La Grèce sortira-t-elle de la zone euro avant les élections du 17 juin ? C'est le pari que fait Jacques Sapir, économiste. Si la France, et surtout l'Allemagne, s'obstinent à refuser la renégociation du mémorandum, il affirme que le pays sombrera dans le chaos. Les tensions s’accumulent en Grèce. La déclaration faite hier soir par Lucas Papademos (le Premier ministre sortant) sur une possible sortie de l’euro n’a fait que confirmer une tendance nette depuis près de dix jours. La Grèce a un besoin urgent d’une renégociation du mémorandum afin d’en assouplir les termes et d’en allonger le délai. Elle ne peut respecter ses engagements, cela se voit et cela se sait. Mais l’Allemagne, et malheureusement la France, s’obstinent à refuser cette renégociation. On peut comprendre pourquoi ; toute renégociation impliquerait la possibilité d’autres renégociations. En termes techniques, c’est l’introduction d’un « aléa moral » massif dans les relations entre la Grèce et ses partenaires. Mais, en réalité, le mémorandum est en train de tuer le pays, de le conduire au chaos économique, social et demain politique. Nous répétons le drame des « réparations » allemandes au lendemain de la Première Guerre mondiale ou l’obstination, là du gouvernement français, avait plongé l’Allemagne dans le chaos. Ce retour aux erreurs des années 20 et des années 30 (les politiques de déflation) a quelque chose de tragique, comme si les politiciens n’avaient rien appris, ou tout oublié. Cette renégociation se heurte à l’inflexibilité de l’Allemagne, suivie sur ce (mauvais) terrain par notre gouvernement qui, obnubilé par les euro-obligations, veut croire qu’il pourra arracher de substantiels compromis en échange d’un front commun sur la « rigueur » face à la Grèce. Jamais stratégie de négociation ne s’est avérée aussi tragiquement fautive. Si un compromis peut être arraché à l’Allemagne, ce ne sera pas avant plusieurs mois, et pour des montants qui s’avèreront très inférieurs aux espoirs français. D’ici là nous aurons le drame grec et très probablement un retour de la crise espagnole (le gouvernement s’avère incapable de tenir les budgets des régions et doit dans le même temps consacrer des sommes immenses à la recapitalisation bancaire) et irlandaise. Il faut comprendre que la crise grecque ne peut être dissociée de la crise générale de la zone euro, crise dont les manifestations sont évidentes en Espagne, mais aussi au Portugal et en Irlande, ou encore en Italie. La seule stratégie possible et jouable consiste à mettre l’Allemagne devant ses responsabilités, en la menaçant de lui faire porter le fardeau d’un éclatement de la zone euro. Croit-on, en effet, que Berlin serait très heureux d’une sortie de la France accompagnée d’une dévaluation de 25% ? Croit-on que, politiquement, l’Allemagne puisse assumer l’éclatement de l’Europe ? On oublie trop souvent que ce n’est pas avec des ris et des sourires que l’on négocie. Et si jamais l’Allemagne s’entêtait, alors la France devrait en tirer les conséquences et proposer à ses autres partenaires la solution d’une dissolution de la zone euro, avec une entente sur les montants des dévaluations respectives. À terme, cela permettrait de reconstituer une zone de coordination monétaire en se protégeant soigneusement des marchés financiers, dont l’Allemagne et ses alliés seraient exclus. Faute d’une renégociation, il est donc probable que la Grèce sortira de l’euro avant les élections du 17 juin. La dimension d’une politique de classe est présente en Grèce. Les possédants ont déjà fait sortir le maximum d’argent du pays. Ils espèrent qu’une sortie chaotique leur permettra de renforcer leur pouvoir sur l’économie du pays, et d’ores et déjà ils rachètent les biens des classes moyennes brutalement appauvries par la politique du mémorandum. Dans les conditions qui s’annonce, la sortie de l’euro sera l’occasion d’une immense redistribution de la propriété aux profits des quelques-uns qui ont déjà sécurisé depuis plusieurs mois leur fortune. Le gouvernement issu des élections du 17 juin aura donc devant lui la formidable tâche de faire en sorte que cette sortie de l’euro, accompagnée d’un défaut sur la dette publique, puisse se passer du mieux possible. Il devra reprendre la main sur la question du partage des propriétés et faire en sorte que la croissance attendue profite en premier lieu au plus grand nombre. Il serait logique de l’y aider. Mais, on peut craindre que les pays de la zone euro ne pratiquent à l’égard de la Grèce une politique de la « terre brûlée », ne serait-ce que pour démontrer les « coûts » d’une sortie. Que notre gouvernement prenne garde. S’il devait donner la main à une telle politique, ce serait une rupture totale entre lui et la gauche réelle. Notre avenir passe par Athènes. *** Jacques Sapir est directeur d’études à l’EHESS et professeur associé à la MSE-MGU (Moscou).
Grèce : des politiques européennes détestables
Géopolitique — Union européenne
Jacques Sapir142 articles
Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux....
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Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux.
Il est l'auteur de nombreux livres dont le plus récent est La Démondialisation (Paris, Le Seuil, 2011).
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