Devoirs religieux et régime pédagogique

Tribune libre

En date du vendredi le 5 mars, le journal Le Devoir a publié une lettre titrée «Les beaux dimanches: magasiner mais ne pas enseigner?», rédigé par Lionel J. Perez, un père dont les enfants sont inscrits dans deux des écoles juives orthodoxes qui ont entériné un engagement avec le ministère de l’Éducation, du loisir et du sport.
Dans un premier temps, M. Perez aborde le projet de règlement modifiant le Régime pédagogique: substitution du nombre de jours (180) à un nombre d’heures (900); suppression des dispositions relatives au nombre minimal d’heures par semaine consacrées aux services éducatifs; prévision du nombre d’heures consacrées aux matières obligatoires; abrogation des dispositions interdisant l’enseignement les samedis et dimanches.
Ensuite, M. Perez soutient qu’«En tant que parents d’enfants qui fréquentent deux des écoles concernées, mon épouse et moi avons un intérêt évident dans l’adoption du projet de modification». Ensuite, il demande au lecteur de lui permettre de partager tant sa perspective que son analyse de ce projet et les précisions qu’il juge nécessaires: «la manière dont ces amendements réglementaires ont fait surface relève d’une maladresse évidente. L’absence d’annonce officielle quant à la nature des modifications prévues ainsi que leurs motifs fut une erreur politique qui, j’imagine, est maintenant regrettée. Il n’y a aucun doute que le gouvernement ainsi que les écoles concernées auraient préféré éviter ce maelström médiatique. Nonobstant cette gaffe politique, on ne devrait pas écarter la question de fond sur les modifications proposées. […]»
Revenant sur les heures de scolarité et sur ce qui touche au nombre d’heures consacrées aux matières obligatoires, il écrit que «L’amendement ne change d’aucune façon le temps que tous les étudiants passeront en classe, donc le changement ne semble que sémantique.» Il fait remarquer que «Dans le régime actuel, ce nombre d’heures est seulement indicatif. L’avis juridique soumis par les écoles a fait reconnaître au MELS qu’il y avait là un vide réglementaire. Avec ce projet, la ministre élimine cette ambiguïté et en profite pour codifier le nombre minimal d’heures prévues pour les matières obligatoires.»
M. Perez poursuit son argumentaire en abordant «Le cas du dimanche». «La quatrième modification est probablement la plus controversée, soit l’abrogation de l’interdiction d’enseigner les samedis et les dimanches. D’abord le pourquoi. La réalité pour ces écoles, c’est qu’il n’y a tout simplement pas assez d’heures dans la journée pour accomplir leurs devoirs religieux tout en respectant les cinq heures d’études prévues du Régime. L’horaire scolaire habituel va de 8h à 18h et environ trois à quatre heures par jour sont consacrées aux matières du Régime. Même avec ces limitations, les écoles où mon épouse et moi-même envoyons nos enfants ont un classement tout à fait respectable (85e et 105e respectivement sur 594 écoles au Québec).»
Évoquant les nombreux commentateurs heurtés par cette proposition de modifier la législation scolaire de toute la population québécoise pour satisfaire six écoles privées orthodoxes avec quelques 2000 élèves, M. Perez avance que «depuis quatre ans, l’expression accommodement raisonnable a acquis au Québec une connotation péjorative et provoque un mécontentement à cause de certaines demandes de la part d’individus provenant de groupes ethniques ou religieux minoritaires que certains médias et une partie de l’opinion publique considèrent excessives, sinon abusives. Les communautés hassidiques de Montréal ont obtenu, malgré elles, une couverture médiatique de premier plan, que certains diront disproportionnée dans ce débat. Voilà pourquoi peut-être, lorsqu’on parle de sujets qui touchent les hassidiques, il y a un réflexe initial d’en rejeter les demandes. Pour qu’un accommodement soit considéré comme «déraisonnable», ne faut-il pas que cela ait une contrainte excessive ou envahissante qui imposerait à la collectivité une pratique contraire à sa volonté ou à l’encontre des valeurs de société?»
M. Perez se veut rassurant comme une certaine ministre en prétendant que les changements proposés n’ont rien de dramatique ou de néfaste et ne changeront pas le système éducatif au Québec qui continuera de fonctionner selon un calendrier scolaire du lundi au vendredi, en permettant dorénavant d’enseigner le dimanche pour ceux qui le désirent, ce qui viendra ajouter une souplesse qui n’existe pas aujourd’hui. Il conclut aussi comme une certaine ministre que cette controverse démontre que le Québec ne veut pas changer et ne changera pas cette pratique.
Ensuite, M. Perez écrit que «Tout le monde aime bien sa fin de semaine. Or, on a le droit de magasiner le dimanche depuis environ deux décennies et on a le droit d’acheter une bière au dépanneur le dimanche depuis 1978. Et les universités offrent des cours et examens les fins de semaine. Je ne crois pas que notre société soit pour autant en dérive. Alors, pourquoi ne pourrait-on pas avoir l’option d’éduquer son enfant le dimanche? Notre société devrait valoriser l’éducation tout au moins au même niveau que nos habitudes de consommation. De plus, il y a une certaine ironie au Québec en 2010, avec la déconfessionnalisation de notre système éducatif, d’interdire l’enseignement de matières générales laïques du Régime sous prétexte que c’est le dimanche.»
M. Perez conclut son texte avec ce qu’il considère comme étant «la» question fondamentale dans toute cette histoire: «Est-ce qu’on veut, en tant que société dicter à un groupe de citoyens comment pratiquer leur religion? Est-ce que l’État peut (ou doit) forcer des gens à faire des choses contre leur gré et confession lorsqu’il y a un accommodement qui ne gêne aucunement la société? Dit autrement, dans le cas présent des écoles juives orthodoxes, devrait-on (ou serait-il raisonnable de) permettre à ces six écoles d’enseigner le Régime le dimanche sans pour autant que le reste de la population ne change son système éducatif de quelque manière que ce soit ? J’ose espérer que la réponse soit évidente.»
Les déclarations de M. Perez illustrent clairement le rapport de force d’une communauté disposant d’un capital politique et financier disproportionné, puisque le MELS tolère cette situation irrégulière depuis des années. Le Régime pédagogique d’un État censé laïc devrait tenir compte prioritairement du droit des enfants de toutes origines à une éducation de qualité sans endoctrinement religieux débilitant, leur ouvrant toutes les possibilités liées à leur potentiel individuel.
Lorsque M. Perez nous explique que son école ne peut enseigner les matières du Régime que trois ou quatre heures par jour sur une journée de 8h à 18h, ça veut donc dire qu’il y a là un déséquilibre quand cinq à six heures par jour sont consacrées aux «devoirs religieux». Est-ce déraisonnable de proposer que cette dévotion religieuse singulière n’a pas sa place en dehors de l’environnement familial et des organisations religieuses qui les encadrent? Est-ce qu’on peut suggérer qu’un État laïc digne de ce nom doit assumer ses responsabilités face à ces enfants dont la religion définit trop étroitement le parcours scolaire?
D’ailleurs, dans une perspective républicaine endossée par beaucoup de Québécoises et de Québécois, un état laïc n’est pas censé subventionner des écoles religieuses comme ça se fait depuis trop longtemps avec ces écoles. Si on considère que les six écoles orthodoxes en question sont en fait des écoles religieuses, ce que le texte de M. Perez confirme amplement, conséquemment, elles ne devraient pas être subventionnées par l’État.
Je suis tout à fait d’accord avec M. Perez quand il dit qu’on ne peut pas dicter à un groupe de citoyens comment pratiquer leur religion. Cependant, l’ethnocentrisme aigu de M. Perez fait en sorte qu’il ne peut saisir tout à fait ce qu’est un État laïc. L’appareil gouvernemental de même que la société en général devrait veiller à ce que le droit de tous à une éducation de qualité ne soit pas assujetti aux superstitions antisociales ou au fanatisme religieux des parents.
Ceci dit, ce texte que M. Perez n’a pas cru bon de cosigner avec son épouse peut porter à confusion pour un bon nombre de questions. Tout d’abord, la plupart des hassidiques sont très américanisés et peu parmi eux savent s’exprimer au niveau de M. Perez en français, en dehors de ce que des médias montréalais nous fournissent comme interlocuteurs, ce qui me fait douter qu’il ait rédigé son texte seul. Sans vouloir trop verser dans un jeu de mots facile, je semble flairer la plume d’une éminence grise dans un registre semblable à celui de Julius Grey.
Ce maelström médiatique qui rend M. Perez visiblement inconfortable aura servi à mettre en relief une communauté repliée sur elle-même qui n’aime pas le regard qu’on pose sur son ghetto. M. Perez nous présente sa communauté comme étant une victime de l’acharnement des médias et je me demande sur quelle planète il habite quand il nous sermonne que «lorsqu’on parle de sujets qui touchent les hassidiques, il y a un réflexe initial d’en rejeter les demandes.»
Beaucoup de citoyens goyims, tant d’Outremont que de Parc Extension, sont les témoins privilégiés des accommodements consentis par le service de police; les privilèges de stationnement lors de certains moments forts de leur calendrier religieux et lors du déneigement; les lieux de culte et les écoles clandestines en violation des règlements touchant le zonage résidentiel, industriel et commercial de même que ces damnés minibus qui empestent et bloquent les rues de ces quartiers. Mme Cinq-Mars et le maire Tremblay font des contorsions dignes d’un spectacle de Guy Laliberté pour accommoder cette communauté.
Alors, après la lecture de ce texte de M. Perez, j’ai eu l’impression de me faire vendre quelque chose que je n’ai pas de besoin ou de me faire passer un sapin. Le MELS tolère depuis des années une situation irrégulière et après deux ans de négociations avec les leaders communautaires attachés à ces écoles orthodoxes, c’est le Régime pédagogique et le calendrier scolaire de toutes les Québécoises et de tous les Québécois qui doit être modifié pour accommoder quelques 2000 élèves. Un tantinet disproportionné selon beaucoup d’observateurs.
Les négociations secrètes de la ministre Courchesne avec la communauté hassidique qui ont mené à présenter les modifications proposées au Régime n’est pas le résultat d’un faux pas ou d’une gaffe que les médias auraient amplifié. N’importe quel observateur goyim aura compris aisément que la ministre Courchesne et le PLQ sont redevables au lobby juif qui dispose d’une influence qui dépasse largement celle de d’autres communautés auprès du bureau de John James Charest, ce fils spirituel de Sam Pollock.
Pour revenir aux idées de M. Perez, demander qu’on valorise l’éducation au même niveau que nos habitudes de consommation de biens ou de services éducatifs destinés aux adultes est une piste de réflexion légaliste servant à détourner la trajectoire rationnelle du débat. Dans le même esprit, le problème n’est pas tant d’enseigner des matières du Régime le dimanche qu’un régime scolaire privé - orthodoxe de surcroît - qui laisse très peu de place à ces matières obligatoire pendant la semaine.
Également, ce texte de M. Perez est une manifestation de fausse ouverture et symptomatique du syndrome multiculturaliste ingénié pour contrer un modèle d’intégration souhaité par la majorité des québécois. Le multiculturalisme se résume à une juxtaposition des cultures semblables à l’apartheid et aux ghettos ou les enclaves ethniques des grandes villes américaines, ce qu’on nous a imposé dans une large mesure par le passé sur ce continent. Avec Gérard Bouchard et Charles Taylor, le problème lié à la gestion de la diversité soulevé par l’immigration massive, diagnostiqué erronément par ces deux commissaires à Charest comme étant du braquage identitaire ou de la fermeture à la différence, nos deux gourous du pluralisme intégral ont déniché cette fumisterie de substitution qu’est l’interculturalisme, ce qui n’est pas autant un concept cohérent et rationnel qu’une vue de l’esprit somme toute ésotérique, caractérisée par une vision de la trajectoire québécoise pour ainsi dire déviée de son origine ou de son identité propre qui est prise en otage et s’efface effectivement devant les droits religieux des minorités inscrites dans la charte d’un autre pays qui hiérarchise et impose ses droits à partir des droits religieux. In God they trust!
Dans l’édition du samedi le 6 mars du même journal, en réplique à un texte de Louise Beaudoin et de Jacques Beauchemin définissant l’interculturalisme comme une version du multiculturalisme, Dimitrios Karmis de l’Université d’Ottawa, Jocelyn Maclure de l’Université Laval et Geneviève Nootens de l’Université du Québec à Chicoutimi - tous des disciples du duo de la modalité pluraliste Bouchard-Taylor - posent la question suivante: Pourquoi opposer majorité et minorités?
Se penchant sur «les représentations que l’on se fait du «nous» se transformant inévitablement au fil des enjeux, des discours, des débats et des pratiques sociales», les auteurs nous demandent de penser, par exemple, à la longue lutte pour faire accepter l’égalité des femmes ou encore à la laïcisation de l’État. Ces spécialistes des minorités et de la majorité nous mettent en garde en nous indiquant que «Lorsqu’on invoque le «nous», il faut préciser ce dont on parle». Fallait y penser…
«Le «nous» pour eux (Beaudoin et Beauchemin), c’est une nation bâtie sur une culture de convergence qui est celle de la majorité et de son histoire». Tout de même assez claire comme idée.
Mais, disposant d’une faculté très développée et d’un talent indéniable pour poser des questions autant pointues que futiles pour faire dévier les débats sur des thématiques plus contrôlables, les auteurs de ce texte accusent Mme Beaudoin et M. Beauchemin de ne pas préciser le contenu de cette culture de la majorité. Faudrait peut-être leur faire un dessin!
Ces trois auteurs se hissent à des sommets étourdissants de mauvaise foi lorsqu’ils demandent: «Si cette culture est empreinte de l’héritage du catholicisme, par exemple, en quoi est-ce compatible avec une charte de la laïcité»?
Comme le titre de leur texte l’indique, les auteurs prétendent que les arguments de Beaudoin et de Beauchemin sont problématiques parce «qu’ils acceptent d’emblée la perpétuation d’une polarisation entre minorités et majorité. La dichotomie qu’ils esquissent entre minorités et majorité laisse entendre que les «minorités» agissent dans l’optique de défendre des positions qui ne sont pas celles de la majorité».
La situation de notre État annexé à un autre qui met en compétition deux modes d’intégration n’a rien à voir avec le républicanisme auquel aspire autant pacifiquement que légitimement le peuple québécois.
En conclusion, ça prend pas la tête à Papineau ou un brevet en sociologie pour comprendre les aspirations légitimes du peuple québécois qui devra passer aux actes à un moment donné et proclamer sa souveraineté face aux autres nations du monde en commençant par cet autre pays qui nous a volé notre identité.
Daniel Sénéchal
Montréal


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3 commentaires

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    10 mars 2010

    Les gens appartenant à la communauté dont il est ici question, ont une forte tendance à exiger (pas demander) des accommodements de différents genres, pour pouvoir élever leurs enfants dans ces croyances, et ce mode de vie très particuliers, qui sont les leurs. Pas seulement au Québec, mais dans les différents pays où ils s'établissent.
    Il est vrai de dire qu'ils disposent d'un capital monétaire et politique, comme sans doute aucune autre minorité ethnique et/ou religieuse. Et un lobby puissant est là pour défendre leurs intérêts.
    Ils savent ce qu'ils veulent; et quoi faire, pour l'obtenir.

  • Colette Provost Répondre

    8 mars 2010

    Est-ce que vous voulez dire que ces enfants vont aller à l'école-église sept jours par semaine de 8h à 18h ?
    Ouille, ouille, ouille! Quelle jeunesse!
    Oui, ils l'auront dans la mémoire longtemps...

  • Rodrigue Larose Répondre

    8 mars 2010

    «D'une pierre, deux coups.»
    Par cet excellent texte, s'en trouvent très bien épinglés Lionel J. Perez et ses élucubrations pour justifier la ministre Courchesne et ses passe-droits scolaires hassidiques. De même, est bien épingé le «eux» minoritaire des Dimitros Karmis, Jocelyn Maclure et Geneviève Nootens s'opposant au «nous» majoritaire, sans égard à la convergence.