Quand les pompiers se battent avec les policiers, trois questions se posent : comment maintient-on l'ordre, est-ce l'ordre qu'on maintient, quel ordre maintient-on ? Par Philippe Mesnard, rédacteur en chef de Politique magazine.
Le 28 janvier 2020, policiers et pompiers se sont battus à Paris. Le 15 octobre 2019, pompiers et policiers s’étaient battus. Didier Lallement, le préfet de police qui, depuis mars 2019, enchante le monde entier par le brio avec lequel il laisse dégénérer toutes les manifestations qui déplaisent au gouvernement, a salué le « professionnalisme » des forces de l’ordre : «Prises à partie sans discontinuer de façon très agressive, les unités ont fait usage de la force pour se dégager et contenir ces actions violentes, de manière strictement nécessaire et proportionnée.»
Rien à voir, circulez. Les gens sont méchants, normal qu’on tape dedans. Il y a les manifestants gentils, qui acceptent de se faire fouiller, refouler, arrêter, dépouiller de leurs pauvres défenses contre les lacrymogènes balancés avec plus de générosité que l’encens dans une cérémonie solennelle ; et les manifestants méchants qui n’acceptent pas qu’on les empêche d’avancer, qu’on les prenne en nasse, qu’on les frappe pour les énerver et qu’on les gaze quand la fantaisie en prend un policier zélé qui tient à disperser une manifestation à la minute même où elle est censée être terminée. En Macronie, maintenir l’ordre c’est terroriser les manifestants et laisser se développer les zones de non-droit, parce que les premiers veulent se faire entendre et que les secondes veulent rester discrètes. En Macronie, on ne prend en compte que le visible et le symbolique.
La préfecture, miracle, évoquait sur son compte twitter
Le 20 janvier, le fait que « les #BlackBlocs s'infiltrent dans les manifestations dans le seul but de commettre des exactions et de s'en prendre aux #FDO. » Les méchants ne seraient pas tous les manifestants, juste les infiltrés, brusquement distingués de la foule des manifestants. On se souvient que TOUS les Gilets jaunes étaient réputés être des casseurs – la préfecture laissant d’ailleurs TOUS les Black Blocs infiltrer tous les cortèges. Il n’y a qu’à Biarritz que, autre miracle, les casseurs professionnels, repérés, connus, avaient été tenus à distance, pour ne pas gêner le président Macron et sa théâtrale diplomatie franco-américano-iranienne (dont a pu, depuis, mesurer tous les heureux effets).
Pour le 28 janvier, la cause est claire : il y a les gentils pompiers et les méchants pompiers. On reconnaît le mauvais pompier au fait qu’il porte sa tenue de feu (qui permet aux gens de voir que c’est un pompier), interdite. Les méchants seraient les syndicalistes jusqu’au-boutistes qui, alors que le gouvernement aurait tout accepté de leurs revendications (ce qui est faux), veulent continuer le combat. Autrement dit, pour une fois que des militants CGT luttent réellement pour les droits de ceux qui n’ont eu aucune concession, la Préfecture s’offusque : c’est quoi, ces gens qui ne luttent pas que pour leurs intérêts catégoriels – comme le personnel de la Préfecture de police, rapidement satisfait par Castaner ? En Macronie, on ne maintient pas l’ordre, on gère le désordre en fonction de l’effet médiatique qu’il produira et en comptant que l’opinion publique assimilera LREM au parti de l’ordre – celui qui garantit aux actuels retraités, principaux soutiens de Macron, qu’ils continueront à percevoir leurs retraites.
En fait, que policiers et pompiers s’insultent, se frappent, se blessent, est la manifestation du nouvel ordre macronien : tous opposés à tous, avec le chef du pays et les dirigeants du pays attachés, acharnés à jeter sans cesse les uns contre les autres, à coups de petites phrases idiotes ou insultantes, de décisions inexplicables, de concertations improbables, de lois invraisemblables et de constitution bafouée.
Les forces de l’ordre, qui ont laissé des portions entières du territoire devenir des lieux sauvages où les pompiers, les infirmiers, les médecins sont attaqués, et où les policiers n’osent plus intervenir, sont les garants de l’ordre macronien, ce rêve éveillé d’un homme qui croit transformer la France en pays de Cocagne alors même qu’il le livre aux appétits désordonnés des investisseurs et aux fureurs désespérées de ceux qui veulent vivre décemment, sans misère ni peur. Les pompiers tentent de sauver des populations réelles sous les injures et les coups, les policiers, gendarmes, juges et députés ne sont plus là que pour éteindre les esprits enflammés.
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