Lettre à Michaëlle Jean

Humaniser le sort d'Omar Khadr

Tribune libre 2008

Au moment où j'écris ces lignes, le premier ministre du Canada demeure
obstiné et imperturbable devant les images de l'interrogatoire d'Omar Khadr par des agents de la SCRS. Aucune demande de son rapatriement n'est encore envisagée. Comme des milliers de Canadien-nes, je viens de signer la pétition d'Amnistie Internationale demandant urgemment à Stephen Harper de rapatrier le jeune Omar Khadr de l'oubliette américaine Guantánamo Bay. Mais c'est sur vous, madame la gouverneure générale, que j'ose compter pour faire quelque chose.
Le premier ministre du Canada, selon son site web, a déjà démontré une
plus grande sensibilité pour des chats et des chiens abandonnés que pour un humain qui croupit dans une oubliette américaine. Comme tout le monde le
sait, Guantánamo Bay a été déclaré illégal par la Cour suprême des
États-Unis. Il ne répond à aucun critère des conventions internationales,
et encore moins à ceux de la Convention internationale des droits de
l'enfant dont le Canada est signataire.
Le comportement du gouvernement canadien dans l'affaire Kadhr depuis son
arrestation en 2002 illustre grandement le recul de notre pays sur le plan
du respect des droits de la personne. Si Omar Kadhr n'est pas rapatrié dans
les prochains jours, c'est la réputation internationale de ce pays dont
vous êtes le chef qui en souffrira. Déjà des milliers d’immigrant-es
canadiens comme vous et moi se demandent ce qui arrive à ce pays qu’ils ont
choisi pour justement fuir le genre de calvaire qu’Omar Kadhr est en train
de vivre.
En tant que gouverneure générale du Canada, demander officiellement au
premier ministre de rapatrier le jeune Omar Khadr pour être jugé selon nos
lois, dans le contexte d'après le 11 septembre, est nécessaire pour
rétablir dans ce pays certaines notions de respect de la dignité humaine :
1- Le respect du droit. Permettre à un citoyen canadien d'avoir un procès
juste et équitable.
2- Le respect des droits de l'enfant. Le Canada est signataire de la
Convention internationale des droits de l'enfant.
3- Le respect des protocoles et conventions internationaux (dont le Canada
est signataire) interdisant le recrutement et l’utilisation des enfants
soldats.
Avant la diffusion des images de l'interrogatoire d'Omar Khadr par des
agents canadiens, cette affaire a sûrement dû vous interpeller à plusieurs
niveaux : en tant que mère d'abord, en tant que citoyenne et aussi en tant
gouverneure générale de tous les Canadiens.
À plusieurs reprises, j'ai été témoin de vos efforts, souvent loin des
caméras, pour appuyer des initiatives citoyennes allant dans le sens de la
mission que vous vous êtes donnée, celle de l’humanisation de l'humanité.
Vous êtes allée là où aucun gouverneur général avant vous n'est jamais
allé, à la rencontre des jeunes marginalisés, des femmes victimes de
violence conjugale, des communautés autochtones isolées. À deux reprises,
vous avez rendu visite à des personnes incarcérées pour appuyer leurs
efforts de réinsertion. Apparemment, les médias n'attachent pas une grande
importance à cet aspect de votre mission, mais j'ose imaginer que c'est
essentiellement pour cet aspect-là que vous avez accepté d'occuper le poste
de gouverneure générale.
Une occasion historique se présente à vous madame Jean pour accomplir une
autre action plus grande que l'institution que vous représentez : porter
assistance à un jeune Canadien en danger. En tant que gouverneure générale
de tous les Canadiens, vous avez le devoir moral d'intervenir
officiellement pour demander au premier ministre du Canada de rapatrier
Omar Khadr.
Le 12 août 2005, dans les pages du journal le Devoir, j'avais publié un
texte de soutien à votre nomination en le concluant par ces mots: ''Ma
conviction, c'est que pour une fois, le passage d'une femme noire à la tête
d'une des plus grandes institutions du pays sera pour une mission plus
grande que l'institution elle-même...''.
Si vous considérez que l’objet de ma demande ne relève pas de vos
fonctions de gouverneure générale, faîtes-le alors en tant que citoyenne de
ce pays qui a une occasion privilégiée de réparer une grave erreur. Toutes
les bonnes actions que vous avez accomplies jusqu’ici pour contribuer à
l’humanisation de l’humanité prendront réellement leur sens en intervenant
pour sauver le jeune Omar de l’injustice américaine.
Si le premier ministre du Canada ne répond pas à votre demande, je vous
laisse juger de la pertinence de votre démission. Avant vous, aucun
gouverneur général n'a jamais démissionné de son poste pour protester
contre une politique du gouvernement. À vous de juger si une éventuelle
démission participera à cette humanisation de l’humanité.
Dans le même texte de soutien à votre nomination, j'avais aussi écrit :
''Naturellement, si l'institution qu'elle s'apprête à représenter lui
enlève toute liberté d'opinion, si elle exige d'elle uniquement la
promotion de l'unité canadienne, et si finalement son combat au poste de
gouverneure générale n'apporte rien ni à la dignité ni à la souveraineté de
personne, je m'attends d'elle et de son mari qu'ils se retirent
honorablement. L'histoire lui dira alors deux fois bravo''.
Mohamed Lotfi,
journaliste et réalisateur radio
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Journaliste et réalisateur de l'émission radiophonique Souverains anonymes avec les détenus de la prison de Bordeaux





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2 commentaires

  • Gérald McNichols Tétreault Répondre

    26 mars 2010

    L'abandon d'Omar Khadr par le Gouvernement du Canada est une infamie.

  • Thérèse-Isabelle Saulnier Répondre

    19 juillet 2008

    M. Lofti, superbe belle lettre et extrêmement belle intiative, que j'appuie à 110%, et j'espère qu'elle se rendra jusqu'à Mme Jean et ce, au plus tôt. Elle devrait même être publiée dans les journaux, tellement l'enjeu est important. Je sais tout ce qu'a fait Michaëlle Jean, souvent sans l'oeil des caméras, comme vous le dites, et quelles causes humanitaires, et tout simplement humaines, elle défend. Elle DOIT s'impliquer, oui, dans le cas d'Omar Khadr, même si cela outrepasse ses fonctions, mais non pas son engagement personnel officiel, écrit noir sur blanc sur le site web de la GG - et ce, quitte à démissionner, ou simplement menacer de démissionner. Comme j'ai écrit que "l'Histoire saura sans doute, elle, lui rendre correctement justice", il est vrai que, dans le cas de Khadr, "l’histoire lui dira alors deux fois bravo’’.
    Ne lâchez pas! Et, SVP, tenez-nous au courant des développements.