mardi 25 janvier 2005
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Chaque époque doit décidément affronter ses «ismes». Pour être moins bruyants et moins violents que ceux d'autres périodes de l'histoire récente, (quasi tout le XIXe siècle notamment), ceux d'aujourd'hui n'en sont pas moins préoccupants et tendent à devenir redoutables dans un grand nombre de sociétés occidentales, y compris le Québec.
Dans son cas, la situation risque de se révéler d'autant plus critique qu'il est, dans une large mesure, infirme ou désarmé, politiquement et juridiquement, pour faire échec à ce nouveau danger, à ces «ismes» qui s'appellent: communautarisme et multiculturalisme, obstacles majeurs à l'intégration des nouveaux venus et, parfois même, d'immigrants plus anciens.
Plusieurs pays d'Europe occidentale prennent conscience depuis quelques années de l'ampleur et de la gravité du phénomène qui remet dramatiquement en question le processus même de l'intégration. Naguère encore il allait de soi, tant il est dans la nature des choses, appelé de surcroît par l'intérêt évident des deux parties.
On ne peut pas à la fois souhaiter l'intégration réelle puis, à terme, l'assimilation des immigrants et tolérer en même temps, voire favoriser, les diverses manifestations du communautarisme et du multiculturalisme, qui gênent, retardent et même empêchent cette intégration. Une nation ne saurait se transformer en une addition de prétendues «communautés culturelles» au risque de mettre en cause sa propre existence et de confesser qu'elle se résigne à une sorte d'apartheid implicite. L'apparition et la consécration chez nous, voici en gros un quart de siècle, de la notion et de l'appellation de communautés culturelles, auront constitué une faute grave tout à la fois d'ordre éthique, socio-culturel et politique.
Effets pervers
Dans plusieurs pays européens, on commence à s'inquiéter des effets pervers du communautarisme et de son frère jumeau le prétendu multiculturalisme. Les signes préoccupants se multiplient, aux Pays-Bas, par exemple, pays qui se voulait un modèle de coexistence et de tolérance, modèle désormais en crise et dont l'échec est soudainement et tragiquement avéré, du fait notamment du nombre et de la concentration, en quelques années, de centaines de milliers d'immigrants de confession musulmane, dans quelques grandes villes.
Ce sont là souvent, en effet, deux des facteurs principaux de l'échec ou de la difficulté de l'intégration: un nombre trop élevé d'immigrants de même origine, dans un court laps de temps, et leur tendance de plus en plus marquée à s'établir dans les mêmes quartiers, à se retrouver entre soi, à reconstituer en quelque sorte, fût-ce inconsciemment, en petit, sa propre patrie au sein de (et à l'écart) de la nouvelle patrie, du pays hôte - et autre - qui dans de pareilles conditions ne sera jamais vraiment perçu comme le lieu et la reconnaissance d'une nouvelle allégeance. Les tensions sont inévitables, l'intégration devient impossible ou est superficielle. Et c'est sur pareil terreau que peut se développer le racisme.
Au fond, le pays nouveau n'est aucunement perçu comme une nouvelle patrie mais essentiellement comme un nouveau lieu de résidence, choisi surtout pour des raisons de niveau de vie, d'un large éventail d'emplois, de larges possibilités de formation et parfois par l'attrait d'un certain nombre de libertés individuelles et de pratiques démocratiques.
De surcroît, les immenses progrès dans les technologies de l'information et de la communication permettent désormais aux immigrants qui le souhaitent et le peuvent, de rester directement et quotidiennement en contact avec leur pays d'origine, par la radiodiffusion et de plus en plus par la télévision.
Comment espérer dès lors une véritable et rapide intégration des immigrants à leur nouvelle patrie, à leur nouvelle société, dans un délai raisonnable, surtout, comme c'est hélas le cas chez nous, la société d'accueil est en pleine crise démographique et que sa principale ville risque de cesser d'être linguistiquement sienne. L'immigration pourra demander de bonne foi: l'intégration à qui? Où sont-ils donc ces Canadiens-français, ces Québécois francophones?
Cela souligne une fois encore le caractère terriblement urgent de la définition d'une véritable politique d'immigration qui ne peut avoir de sens que si elle est inscrite dans une politique démographique globale, qui s'impose depuis plusieurs décennies déjà mais que l'inconscience ou l'indifférence ou les deux ont fait reporter indéfiniment.
C'est dans une conjoncture de démographie favorable que l'on peut accueillir une immigration relativement importante, dans le cadre d'une politique attentive (notamment quant à la répartition sur le territoire), non pas dans une période de très faible natalité. Ni les pouvoirs publics ni même l'opinion publique n'y paraissent sensibles. C'est comme une sorte d'attrait morbide du suicide. Et selon le mot célèbre: «À nouveau, sans répit, courons à notre perte.»
Jean-Marc Léger : Journaliste
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