Dialogue avec l'Iran?

D'aucuns voient un changement dans la stratégie américaine au Proche-Orient, mais n'en croyez rien

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17. Actualité archives 2007



Les États-Unis sont disposés à participer à une conférence sur la paix et la sécurité en Irak en compagnie de deux États "terroristes", la Syrie et l'Iran. Plusieurs y voient le signe d'un changement dans la stratégie américaine au Proche-Orient compte tenu de la situation en Irak. N'en croyez rien. Washington prépare bien sa guerre avec l'Iran.
Les choses ne vont pas très bien pour les États-Unis dans cette partie du monde. En moins de 24 heures, le vice-président irakien, à Bagdad, et son homologue américain, en visite en Afghanistan, ont été victimes d'attentats à la bombe. Le premier a été légèrement blessé, l'autre a entendu un petit boum avant d'être mis en sécurité dans un bunker. Les résistants ou les terroristes, comme vous voulez, viennent de clairement rappeler leur capacité à frapper n'importe où et avec impunité.
Ces nouvelles ne sont pas bonnes. L'Irak, on le sait, est une nef des fous sur le point de se fracasser. Il n'y a plus rien à faire là. Les Britanniques commencent à partir, les Danois s'en vont cet été, et la grande coalition des "volontaires" est maintenant réduite à une poignée de soldats polonais et salvadoriens dont la seule utilité est de maquiller les opérations américaines en actions de la "coalition".
En Afghanistan, c'est plus inquiétant, car cela nous concerne directement. Le Canada et une trentaine d'autres pays sont pleinement engagés dans une guerre moralement juste. Malheureusement, à cause du désintérêt américain pour ce pays au cours des quatre dernières années, l'Afghanistan connaît les pires violences depuis la chute des talibans en 2001. Il y a trois semaines, j'assistais à Paris à un séminaire sur la doctrine du maintien de la paix de l'ONU. Autour de la table, commandants de force, envoyés spéciaux de l'ONU, diplomates de haut rang de l'Union européenne, militaires et universitaires, ont discuté, entre autres, de l'Afghanistan.
Le constat a été sans appel: ce pays est déjà un narco-État sous l'influence des trafiquants de drogue, le président Karzaï impose son autorité sur quelques quartiers de la capitale, les membres de l'OTAN sont profondément divisés sur la stratégie militaire à suivre, les Américains favorisent les bombardements au détriment de la reconstruction, et les Afghans détestent de plus en plus les étrangers - occidentaux ou autres. Lorsque j'ai demandé si notre pays avait une chance d'atteindre ses objectifs en Afghanistan, on m'a répondu "pauvre Canada!".
L'ennemi iranien
Puisque tout va mal, il doit bien y avoir un coupable. À Washington, l'administration en a trouvé un: c'est l'Iran. Depuis quelques semaines, il ne se passe pas une journée sans que les médias ne "révèlent" une autre manigance iranienne. Ces révélations sont alimentées par les deux mêmes sources: l'une au Pentagone, l'autre à la Maison Blanche, deux sources, c'est juré, qui ne se concertent jamais. Et ces sources corroborent l'information... qu'elles-mêmes lancent! Qu'apprend-on? Des agents iraniens sont en Irak (normal, l'Iran est dans le coin depuis 2000 ans); des agents iraniens envoient des armes aux résistants; des agents iraniens fomentent la révolte en Arabie saoudite et dans les Émirats du Golfe.
Devant ces terribles révélations, Washington s'"inquiète" et dépêche ses porte-avions afin de contrer cette "menace grandissante". Comme dans un remake des événements précédents la guerre contre l'Irak, les journalistes répètent tout cela. Enfin, pas tous. Micheal Ware, correspondant de CNN à Bagdad depuis quatre ans, et Seymour Hersh, du New Yorker, sont les rares à décortiquer l'avalanche de propagande diffusée par l'administration. Et la réalité qu'ils présentent n'a rien à voir avec les jacassements de la secrétaire d'État Condoleezza Rice, appelant mardi les pays voisins de l'Irak à oeuvrer pour la paix et la sécurité dans la région.
En effet, selon l'enquête de Seymour Hersh, l'argent des trésors américain et saoudien coule à flots afin de stopper l'"agression chiite menée par l'Iran" dans la région. Et cet argent se retrouve entre les mains des sunnites libanais, jordaniens, saoudiens et même irakiens, dont la plupart détestent les chiites et... les Américains. Un quart de siècle après avoir financé les "combattants de la liberté afghans", Washington répète la même erreur: les ennemis de mes ennemis sont mes amis jusqu'à ce qu'ils deviennent les nouveaux ennemis.
Toute cette agitation martiale autour de l'Iran, tous ces coups fourrés visant à susciter la haine entre sunnites et chiites ont-ils quelque chose à voir avec la paix et la sécurité dans la région? Bien sûr que non. Comme le souligne Leslie Gelb, ancien président du Council on Foreign Relations et grand promoteur du morcellement de l'Irak, la politique suivie par l'administration au Liban afin de contrer le Hezbollah n'est pas "tant en faveur de la démocratie qu'en faveur de la sécurité nationale des États-Unis". Il faut appuyer n'importe qui afin de stopper les chiites. Voilà qui a le mérite d'être clair; encore faudrait-il qu'à Washington on ait le courage de le dire, souligne Gelb.
Son collègue Flynt Leverett, un ancien du Conseil de sécurité national, a une explication plus sordide, mais plus juste, à propos de l'hystérie entretenue autour des visées iraniennes en Irak. "Tout cela fait partie d'une campagne de provocation graduelle visant à augmenter la pression sur l'Iran, a-t-il confié à Seymour Hersh. Le but ultime étant que les Iraniens finissent par riposter: alors, l'administration aura le champ libre afin de riposter à son tour". C'est comme ça qu'on prépare la joyeuse guerre destinée à remodeler le nouveau Proche-Orient si cher au coeur de Mme Rice et qui a déjà couté la vie à 150000 Irakiens.
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et CERIUM de l'Université de Montréal.


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