L'opinion de Bernard Landry #51

"I am Canadian"

Notre devoir n'a pas changé, il doit s'exercer sur un autre ton.

Cégep en français

Voilà la réponse que se font servir de plus en plus souvent, et parfois agressivement, les Québécois qui, d'une façon citoyenne et justifiée, insistent pour qu'on s'adresse à eux, et chez eux, dans leur langue nationale. Le plus navrant c'est que la personne qui répond cela, généralement issue de l'immigration et accueillie ici fraternellement, a juridiquement et constitutionnellement parlant, raison.
Le Québec, pour son plus grand malheur, fait toujours partie d'un Canada bilingue et multiculturel. Un brave immigrant qui quitte Rawalpindi au Pakistan pour venir s'établir à Montréal connaît déjà l'image internationale anglophone du Canada. Les services diplomatiques canadiens font aussi leur devoir en les informant du bilinguisme et du multiculturalisme du pays. Comme cet immigrant connaît déjà l'anglais, il croit son bonheur parmi nous assuré.
Une fois sa citoyenneté canadienne acquise sans avoir besoin de connaître le français, qui peut légalement reprocher à ce nouvel arrivant de dire: "I am a Canadian" à un francophone résiliant qui insiste pour lui parler français au coin de Saint-Denis et Sainte-Catherine. Ils sont effectivement tous deux au Canada, soumis à la même constitution absurde, imposée au Québec par Pierre Elliott Trudeau dans le but d'affaiblir notre identité nationale.
Lors des nombreux combats linguistiques que j'ai menés à l'époque de mon militantisme étudiant, avant le PQ et la Loi 101, nos opposants étaient des anglophones traditionnels, le plus souvent riches, qui nous colonisaient littéralement et qui ne se gênaient pas pour nous donner du "Speak white!" Il était évidemment superflu qu'ils rajoutent qu'ils étaient "Canadian". Cette attitude arrogante n'existe pratiquement plus. Nous nous sommes décolonisés, les anglophones qui ne l'acceptaient pas sont partis et la plupart des autres ont appris le français. Les anglophones traditionnels de Montréal aujourd'hui sont massivement bilingues.
Maintenant, quand nous insistons pour parler français à Montréal, nous avons le plus souvent devant nous une serveuse au salaire minimum, un caissier ou un préposé au stationnement qui ne gagnent pas davantage. Dans ces conditions il est plus délicat, même si cela est plus nécessaire que jamais, de réclamer l'usage du français qu'à l'époque où nous affrontions une méprisante bourgeoisie anglophone. Notre devoir n'a pas changé, il doit s'exercer sur un autre ton.
Voilà donc où nous en sommes rendus, même si les jeunes issus de l'immigration fréquentent les mêmes écoles que nos enfants. Enfin presque tous, comme nous le rappelle cette sotte poursuite devant la Cour suprême et l'inqualifiable jugement qui en résulta. Cela dit, l'immigrant qui arrive ici à dix-huit ans et qui ne connaît pas un mot de français, n'est soumis à aucun processus obligatoire d'intégration linguistique. Et même ceux qui ont fréquenté l'école française s'inscrivent majoritairement dans des collèges anglophones qui, hélas, ne sont pas des lieux idéaux pour s'intégrer à la culture commune. C'est pourquoi il est temps de rendre le CEGEP français obligatoire pour les nouveaux arrivants. Même s'ils sont adultes comme le dit étonnamment Jacques Parizeau, et j'ajouterais à plus forte raison.
Il est évident que malgré toutes nos lois et autres efforts, des forces puissantes jouent contre l'intégration véritable des nouveaux arrivants à notre nation. La principale étant notre appartenance au Canada et notre soumission à sa constitution et à sa Cour suprême, toutes deux au service de cet invraisemblable multiculturalisme. Le Québec est multiethnique, ce qui est à son honneur et l'enrichit, mais il a comme objectif de construire et de consolider sa culture nationale commune.
D'autres nations bien moins menacées que la nôtre et également ouvertes à l'immigration, ne courent pas de tels risques multiculturels et multilingues. Pour devenir citoyen américain, il faut parler l'anglais, en France, c'est le français! Peut-on penser qu'un immigrant puisse songer à fréquenter une institution d'enseignement public, de quelque niveau que ce soit, dans une autre langue que la langue nationale, qu'il soit adulte ou non? Ici, notre devoir est de respecter les droits de notre minorité anglophone traditionnelle et d'intégrer tous les autres.
L'obligation citoyenne de défendre notre langue nationale n'a rien à voir avec quelque forme de nationalisme ou d'ethnocentrisme. C'est d'abord, comme pour toutes les nations, une responsabilité envers la diversité culturelle planétaire. L'humanité ne peut que régresser si les langues nationales ne sont pas défendues énergiquement.
Il est de plus en plus clair que la seule garantie de notre résilience linguistique viendra du contrôle complet de notre destin national. Tout le monde dira alors avec fierté "Je suis Québécois".
Bernard Landry


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