Essais québécois - Pas de vacances pour les idées

IDÉES - la polis

Les lecteurs d'essais ne s'attendent pas, j'imagine, à ce qu'on leur propose, pour l'été, un programme intellectuel allégé. Même sous le soleil estival, ils aspirent sûrement à penser en s'inspirant des meilleurs ouvrages d'idées parus depuis l'automne. Aussi, pour les satisfaire, voici quelques suggestions de lectures costaudes, puisées dans les nombreux essais québécois publiés récemment.
- Malheureusement peu commenté depuis sa sortie en octobre dernier -- une réaction qui confirme, d'une certaine manière, l'apathie nationale montrée du doigt dans le titre de l'ouvrage --, La Fatigue politique du Québec français (Boréal, 2008), du philosophe Daniel D. Jacques, est probablement l'essai le plus fort et le plus dérangeant paru au Québec dernièrement.
Empreint d'une gravité et d'une mélancolie non feintes, il explore les raisons de l'ambivalence politique québécoise -- la Révolution tranquille nous aurait fait passer d'un investissement identitaire religieux à un souci de souveraineté culturelle en négligeant la nécessité d'une refondation politique -- et conclut à la fin de l'idéal indépendantiste, désormais arrivé dans une impasse irréductible. Jacques souhaitait l'indépendance, comme Hubert Aquin, son maître à penser, mais, aujourd'hui, être fidèle à l'esprit de ce dernier, constate-t-il, passe par «la volonté de prendre en charge, par devoir de solidarité, l'aspect proprement dramatique de notre destin», c'est-à-dire par la reconnaissance de notre impuissance à réaliser cet idéal.
On peut, avance-t-il, s'y tenir, mais ce serait s'exposer à trois périls: la mauvaise foi (être dans le Canada, mais sans y participer vraiment), le mépris de soi (l'échec finit par déprimer) et le déni du réel (pendant qu'on rêve, on n'agit pas). Aussi, non sans tristesse mais avec résolution, le philosophe prône plutôt «un retour progressif et réfléchi de notre collectivité dans l'espace canadien».
Jacques, qui prend dans ces pages le beau risque du courage intellectuel, ne convaincra pas les ardents souverainistes. Il leur impose, au moins, le devoir de rendre raison à neuf de la pertinence de leur option, paradoxalement nécessaire et, pour l'heure, irréalisable.
- Le politologue Christian Dufour, lui, laisse toutes les options nationales ouvertes, mais s'inquiète, dans Les Québécois et l'anglais. Le retour du mouton (Les éditeurs réunis, 2008), de notre mollesse individuelle et collective dans la défense de la place du français au Québec. Sous prétexte d'ouverture et de tolérance, écrit-il, «on en vient à valoriser à ce point le bilinguisme et l'anglais qu'on ne se préoccupe plus vraiment de la prédominance du français dans toute une série de domaines».
Or, le Québec, s'il a partie liée, pour une part, avec l'anglais, par son histoire et sa géographie, reste une nation essentiellement française qui, sauf à se renier elle-même et à se préparer, ce faisant, de bien tristes lendemains, doit s'affirmer en ce sens, dans les domaines privé et public.
La grande originalité de l'essai de Dufour consiste à s'opposer à l'idée reçue, véhiculée mê-me par des bonzes péquistes, selon laquelle tous les Québécois devraient être bilingues. Ce serait, dit-il, la fin du Québec français.
- Le débat sur la place du privé en santé, entretenu à la fois par des idéologues de droite et par les ratés occasionnels du système public, ne s'épuise pas. Les opposants à une place accrue du privé en santé avaient la morale de leur côté. L'idée qu'on puisse s'acheter la santé, voire la vie, en passant devant plus pauvre que soi, est, en effet, scandaleuse sur ce plan. L'argument de l'efficacité, toutefois, donnait de l'élan à l'autre camp.
La publication de Le Privé dans la santé. Les discours et les faits (Presses de l'Université de Montréal, 2008), une somme réalisée par une équipe multidisciplinaire de spécialistes sous la direction des Béland, Contandriopoulos, Quesnel-Vallée et Robert, est venue terrasser les partisans du privé efficace.
Les conclusions de cet ouvrage savant sont catégoriques. «Les arguments habituels concluant à la non-viabilité du système public sont scientifiquement peu fondés», peut-on y lire. Plus encore: «Les pays les plus performants sont ceux où le financement, la prestation des services et la gouvernance sont assurés par le secteur public. À l'inverse, les pays les moins performants sont ceux où le secteur privé assume ces trois fonctions.» C'est clair: et la morale et l'efficacité sont du côté des partisans d'un système public, qu'il s'agit de mieux organiser.
- Et l'humanité, elle, se trouve dans une pratique médicale nourrie d'humilité et de confiance. C'est le message essentiel que livre le médecin et écrivain Jean Désy dans Entre le chaos et l'insignifiance (XYZ, 2009), un petit recueil d'«histoires médicales» inspirées par l'esprit de Jacques Ferron.
La médecine est bien sûr une science qui exige des compétences techniques, mais c'est aussi un art de la compassion: elle devrait être un dialogue amoureux dans lequel se partagent des états d'âme et qui s'apprend au contact de la littérature et de la philosophie, écoles d'humanité. En plaidant pour une pratique médicale humble et poétique, Jean Désy passera peut-être pour un naïf, mais il détonne bellement.
C'est d'ailleurs, tiens, l'été que je vous souhaite, au diapason des ouvrages ici revus: humble, confiant, poétique, en santé, en français et ouvert sur un horizon politique, quel qu'il soit, souverainement pensé et choisi. Et en ma compagnie journalistique, de préférence.
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louisco@sympatico.ca


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