la Chambre des représentants et socialiste, s'il ne redoutait pas des incidents lors de la prestation de serment. Avant de lire des déclarations qui n'ont pas indigné qu'un petit nombre de personnes, il faut savoir que lors de la prestation de serment d'Albert II, en août 1993, le député Van Rossem a aussi crié un Vive la République! Sans doute moins tragique et moins authentique (Van Rossem s'est rendu coupable entre autres de malversations et son existence politique a été éphémère, alors que Lahaut, alors âgé de près de 66 ans, était un leader populaire, ayant eu le courage de mener une grève générale sous l'occupation allemande).
Or voici ce que dit André Lahaut, lorsqu'on lui pose la question de savoir s'il ne redoute pas des incidents : l'hebdomadaire flamand Knack a enregistré sa réponse : «Où est Monsieur Van Rossem? Et où est Monsieur Lahaut?», le journal ajoute «Il fronce éloquemment les sourcils sur un ton complice et dit "Hé" (manière de poser la question par rhétorique : vous savez où sont ces petits trublions?»)
Que Lahaut ait été communiste ne peut pas justifier une telle réponse. Il y eut longtemps en Wallonie une sorte de complicité entre socialistes et communistes (les premiers ont toujours condamné le totalitarisme soviétique), dans la mesure où les deux partis avaient leurs électeurs dans la même classe sociale.
La désolante attitude des dirigeants wallons actuels : Di Rupo
Elio di Rupo y va plus fort encore. Hier à la télé, on présente une déclaration où Bart De Wever, bourgmestre d'Anvers et leader du parti dominant en Flandre, la nationaliste NVA, se moque du Prince héritier (le successeur d'Albert II qui va s'appeler Philippe I), disant qu'il l'accueillerait volontiers à l'Hôtel de Ville s'il voulait y venir manger. Di Rupo se met en colère disant qu'attaquer la monarchie c'est se moquer des institutions belges.
Le Premier ministre Di Rupo - encore un Montois, encore un socialiste mais pas du genre à faire sauter des explosifs en l'honneur du retour d'un roi - s'en est pris au leader nationaliste flamand parce qu'il estime que s'attaquer au roi, c'est s'attaquer à la Belgique et son unité. On pourrait discuter la question de savoir si en Belgique le roi fait l'unité du pays. Dans la mesure où on le croit peut-être. Mais, comme le disait déjà en 1960 l'Américain Arango : dans une monarchie constitutionnelle, le roi n'est pas celui qui met en oeuvre le consensus, mais le symbole de celui-ci, car le consensus vient de plus loin et de plus profond. Et on sait qu'en Belgique, il n'existe pas vraiment. Sauf que personne ne veut en arriver à la violence (comme en 1950, justement, car on s'en souvient). D'ailleurs Albert II l'a admis lui-même dans son discours du 4 juillet : «notre pays peut compter sur un atout extraordinaire, vous mes chers compatriotes». Il ajoutait aussi que le rôle du roi est «de se mettre au service de la démocratie». Son père n'aurait certes jamais prononcé ni la première, ni la deuxième de ces phrases et son frère (Baudouin I, l'assassin de Patrice Lumumba), pas davantage.
Je pense d'ailleurs qu'Elio Di Rupo se trompe quand il dit que se moquer de la monarchie, c'est se moquer des institutions. Nos institutions sont des institutions démocratiques et le devoir d'un Premier ministre (le roi le fait bien!), serait de relativiser le rôle de la monarchie. L'un des grands rédacteurs de la Constitution belge en 1830, Jean-Baptiste Nothomb, déclare après qu'elle est votée en 1830 : « L'hérédité et l'inviolabilité sont deux fictions politiques, deux fatalités publiques, deux exceptions dans l'ordre social. Face à ces fictions se dresse, toujours menaçante, la souveraineté du peuple qui, dans les cas extrêmes, les brisera sur-le-champ. »
Quand on rampe, on n'est pas digne de diriger un peuple
Il est désolant de constater cette servilité, cette manière de ramper au bas du trône de trop de dirigeants wallons et d'abord les socialistes. Jean-Claude Marcourt que je croyais plus régionaliste, pense devoir dire que c'est le futur roi qui devra mener les missions économiques à l'étranger (pourtant plus de compétence fédérale!), aussitôt rabroué par une ministre régionale bruxelloise pourtant du parti le plus fidèle à la monarchie (le CDH). Et il faut que ce soit le Président flamand Kris Peeters qui rappelle dans De Standaard aujourd'hui matin que le futur roi devra respecter et reconnaître ce que l'on appelle en néerlandais les deelstaten, que certains en Flandre appellent d'ailleurs les Etats fédérés, car ce sont bien des Etats : la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. Ce sont bien des Etats puisque demain ils exerceront de 60 à 70% des ex-compétences étatiques belges. Hier, Martine Dubuisson, excellente journaliste qui a annoncé l'abdication depuis un an et demi, croit malheureusement devoir souligner que le danger pour le futur roi va venir de la Flandre et que l'une de ses chances c'est Bruxelles, capitale de l'Europe. Aucun mot sur la Wallonie. La journaliste n'a pas à être mise en cause. Quand on rampe on doit s'attendre à ne pas être vu. Quand on rampe, on n'a pas de dignité. Quand on rampe on manque de respect pour son peuple, car tout peuple doit viser haut et se tenir droit!
Colère
Je me souviens de ma colère lors de la préparation du Congrès de Wallonie Région d'Europe qui devait se tenir le samedi 31 mars 1990 à Ottignies. Il devait y avoir une intervention sur la monarchie. Je demande que la mise en cause de la monarchie soit violente. On m'objecte qu'il faut demeurer mesuré.
Je ne rappellerais pas une colère, mais je me souviens bien qu'à ce moment le système m'est apparu dans son abjection, indépendamment de la qualité des personnes. C'est quelque chose qui se passe en dehors de nous. Nous connaissons tel homme qui est roi. Il était déjà le fils de son père et son fils va régner également. Tout cela ne se passe même pas au-dessus de nous, mais hors de nous et pour signifier que rien ne change et ne peut changer (Le roi est mort, vive le roi!). Il y a quelque chose de rageant à accepter cela.
Au Congrès de Wallonie Région d'Europe (je n'ai jamais aimé ce sigle), le samedi 31 mars 1990, l'intervention est un peu vigoureuse. Le lundi d'après, le 2 avril, La Libre Belgique titre que le mouvement wallon a été «un pas trop loin» (à cause de la critique de la monarchie).
Mais le mercredi matin 4 avril, on apprend que le roi a refusé de signer la loi dépénalisant l'avortement et abdiqué temporairement [[On utilise une autre formule : il fut considéré comme pendant quelques heures dans l'impossibilité de régner, ce qui permit au gouvernement de sanctionner collectivement la loi en tant que chef d'Etat collectif, chose prévue par la Constitution.]]. Même les catholiques les plus traditionnels avaient conseillé au roi de signer (sanctionner est le terme utilisé) la loi. S'il n'avait eu de problème de conscience qu'à cause de cette loi, c'est que bien d'autres atteintes à la morale de la vie (à supposer qu'elle soit en cause ici), l'avaient moins choqué. Et pour faire assassiner Lumumba, il n'y avait pas vraiment de document à signer. Personne ne le fait dans ces cas-là, on le sait.
En Belgique on a même l'outrecuidance de dire que c'est grâce à ce système que nous existons, que nous existons! que nous existons! Mais qui peut admettre cela? Un ami me téléphone, à cet instant, du fin fond de l'Ardenne (la région la plus royaliste de Wallonie), m'explique que les journaux ont considérablement augmenté leurs tirages, mais qu'il restent à traîner dans les kiosques. Car même les gens attachés au système en ont marre que l'on fasse de ces événements somme toute familiaux, des événements qui nous rappelleraient comme disait Le Soir vendredi que nous sommes «face à notre destin».
Mais non! La Flandre, la Wallonie et Bruxelles prennent de plus en plus leur destin en main, indépendamment de la Belgique et indépendamment de tout lien à la monarchie (le roi ne joue strictement aucun rôle dans les Etats fédérés, je dirais encore moins même qu'au Canada, car il n'y a aucun lieutenant-gouverneur dans les Etats fédérés, leurs gouvernements se forment sans aucune intervention royale, on a simplement voulu que les Présidents de chaque Etat fédéré prêtent serment entre les mains du roi, c'est vraiment la seule chose).
Et il est vrai qu'il est bon de souligner les progrès de l'économie wallonne qui serait passée de 19% à 25% de la richesse nationale belge selon L'Avenir, de 2007 à 2011.
Mais ce qu'il y a de plus grave, c'est que le Parlement flamand, le Parlement fédéral (Sénat et Chambre), aient déjà ratifié le traité européen sur l'austérité qui va réduire leur rôle à rien. Le Parlement wallon ne l'a pas encore fait, mais à voir ses principaux membres ramper devant la monarchie, on sait qu'il y a beaucoup de chances qu'il abdiquera aussi, pendant que, à la demande d'Albert II lui-même, on réduira la monarchie belge à un rôle protocolaire. Il paraît qu'on hésite encore sur cela! Pour le roi! Mais pour les Parlements, c'est déjà fait! Triste Europe! Triste Belgique! Triste Wallonie! Pour préparer la monarchie de pacotille, les Parlements, devenus de pacotille, hésitent encore à la transformer en pacotille! Décidément, il ne se passe rien.
Il ne se passe rien en Belgique
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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