Les élections fédérales de ce lundi 21 octobre redessinent le paysage politique canadien, et le Premier ministre sortant le sait bien. L’enthousiasme de 2015 n’est plus qu’un lointain souvenir. Justin Trudeau voit sa formation remporter les élections à la Chambre des communes, le parlement canadien, mais le gouvernement sera minoritaire. Une première depuis 2008. Si 157 députés libéraux ont été élus, 170 sont nécessaires pour gouverner de manière sereine.
Fragilisé, mais pas dépassé, le camp Trudeau. Et pourtant, les Conservateurs y croyaient. Le parti d’Andrew Scheer talonnait dans les sondages les libéraux. Après une campagne difficile pour eux en raison de basses polémiques sur l’avortement, ils obtiennent 121 sièges. Une deuxième défaite après 2015, à laquelle goûte peu l’électorat conservateur qui imagine un successeur à Andrew Scheer. Mais celui-ci n’envisage pas sa démission. « Monsieur Trudeau, quand votre gouvernement va tomber, les conservateurs seront prêts, et nous allons gagner », a-t-il affirmé à la publication des résultats.
Le gagnant des élections semble être le troisième. Pourtant, le Bloc Québécois, formation représentant les indépendantistes du Québec, était annoncé mort il y a encore quelques mois. Un enterrement un peu trop rapide. Le parti a offert à ses sympathisants la nuit dernière une jolie victoire. En menant une campagne propre, concentrée autour de la loi 21 relative à la laïcité de l’État qui déplaît aux adeptes du multiculturalisme, le Bloc est passé de 10 députés à… 32. Les militants les plus convaincus en espéraient près de 40 mais une semaine avant les élections, la question climatique a pris une place prépondérante dans les débats. La crainte de voir les Conservateurs - peu sensibles à l’écologie dans un pays qui carbure au pétrole de schiste - arriver au pouvoir a convaincu certains électeurs de voter utile. Le vote Bloc s’est transformé en bulletin libéral. « Nous revenons de loin, mais nous irons encore plus loin », a déclaré le chef du parti Yves-François Blanchet, devant des militants galvanisés. Si la troisième force du parlement a annoncé ne pas souhaiter d’alliance, Yves-François Blanchet compte participer au prochain gouvernement, « au mérite », en fonction des intérêts du Québec.
Une poussée indépendantiste remarquée par Justin Trudeau. Le Premier ministre, hostile à toute autonomie du Québec, a essayé de rassurer ceux qui lui sont si étrangers : « Nous allons gouverner pour tout le monde. Chers Québécois j'ai entendu votre message ce soir. Je vous donne ma parole, mon équipe et moi serons là pour vous. » Doit-on comprendre que le chantre du multiculturalisme canadien est prêt, par exemple, à abandonner toute contestation judiciaire de la loi 21 ? Pas si sûr…
Pour gouverner, les libéraux devraient pouvoir compter sur le soutien du Nouveau Parti démocratique (NPD), dirigé par Jagmeet Singh, premier sikh portant le turban membre de l'Assemblée législative ontarienne. Seulement, avec 24 sièges contre 44 précédemment, le NPD s’écroule. Au Québec, le parti qui comptait 14 députés n’en a désormais plus qu’un. Une chute vertigineuse prévisible : le NPD espérait devenir un grand parti progressiste mais ce créneau est déjà occupé par le Parti libéral. Avec une vision commune sur des grands sujets de société, les deux formations peuvent néanmoins s’entendre. En effet, ensemble, le Parti libéral et le NPD obtiennent une majorité de sièges à la Chambre des communes, indispensable pour faire adopter les projets de loi.
Reste à savoir si cela suffira pour sauver le soldat Trudeau. Au Canada, un gouvernement minoritaire dure rarement plus de deux ans et demi.
Aucun parti ne peut, seul, obtenir une majorité pour passer ses projets de loi. Si les coalitions sont rares au Canada, des ententes publiques peuvent être conclues, et c’est là-dessus que mise Justin Trudeau. Les partis indiquent dans quels cas ils suivent ou s’opposent au gouvernement ainsi que la durée de leur entente. Les alliances peuvent aussi être informelles, en coulisses les formations politiques négocient leur soutien. Un changement de cap pour le Premier ministre jusqu’ici habitué au confort de la majorité.