Élections législatives au Royaume-Uni: la fin du bipartisme?

Ottawa — tendance fascisante

Nick Clegg (chef des Démocrates-libéraux), David Cameron (chef des Conservateurs) et Gordon Brown (premier ministre et chef des Travaillistes), lors du débat télévisé du 15 avril dernier.
Photo Reuters
Au moment du déclenchement des élections législatives au Royaume-Uni, le 6 avril dernier, tout semblait indiquer qu'on se dirigeait vers un traditionnel affrontement bipartite entre les conservateurs de David Cameron et les travaillistes de Gordon Brown. À mi-chemin de cette campagne, rien ne va plus, et on assiste à une remontée aussi spectaculaire qu'inattendue des démocrates-libéraux de Nick Clegg. À l'évidence, cette campagne électorale n'a rien d'ordinaire et tout indique que la perspective d'un gouvernement minoritaire - une première depuis 1974 - est désormais possible.
Une campagne électorale imprévisible
À plusieurs égards, la campagne électorale britannique ressemble aux récentes élections canadiennes et québécoises. Comme en 2007 au Québec, on assiste à une montée subite d'un tiers parti. En outre, à l'instar des élections fédérales de 2004, un ancien ministre des Finances, longtemps dauphin du premier ministre, tente de se faire élire. Malheureusement, tout comme Paul Martin, Gordon Brown porte sur ses épaules l'héritage de longues années au pouvoir, handicapant ainsi ses chances de victoire. Désabusés par les deux grands partis traditionnels, les électeurs britanniques semblent vouloir se tourner vers les démocrates-libéraux, une force politique relativement marginale il y a encore quelques semaines. Bref, à deux semaines des élections, tout indique que cette campagne électorale est de plus en plus imprévisible.
La montée en puissance des démocrates-libéraux
Ironiquement, le grand responsable de la montée des démocrates-libéraux est peut-être David Cameron lui-même. Ouvertement admirateur de Barack Obama et fidèle disciple des exercices de marketing politique, le chef conservateur voulait absolument d'un débat télévisé avec Gordon Brown, quitte à ce que Nick Clegg, chef des démocrates-libéraux, y participe lui aussi. Loin de favoriser les conservateurs, le débat du 15 avril fut l'occasion pour les démocrates-libéraux d'insister sur la corruption et l'usure du discours des partis traditionnels. À ce chapitre, rappelons que les conservateurs et les travaillistes ont été largement éclaboussés par les scandales ces dernières années. Un peu comme l'avait fait Mario Dumont avec succès en 2007, Nick Clegg s'est attiré la sympathie de l'auditoire en lançant: «the more they attack each other, the more they look exactly the same».
Distorsion électorale
Cela dit, la Grande-Bretagne est toujours loin d'un gouvernement dirigé par les démocrates-libéraux. Le système électoral à représentation majoritaire favorise largement les travaillistes et les conservateurs, dont le vote est plus concentré. Dispersés à l'échelle nationale, les démocrates-libéraux peuvent difficilement faire élire une majorité de députés. Devant les récents sondages, qui placent les trois partis à égalité, plusieurs scénarios sont possibles. Par exemple, les conservateurs pourraient recueillir une pluralité de votes, mais arriver deuxième, en terme de sièges, derrière les travaillistes.
Les conservateurs pourraient aussi former un gouvernement minoritaire, ce qui constituerait une énorme déconfiture pour David Cameron. D'ailleurs, son parti lui ferait sans doute payer chèrement cette victoire aux accents de défaite, lui qui menait largement dans les intentions de vote, jusqu'à la semaine dernière. En fait, c'est toute la modernisation du Parti conservateur, menée par un Cameron plus centriste, qui pourrait être remise en cause. En somme, il est encore difficile de savoir à qui profite cette montée des démocrates-libéraux. Chose certaine, David Cameron ne prend aucun risque. «Un vote pour Clegg est un vote pour Brown», disait-il récemment, faisant écho à ce qu'affirmait Jean Charest en 2007, «un vote pour l'ADQ, c'est un vote pour le PQ».
Vers une alliance Lib-Lab?
Les travaillistes, fins stratèges, font désormais les yeux doux à Nick Clegg. Ils s'attardent à souligner ce qui rapproche les deux partis, plutôt que ce qui les divise. En bout de piste, ils font le pari qu'ils gagneraient à jeter dans les bras des démocrates-libéraux cette frange de l'électorat qui répugne à voir les conservateurs revenir au pouvoir. Surtout, cette montée des démocrates-libéraux pourrait très bien permettre à Gordon Brown de garder le pouvoir en formant un gouvernement minoritaire. Reste à voir quelles concessions il serait prêt à donner pour gouverner dans une alliance Lib-Lab, lui que l'on dit peu porté sur la concertation. Cependant, une grande question demeure: les démocrates-libéraux parviendront-ils à aller chercher la centaine de sièges auxquels ils peuvent aspirer en vertu des récents sondages? Le manque d'expérience et de ressources, notamment financières, pourrait causer l'effondrement de cet appui, qui demeure encore très volatile. Parions que les deux dernières semaines de la campagne nous réservent encore bien des surprises!
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Benoit Simoneau, diplômé en communication publique de l'Université Laval, habite en Grande-Bretagne où il est consultant en marketing et relations publiques.
Antonin-Xavier Fournier est professeur de sciences politiques au Cégep de Sherbrooke

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