En minimisant le problème de la détresse chez les étudiants en médecine, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, tient des propos «déplacés et blessants», croit le président de la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ), le Dr Joseph Dahine.
«Ça manque totalement de respect envers ceux qui souffrent», estime le Dr Dahine.
Mercredi, La Presse publiait un dossier sur la détresse des médecins résidents dans lequel on rapportait le suicide d'une résidente en médecine interne de 27 ans, Émilie Marchand, survenu plus tôt ce mois-ci.
Réagissant à ce dossier, le ministre Barrette a déclaré que les médecins résidents ne subissent pas trop de pression. «La pression vécue aujourd'hui est vraiment moindre que ce qu'elle était il y a 15 ans. C'est beaucoup, beaucoup plus accommodant aujourd'hui», a-t-il dit.
Le ministre a ajouté que les médecins résidents ne sont pas plus à risque de suicide et de dépression que la population générale. «C'est une situation que, malheureusement, plusieurs personnes vivent, spécialement je dirais, dans leur jeunesse.»
«Ces propos ont choqué plusieurs de mes collègues. Mais le pire, c'est que ça illustre parfaitement la culture du tabou et du déni qui sévit dans la profession médicale autour de la détresse, note le Dr Dahine. Le vrai message qu'il faut donner, c'est que le statu quo est inacceptable.»
Président de l'Association des médecins résidents de Montréal, le Dr Robert Avram, abonde dans le même sens: «Même si les horaires de garde ne sont plus ce qu'ils étaient, on passe autant de temps à l'hôpital. Et on est plus évalué. La pression et le stress sont là et les propos du ministre sont choquants.»
Une souffrance familière
Plusieurs étudiants en médecine se sont reconnus dans l'histoire d'Émilie Marchand. Après la publication de notre dossier, de nombreux témoignages ont afflué sur les réseaux sociaux pour briser le tabou de la dépression et de l'épuisement chez les futurs médecins.
«Je ne connaissais pas cette belle Émilie que le stress des études en médecine a fini par tuer [...]. Mais je sais que cette fille, ça aurait très bien pu être moi», a écrit une étudiante en troisième année de médecine sur Facebook.
À 23 ans, cette jeune femme raconte avoir déjà fait deux dépressions majeures liées au rythme effréné de ses études. Elle déplore avoir dû attendre six mois avant d'obtenir un rendez-vous auprès d'un psychologue du service d'aide référé par sa faculté de médecine.
Résultat: sa thérapie commence à peine qu'elle doit changer de région pour son prochain stage et par conséquent, repartir à zéro dans sa démarche de recherche d'aide. Elle craint d'en parler à ses patrons au risque de passer pour une étudiante «faible» et ensuite être refusée dans la spécialité de son choix.
Forcée d'abandonner
Une autre jeune femme a raconté à La Presse avoir dû carrément abandonner sa résidence puisque sa faculté refusait qu'elle fasse un retour progressif au travail après un congé de maladie. «J'ai des vulnérabilités, mais l'intransigeance de la faculté a mis un terme à toute perspective d'un retour au travail réussi. Des rêves brisés mais surtout un rôle positif que je ne pourrai offrir à la société», déplore cette ex-résidente.
Plusieurs parents d'étudiants en médecine témoignent de leur impuissance face à la détresse de leur enfant. «Pourquoi ne pas alléger leur fardeau et leur stress?, se demande un père de deux étudiantes en médecine. C'est incroyable de les voir sept jour sur sept, 18 heures par jour dans leurs livres. Si elles s'octroient une pause pour oxygéner, leurs notes baissent. Elles n'ont aucun droit à l'erreur si elles ne veulent pas être expulsées du programme.»
Un autre père préoccupé par la santé de sa fille qui fait actuellement sa résidence nous a décrit que cette dernière doit prendre des antidépresseurs et des somnifères pour soutenir le rythme effréné de ses semaines de garde. «Elle semble aller mieux depuis qu'elle est médicamentée et elle continuera d'avoir notre support [...]. Sans ce support elle serait déjà morte d'épuisement», raconte-t-il.
Un troisième parent nous a souligné à quel point il était soulagé de voir que sa fille était «passée à travers» ses études sans mettre fin à ses jours.
«J'ai également "ramassé" ma fille à la petite cuillère durant ses études. Découragements fréquents, discussions durant la nuit pour l'encourager, évanouissement, sommeil impossible, examens sans relâche, supervision par des médecins arrogants voulant leur montrer une leçon, énumère ce père. Voilà en résumé le cours de médecine. Jamais d'encouragements ou très rarement.»
La très présente détresse
Psychiatre au Centre hospitalier de l'Université de Sherbrooke, le Dr Pierre Gagné analyse les décès par suicide de médecins qui surviennent chaque année au Québec. Depuis deux ans, il note que le nombre de cas diminue. Mais la détresse est toujours présente. «Ça touche les médecins résidents. Mais ça ne s'arrête pas après. Au contraire, la détresse monte d'un cran et est très présente chez les médecins», dit-il.
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