Ottawa -- Le Parti conservateur fait désormais partie du paysage politique québécois. Reléguée depuis des années au bas-fond des intentions de vote, la formation de Stephen Harper a effectué une ascension importante dans la province en doublant ses appuis. Coïncidence ou stratégie délibérée, les libéraux renouent au même moment avec le discours de peur pour contrer les arguments souverainistes.
Un nouveau sondage Léger Marketing dévoilé hier soir indique que les conservateurs jouissent d'une légère avance sur les libéraux à l'échelle nationale, avec 34 % des intentions de vote contre 32 % pour le Parti libéral. Ainsi, alors que Stephen Harper tirait de l'arrière au début de la campagne, par un écart de 12 %, son parti possède maintenant une avance de 2 %. Ce résultat confirme celui des trois sondages précédents publiés en rafale cette semaine dans les quotidiens, dont celui de la firme Ekos hier matin accordant au Parti conservateur une avance de six points.
Mais c'est au Québec que la remontée conservatrice est la plus significative. D'une simple anomalie statistique (de l'ordre d'environ 8 % en début de campagne), le PC s'est ancré en sol québécois avec 16 % des intentions de vote. «C'est vraiment un bond du simple au double», explique Christian Bourque, vice-président à la recherche chez Léger Marketing. Le Bloc québécois récolte toujours la part du lion, avec 45 %, tandis que les libéraux traînent loin derrière avec 26 %. Chacun des deux partis a perdu cinq points au profit de Stephen Harper. «Les conservateurs ont la capacité d'aller chercher des appuis des deux côtés», dit M. Bourque.
Le sondage Ekos pointait dans la même direction. Stagnant à 11 % des intentions de vote québécoises au début de la campagne, le PC serait même au coude à coude avec le PLC au Québec, avec 20 % contre 22 %. Le Bloc québécois aurait perdu le plus de plumes, passant de 58 % à 44 %.
Avec 1500 personnes interrogées, les résultats de Léger Marketing affichent une marge d'erreur de plus ou moins 2,5 % 19 fois sur 20.
Campagne de peur
La candidate conservatrice dans Louis-Saint-Laurent, Josée Verner, se réjouit de ces chiffres, surtout qu'elle est considérée comme celle ayant le plus de chances de se faire élire au Québec. Elle attribue cette remontée à l'intérêt suscité par la proposition de fédéralisme renouvelé de son chef. «Cette notion de respect a fait vibrer des cordes», croit-elle.
Le sondeur tend à lui donner raison. S'il tire une conclusion de son dernier coup de sonde, c'est que «les gens se lassent» du discours «souveraineté versus fédéralisme». «Parler de relations fédérales-provinciales n'est pas perçu comme étant un discours portant sur la question nationale», explique M. Bourque.
Or non seulement les libéraux persistent-ils avec leur campagne à saveur référendaire, ils utilisent aussi de plus en plus un discours alarmiste. Depuis la fin de la pause du temps des Fêtes, les sorties négatives contre le mouvement souverainiste se sont multipliées.
D'abord, le chef Paul Martin a donné une série d'entrevues lundi dans lesquelles il a mis en garde contre l'instabilité politique qui compromet la prospérité économique. Le député Stéphane Dion s'est demandé pourquoi les Canadiens viendraient investir leur argent au Québec sachant que les souverainistes «se sauveraient avec après». Puis, le candidat-vedette Marc Garneau a affirmé que jamais il ne pourrait vivre dans un Québec devenu pays. «Je quitterais le Québec, c'est certain. Pourquoi je resterais ? J'en serais incapable, je me suis battu contre l'indépendance toute ma vie. Je suis Canadien, j'ai servi mon pays dans la marine puis dans l'aérospatiale.» Il en a remis en comparant les lendemains de la souveraineté avec l'enlisement des États-Unis en Irak.
Paul Adams, directeur exécutif de la firme Ekos auteur du sondage du même nom, croit qu'il y a peut-être un lien entre ces arguments de peur et la remontée du Parti conservateur au Québec. «Les libéraux ont dû faire leur propre sondage interne, voir cette augmentation des conservateurs et vouloir y réagir. La clé pour les libéraux pour augmenter leur performance au Québec est de rapatrier tous les votes fédéralistes. Avec une telle campagne, ils ne tentent pas de persuader les bloquistes de se désintéresser de l'option souverainiste mais plutôt de persuader les fédéralistes qui sont au NPD et au PC.»
Les déclarations de Marc Garneau ont été désamorcées par son chef Paul Martin, mais celui-ci ne les a pas réfutées pour autant. «Est-ce qu'il y a des dérapages ? Oui, il y en a dans toutes les campagnes, a déclaré M. Martin, qui se trouvait à Waterloo hier matin. Ce n'était peut-être pas le meilleur exemple à choisir [...], mais il exprime une inquiétude réelle qui est partagée par plusieurs Québécois. Même Pauline Marois a parlé des turbulences qui pourraient suivre un référendum.»
Le chef bloquiste Gilles Duceppe qualifie ces sorties de «gestes désespérés». «C'est un retour vers le passé, ces arguments pour faire peur aux Québécois, qui ont joué dans le passé mais qui ne prennent plus», a-t-il déclaré en entrevue avec Le Devoir. M. Duceppe partage l'avis de Josée Verner sur au moins un point : ces attaques prouvent que les libéraux «paniquent». «Ils doivent offrir quelque chose face à l'option souverainiste et ce qu'ils offrent, c'est terne, ajoute M. Duceppe. Depuis 1995, ils ont offert quoi ? Le programme des commandites, le déséquilibre fiscal et la Loi sur la clarté.»
Christian Bourque s'étonne du fait que ces arguments négatifs arrivent si tôt dans la campagne électorale puisque, à son avis, il est difficile de porter un message négatif très longtemps. Mais selon lui, les libéraux «sont coincés». «Dans le reste du Canada, ils tiennent un discours sur le déséquilibre fiscal qui va directement à l'encontre de celui des conservateurs. Ils ne peuvent pas tenir ce même discours au Québec car ils connaissent l'impact négatif que ça peut avoir. Il leur reste peu de choses à offrir au Québec.»
Harper double ses appuis au Québec
Les libéraux brandissent le spectre de la souveraineté
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