Reconnaissons un fait indéniable: la Francophonie est résolument un «objet» international atypique. De prime abord, rien ne laissait vraiment croire en la viabilité et la durabilité de ce rassemblement. Les braises encore chaudes du colonialisme auraient normalement suffi à repousser pour longtemps les anciennes colonies de leur colonisateur. S'il en fut tout autrement, c'est parce qu'à l'initiative des ex-colonisés, et en premier lieu celle de son père fondateur, Léopold Sédar Senghor, président de la République du Sénégal, la Francophonie a fait le chemin des valeurs. Elle a en particulier décidé de contribuer à l'établissement d'un nouveau rapport dans les relations Nord-Sud, basé sur un partenariat solidaire, dans lequel tous les États sont égaux en droit, mais aussi en dignité.
Par-delà les blessures du passé et au summum de l'opposition des blocs américain et soviétique, qui divisait à cette époque le monde en deux camps irréconciliables, l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) a vu le jour à Niamey, en 1970. Elle regroupait alors 21 pays et gouvernements ayant en partage l'usage de la langue française. Au cours de son premier quart de siècle d'existence, la Francophonie intergouvernementale, au travers de l'ACCT, a essentiellement centré son action sur la coopération culturelle.
Au milieu des années 1990, dans la foulée de l'effondrement du mur de Berlin, la Francophonie fait peau neuve et change de nom. L'ACCT est rebaptisée Organisation internationale de la francophonie (OIF). Elle décide alors d'élargir sa mission et d'y inclure un volet résolument politique, ce qui du reste s'est brillamment illustré par le rôle déterminant qu'elle a joué dans l'adoption de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, aujourd'hui officiellement reconnue par l'Unesco.
Ainsi, malgré la déferlante économique, culturelle et linguistique américaine, la Francophonie exerce, depuis sa création, un attrait grandissant auprès de la communauté internationale. Elle regroupe aujourd'hui 68 pays et gouvernements, membres ou observateurs, au sein desquels on dénombre quelque 200 millions de locuteurs parlant le français.
Une légitimité à reconquérir
Mais, en dépit de réussites indéniables, un malaise existentiel persiste et s'accroît en Francophonie. À force de s'ouvrir continuellement à de nouveaux membres, la Francophonie semble avoir perdu son âme. Exception faite de quelques pays, le français est une langue minoritaire -- parfois même marginale -- dans les pays qui adhèrent à l'OIF. Plusieurs pays de la Francophonie connaissent en ce moment une anglicisation rapide; le Rwanda en est une illustration frappante. La quasi-absence du français dans les grandes organisations internationales, y compris celles dont le français est pourtant une langue officielle, ne fait même plus l'objet de débats. Pour la première fois de son histoire, l'ONU a élu récemment un secrétaire général ne s'exprimant pas en français.
Le déclin de l'intérêt de la classe politique à l'égard de la Francophonie est manifeste. L'OIF n'a jamais réussi à s'imposer comme une priorité diplomatique pour ses propres membres. Elle passe tantôt après la construction de l'Europe, tantôt après la Ligue arabe, tantôt après le Commonwealth... De sommet en sommet, depuis Hanoi en 1997, l'OIF ne fait que dégager des déclarations politiques creuses et des consensus mous qui condamnent la Francophonie à l'immobilisme, alors que les populations des pays les moins avancés auraient tant besoin qu'elle les concerne et leur soit utile. La Francophonie se cherche aujourd'hui un second souffle. Il lui faut reconquérir sa légitimité par des gestes évocateurs, probants et rassembleurs. En ce sens, le Sommet de Québec en 2008 pourrait marquer un tournant majeur.
Mobiliser la société civile
Dans une récente Lettre ouverte aux francophones parue dans Le Devoir du 20 mars 2007, le secrétaire général de la Francophonie, l'ancien président sénégalais Abdou Diouf, rappelait à juste titre que «la Francophonie ne saurait être la seule affaire des États et gouvernements, elle n'y survivrait pas!». Le grand mérite de cette lettre est très certainement d'avoir interpellé directement la société civile pour qu'elle participe à la construction de la Francophonie. Il faut s'en réjouir.
Il nous apparaît ici opportun de proposer au Secrétaire général de la Francophonie de soutenir l'organisation d'un premier grand rassemblement de la société civile francophone, qui pourrait se tenir à Québec, en marge des travaux du prochain Sommet des chefs d'État et de gouvernements, en octobre 2008. Les échéanciers sont certes courts. Mais il est encore temps d'agir!
La Francophonie doit être utile
L'avenir de la Francophonie passe aujourd'hui par l'affirmation de son utilité. Cette utilité est indiscutable en tant que pôle de la mondialisation multipolaire. Grande aire linguistique organisée, elle suscite un rêve, apporte un espoir. Sa chance c'est la mondialisation. Elle affirme, en effet, que le dialogue interculturel est l'antidote au «choc des civilisations», si palpable depuis les attentats du 11-Septembre. Elle prône la solidarité comme compagnon de la liberté et le dialogue comme outil de la paix. Elle choisit pour l'accès à l'universel la synthèse des différences et non l'affirmation d'un modèle unique et dominant. Elle privilégie l'approche multilatérale plutôt que l'unilatéralisme.
Ces principes, qui fondent son attrait, justifient pleinement le développement actuel de la Francophonie politique, mais contrairement aux souhaits de certains États, elle ne peut être prise en otage par cette seule dimension de son engagement. Il lui faut tout autant être utile aux peuples et pour cela renforcer et dynamiser son volet coopération.
Le soutien des populations ne sera, en effet, fort et durable que si la Francophonie constitue un facteur de mieux être. Les populations ont besoin d'actions concrètes pour être convaincues. Mettre en oeuvre une Francophonie intégrale et au quotidien, c'est faire vivre la Francophonie à la source, dans les peuples. Outre la culture, deux chantiers sont prioritaires: l'économie et l'éducation.
Pour une Francophonie économique
Rien n'est possible sans l'économie. Il faut avoir le courage de donner à la Francophonie sa dimension économique. On parle de culture d'un côté, d'économie de l'autre, comme si l'économie était sans influence sur la culture. Domine le monde aujourd'hui, la culture du pays le plus puissant économiquement. La Francophonie doit être concernée par l'économie. Sans chantier économique, elle n'est pas crédible; il faut le dire et le redire. Seul le développement économique par exemple peut faire obstacle en Afrique à l'émigration.
N'oublions pas, par ailleurs, que le développement économique implique éducation et formation. Rien n'est possible sans un effort exemplaire en leur faveur. Malheureusement force est de constater que la Francophonie ne dispose pas d'un opérateur crédible pour l'enseignement primaire et secondaire; ce qui, en revanche, est le cas pour l'enseignement supérieur avec l'Agence Universitaire de la Francophonie.
Signe de l'intérêt nouveau que suscite la Francophonie, notons que pour la première fois en France, cette «réalité oubliée», comme l'appelle le Secrétaire général de la Francophonie, ce «non sujet» de la diplomatie française, s'invite dans la campagne présidentielle. Plusieurs candidats ont pris position sur ce sujet au cours de leurs réunions publiques, sur la Toile et dans les médias. La Francophonie deviendrait-elle une priorité pour les élites politiques françaises?
De ce côté-ci de l'Atlantique, force nous est de reconnaître que si la Francophonie attend l'initiative du Canada ou du Québec pour se renouveler, elle risque d'attendre encore longtemps. Aucun des grands partis politiques canadiens n'a à ce jour développé de discours, même minimaliste, sur le rôle et l'avenir de la Francophonie. Nous assistons au même silence sur la scène politique québécoise. Aucun des chefs, dont le parti siège à l'Assemblée nationale du Québec, n'a abordé le thème de la Francophonie au cours de la récente campagne électorale.
Pourtant, pour la Francophonie, le temps n'est plus celui de la défensive, mais de l'offensive. Il lui faut agir et entreprendre. Il appartient au Sommet de 2008 à Québec, pour ne pas être un nouveau rendez-vous manqué, d'ouvrir les chantiers de coopération du renouveau.
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Michel Guillou, Directeur de la Chaire Senghor de la Francophonie de Lyon, Ancien recteur de l'Agence universitaire de la Francophonie
Jean-François Simard, Professeur à l'Université du Québec en Outaouais, Ancien député et ministre du Parti québécois
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17. Actualité archives 2007
Michel Guillou5 articles
Directeur de la Chaire Senghor de la Francophonie de Lyon, Ancien recteur de l'Agence universitaire de la Francophonie
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