par Pascal Clérotte
L’Eclaireur : Que pensez-vous du dernier épisode d’hystérie collective provoqué par la chute d’un missile en territoire polonais ?
Col. Douglas Macgregor : Tous ceux qui ont une expérience de la chose militaire vous diront qu’ils s’attendaient à ce que cela arrive. Je ne me souviens plus du nombre de fois durant ma carrière où j’ai vu lors de manœuvres, d’exercices ou de simples entraînements, des projectiles tirés par erreur atterrir sur des corps de fermes ou dans des jardins. Si de tels incidents surviennent en temps de paix, ils se produisent immanquablement en temps de guerre.
À ce stade, ce que l’ont sait, c’est que les débris ramassés sur site en Pologne montrent qu’il s’agit très vraisemblablement de missiles sol-air S300 d’une batterie anti-aérienne ukrainienne. Les Ukrainiens les auraient tirés pour abattre des missiles de croisière. Les Russes ont mené ce jour-là plus de 90 frappes à longue distance.
Ce sont donc bien des missiles ukrainiens et je pense que c’est pour cette raison que Soltenberg (le secrétaire général de l’OTAN, ndlr) et Biden ont déclaré qu’il n’y avait aucune raison de déclencher l’article 4 du traité de l’OTAN (qui prévoit que « Les parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée », ndlr).
L’Eclaireur : Pas de consultation au titre de l’article 4 ?
Col. Douglas Macgregor : Non, ce ne n’est pas à l’ordre du jour. Les Polonais se sont vu répondre qu’ils pouvaient enquêter s’ils le souhaitaient. Mais tout indique qu’il s’agit de missiles ukrainiens, non pas d’une frappe russe. Les Russes, en toute franchise, ont depuis le début du conflit évité de manière systématique la confrontation avec l’armée américaine et toute autre force de l’OTAN, malgré de très nombreuses provocations.
L’Eclaireur : Des États-Unis, comment considérez-vous la situation en Europe – Europe continentale comprenant l’Ukraine, Union européenne et l’OTAN ? Quelle évolution voyez-vous ?
Col. Douglas Macgregor : Ma première réaction est d’avancer que pour le moment, la situation en Europe n’est pas aussi mauvaise qu’on le dit mais qu’elle va vite s’aggraver. En matière de stabilité économique, l’impact de la crise énergétique et alimentaire n’est pas très sévère. Pour l’instant.
Malheureusement, aux États-Unis comme en Europe occidentale, pour que les gens commencent à se préoccuper des questions importantes, il faudra que les choses empirent significativement. Et elles vont être bien pire. À partir du moment où le froid s’installera vraiment en Allemagne, en République tchèque, aux Pays Bas, au Danemark… on verra des gens réellement souffrir de la crise énergétique.
Je pense également que de plus en plus d’Européens commencent à douter des informations que leur bombardent les médias mainstream, qu’ils soient publics ou privés. Hier, par exemple, un sondage a été publié en Allemagne qui montre que 40% des Allemands doutent de la véracité de ce qu’on leur dit au sujet de la Russie et de ce qui se passe en Ukraine.
Mais une fois encore, il faudra que la crise s’aggrave. Et à mesure que les économies européennes s’effondreront, on pourra peut-être voir des changements. Il ne m’étonnerait pas que la plupart des gens aujourd’hui au pouvoir en Europe ne soient plus là au printemps ou début de l’été prochain.
L’Eclaireur : Quelle analyse faite-vous de l’alignement des leaders européens sur les positions américaines ?
Col. Douglas Macgregor : Les problèmes auxquels est confronté l’Union européenne sont les mêmes que ceux de l’Alliance atlantique. Personne ne voit ce qui se passe en Europe de l’Est à travers le même prisme. Ce qu’on considère comme un problème ou une menace est contingent d’où on est situé, d’où l’on habite.
Je pense que l’Europe fonctionnait nettement mieux quand elle ne se préoccupait que du marché commun et n’avait pas fait sacerdoce d’imposer un État supranational. Il est possible qu’à l’avenir cette obsession fédérale s’estompe, qu’on retourne vers quelque chose qui sera – comment dire ? – moins uniforme dans sa manifestation politique, plus focalisé sur ce qui est bon économiquement pour l’Europe. La multiplicité des points de vue et des d’intérêts, c’est compliqué.
L’Eclaireur : D’un point de vue stratégique, l’effet des sanctions ?
Col. Douglas Macgregor : Les Italiens, par exemple, n’ont pas envie de sanctionner la Russie. Ce sont nous les Américains qui avons décidées et imposées les sanctions. Nous ne semblons pas comprendre que quand nous sanctionnons un pays économiquement – que ce soit par des droits de douane ou autre chose – nous menons une guerre économique, ce qui est un conflit bien réel. Et nous avons été en guerre contre tous ceux qui ont une vision du monde différente de la nôtre. Nous sanctionnons des pays qui ne font montre d’aucune hostilité à notre égard, afin de les forcer à faire ce que nous disons. Sinon, ils souffrent.
Après tout, nous contrôlons le système financier. La finance et le commerce mondial sont dollarisés. Nous contrôlons les institutions (de Bretton-Woods, ndlr), Fonds monétaire international comme Banque mondiale. Tout cela sont autant d’instruments que nous avons utilisés pour punir ceux qui ne nous soutiennent pas ou ne se sont pas alignés sur nos positions.
Cela date de la guerre du Vietnam. En fait, on peut même remonter jusqu’à la crise de Suez en 1956. Je pense que les Européens en ont soupé de nos arguties et vont découvrir que ce bonhomme, Stoltenberg (le secrétaire général de l’OTAN, ndlr), comme ses prédécesseurs, n’est que le pantin de Washington. Est-ce vraiment là ce que les Européens attendent de l’OTAN ? Est-ce bien ce que les Européens veulent de l’UE ?
En toute franchise, je ne vois pas beaucoup d’avenir pour ces deux organisations, qui ne survivront pas à moins de changer profondément, de devenir plus européennes dans leurs orientations. Pour l’instant, elles sont sous influence américaine au service des intérêts américains.
Dans les années 1990, je travaillais à la direction de la stratégie et de la planification (war plans, ndlr) à l’état-major de l’armée de terre, qui est l’une des directions les plus importantes du Pentagone. L’un des sujets majeurs de discussion y était comment européaniser l’OTAN, parce que la raison – la menace soviétique – et la mission – préserver la paix en Europe – pour lesquelles on l’avait constituée originellement n’existaient plus.
Il était impérieux de diminuer la présence militaire américaine. Certains, dont moi, étaient partisans d’un retrait presque total d’Europe. Nous n’avons pas eu gain de cause même si l’engagement américain fut considérablement diminué. En outre, nous étions d’avis qu’un Européen occupe le siège de commandant suprême en Europe (SACEUR, Supreme Allied Commander in Europe, ndlr) et que les Européens aient la main haute sur les affaires militaires en Europe, pas les Américains. Là aussi, nous avons perdu la bataille parce que l’establishment politico-militaire américain prend un réel plaisir à diriger l’Europe. Ils adorent ça ! Ils adorent dicter ! Et les Européens l’ont accepté parce que cela leur permettait de faire de grosses économies.
envoyé par le Général Dominique Delawarde