Les milliers de banlieusards de Longueuil, Saint-Bruno et Brossard y trouveront peut-être une mince consolation. Pour une fois, ils n’auront pas été les seuls à « sacrer » dans leur « char », lundi dernier, en poireautant dans un nuage de smog pour accéder au pont Jacques-Cartier. Qu’ils se consolent : à Paris, Londres, Sydney, Berlin et Amsterdam, des milliers de citoyens lambda ont poussé le même cri de colère.
Dans la capitale française, ce furent les automobilistes qui voulaient accéder au pont au Change et à la place du Châtelet, bloquée depuis trois jours. Samedi, ce furent les habitués du centre commercial de la place d’Italie qui se sont heurtés à des portes closes. Au menu, des vitrines, des escaliers mécaniques et des rideaux métalliques vandalisés. Au passage, Emma, 21 ans, qui vend des biscuits pour payer ses études d’ingénieur, s’est fait traiter de… « capitaliste » !
Le même scénario s’est répété à Londres, où il était question de bloquer un aéroport pendant trois jours. À Berlin, où Angela Merkel a pourtant débloqué 100 milliards d’euros pour l’environnement (d’ici 2030), un campement de plusieurs centaines de tentes a été érigé devant la chancellerie.
De Montréal à Sydney, on invoque l’urgence climatique. Comme si cette dernière offrait à tous un blanc-seing pour défier la loi. Pour justifier ces actions, les militants brandissent un prétendu « droit » à la « désobéissance civile », oubliant que celle-ci a toujours été définie par ses pères comme un principe qui ne pouvait s’appliquer que dans des circonstances exceptionnelles. Comme l’écrit le philosophe André Perrin, cette désobéissance n’a de sens que si elle est « un droit de résister à l’oppression, non à la loi, un droit de refuser la tyrannie, non la démocratie ».
Reste donc à démontrer que Paris, Londres et Berlin sont des capitales de pays totalitaires. Les actions d’Extinction Rebellion laissent au contraire penser que, loin de combattre les tyrannies, cette organisation mondialisée en a surtout contre les démocraties. On notera en effet son absence à Pékin, New Delhi et Moscou. Là où pourtant, sur le plan environnemental, ça compterait vraiment ! Mais, comme le disait si bien en son temps François Mitterrand, « le pacifisme est à l’Ouest et les euromissiles, à l’Est ».
Il ne suffit pas d’invoquer la « désobéissance civile » pour gagner le droit de se comparer impunément à Martin Luther King et au Mahatma Gandhi. Non seulement ces derniers affrontaient-ils des lois iniques et discriminatoires, mais ils ne faisaient pas subir à des innocents les conséquences de leurs actes. Ils avaient aussi des revendications précises susceptibles d’être satisfaites. Or que proposent nos militants anticapitalistes ? Rien de moins que d’atteindre la « neutralité carbone »… en 2025 ! Une revendication utopique, extrémiste et parfaitement impossible à satisfaire sans fermer toutes les usines, interdire toutes les voitures et arrêter de se chauffer.
À moins de penser que la cause climatique peut se passer du soutien de la classe moyenne, on ne voit pas en quoi l’occupation du pont Jacques-Cartier a fait avancer cette cause. Comme le disait Emma, interviewée par le journal Le Parisien : « On est tous un peu écolos, mais être écolo, ce n’est pas forcément être anticapitaliste. »
Nos révolutionnaires d’opérette oublient que nous ne sommes plus à l’époque de Rosa Parks. Depuis, la posture romantique du rebelle est devenue une mode, un poncif, un cliché, pour ne pas dire une marque de jeans. Qu’y a-t-il de commun entre le déserteur de Boris Vian et cette jeunesse guillerette qui fait « grève » sous les regards approbateurs et les applaudissements des professeurs, des directeurs d’école et du ministre. N’est pas Soljenitsyne qui veut. Relisons Henry David Thoreau, cet adepte de la vie solitaire qui fuyait les foules. La « désobéissance civile » ne tolère guère la multitude. Toute la noblesse du mot « désobéissance » tient justement dans cette invitation à ne pas suivre le courant et à se tenir debout malgré l’esprit du temps.
Au contraire, à Paris, les « courageux » insoumis ont été soutenus par nul autre que la mairesse Anne Hidalgo et la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne. Étrangement, l’an dernier, ces élues n’avaient pas manifesté la même passion pour la désobéissance lorsque les premiers gilets jaunes, ignorés ou méprisés par les médias, avaient quitté leur province profonde pour monter à Paris.
En matière d’environnement, la difficulté aujourd’hui n’est pas tant de hurler avec les loups que de négocier les compromis difficiles qui s’imposent. Si personne ne doute de la sincérité de ces nouveaux rebelles, on nous permettra de remettre en question leur jugement politique. La sincérité n’a jamais fait une politique. Érigée en vertu suprême, elle ouvre même la porte à toutes les récupérations, notamment médiatiques.
Lors des événements de Mai 68, l’écrivain Marcel Jouhandeau avait eu ces mots, certes un peu durs, à l’égard de ces étudiants privilégiés qui manifestaient dans les rues de Paris : « Rentrez chez vous ! Dans vingt ans, vous serez tous notaires ! » Malheureusement, il ne s’était pas trompé de beaucoup.