Se réclamant des valeurs communes du Québec, le premier ministre Legault souhaite adopter au printemps sa loi sur la laïcité. Celle-ci interdirait les signes religieux pour les policiers, les juges, les gardiens de prison et les enseignants. Une majorité de Québécois accorde son appui au gouvernement.
On apprend dans La Presse d’hier que le ministère de l’Éducation a demandé à des commissions scolaires, celles de Montréal, Laval et la pointe de l’Île, de lui fournir une liste du nombre d’enseignants et de cadres qui portent un signe religieux. Précisons clairement que le projet de loi vise avant tout sinon exclusivement des femmes voilées. Car rares sont les turbans, les grandes croix et les kippas, on en convient.
La Fédération des commissions scolaires a vivement réagi, d’autant plus que personne n’ignore que le premier ministre souhaite en principe abolir lesdites commissions scolaires. Voilà donc une occasion en or pour celles-ci d’en découdre avec le gouvernement caquiste.
Aberration
La présidente de la commission scolaire de Montréal, Catherine Harel-Bourdon, a déclaré à La Presse qu’elle considérait pareille demande comme une aberration. Et que même si les statistiques existaient – car ce n’est pas le cas apparemment –, elle ne les produirait pas. À ses yeux, comme à ceux d’autres groupes qui s’opposent à la loi sur la laïcité, les chartes, dont celle du Québec, empêcheraient au nom des droits de la personne qu’on légifère en la matière.
Le premier ministre et son ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, n’ignorent pas qu’ils devront livrer une bataille juridique pour cette loi, qui sera adoptée à la majorité grâce à la composition de l’Assemblée nationale.
Alors que les adversaires de la laïcité affûtent leurs armes, le gouvernement doit donc faire preuve de haute habileté politique. Le coup de fil officiel aux commissions scolaires représente une bévue et offre sur un plateau d’argent des armes aux ennemis politiques qui rongent leur frein, impatients d’en découdre avec le premier ministre, dont la popularité échappe pour le moment aux récriminations d’opposants divers et articulés.
Cette intervention gauche et inacceptable place le gouvernement sur la défensive avant même que commence la session parlementaire. Ce n’est pas parce que François Legault est prêt à user de la clause nonobstant qu’il ne doit pas faire l’économie d’affrontements prématurés.
Contestations
L’homme est sincère dans ses promesses électorales qu’il veut concrétiser. Mais le chemin pour y parvenir sera miné. Avant tout par des contestations devant les tribunaux, dont on sait qu’elles sont longues, éprouvantes et paralysantes pour un gouvernement.
La majorité des Québécois favorables à la laïcité prônée par François Legault ne peut pas ignorer que si la loi 101, si abhorrée, a été charcutée au cours des années, c’est souvent en vertu de la Charte québécoise des droits. Selon des juristes éclairés, la loi sur la laïcité telle que définie par le gouvernement caquiste subirait le même sort. Le premier ministre devrait utiliser alors la clause nonobstant en y incluant une exception à la charte québécoise.
Que faut-il démontrer de plus ?