Réagissant à la plate-forme «pédagogique» de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE), dévoilée la semaine dernière, [Marie-André Chouinard décriait samedi dans Le Devoir->22253] «la confusion la plus totale. [...] Le grand public s'y perd, bien des enseignants aussi ne doivent plus savoir sur quel pied danser». Pourtant, une fois la poussière des controverses retombée, il est possible de déceler quelques certitudes fermes.
- Personne n'a encore inventé la meilleure manière de scolariser nos enfants
Il y a une centaine de générations déjà, Aristote écrivait: «À l'heure actuelle [...], on est en désaccord sur les matières à enseigner: tous les hommes n'ont pas les mêmes opinions sur les choses que la jeunesse doit apprendre [...].» Tout laisse croire que le désaccord persistera pour une autre centaine de générations. Au Québec comme ailleurs, aujourd'hui comme jadis, les parents devraient se méfier des marchands de solutions simples.
- Personne n'a encore cherché à faire réussir tous ses enfants
Aucune civilisation, avant la nôtre, ne s'était mise en tête de faire réussir TOUS ses enfants, quelle que soit leur origine sociale, ou leur degré de préparation à l'entrée à l'école, ou leurs conditions de vie, etc. Nul besoin de remonter à l'Antiquité pour s'en convaincre. Il suffit de lire le sociologue Guy Rocher sur nos collèges classiques: «Quand on tient compte du nombre d'élèves qui entraient en éléments latins et du nombre d'élèves qui finissaient le cours classique, on peut dire que le décrochage était à peu près dans les 70 à 75 %. C'était terrible, mais on n'en parlait pas comme aujourd'hui.»
- Personne ne peut prévoir l'effet du Web sur l'école
Gutenberg a changé le monde, donc l'école. La machine à vapeur aussi. La seule certitude, c'est que l'école de demain ne sera pas celle d'hier. La question n'est pas de savoir si nos programmes devraient porter sur des connaissances ou des compétences -- à supposer qu'un tel choix soit même sensé. Le choix que nous avons à faire se situe entre l'humilité et son contraire. Ayons l'humilité de reconnaître que les changements que nous vivons se déroulent à une vitesse telle que nous sommes incapables d'adapter nos institutions (toutes jeunes) à ces changements.
- Personne ne peut prévoir le marché de l'emploi de demain
L'école d'aujourd'hui a pour mission, notamment, de qualifier nos enfants pour des métiers qu'ils pratiqueront demain. Sauf que, dans l'état actuel des changements technologiques, elle est incapable de leur dire à quoi ressembleront ces métiers. Nous continuons d'agir comme si la meilleure manière de préparer nos enfants au monde de demain, était de les regrouper par âge, à des heures fixes, dans un lieu qui imite le modèle industriel de nos grands-parents. C'est possiblement la manière la plus pratique... mais pouvons-nous en être certains? Il faudra valoriser ceux qui expérimenteront d'autres modèles.
- Personne ne peut savoir ce que sera la citoyenneté de demain
L'école d'aujourd'hui a, notamment, pour mission de socialiser nos enfants en vue d'un village global, résolument séculier et de plus en plus intégré. Nous avons cru bien faire en déconfessionnalisant nos commissions scolaires et en introduisant un cours portant sur l'éthique et la culture religieuse. Nous avons jugé utile d'incorporer l'éducation à la citoyenneté à nos cours d'histoire, au grand dam de certains historiens. Tous ces essais, et d'autres, ne sont que d'humbles tentatives pour nous adapter à une société changeante. Certes, des tentatives perfectibles, au lendemain de débats calmes et francs... mais pas des tentatives à remplacer, brusquement, par des marchands de certitudes simples.
- L'évaluation prend beaucoup trop de place à l'école
Il est révélateur que 82 % des «orientations» de la FAE portent sur trois volets laborieux du métier d'enseignant: l'évaluation, le bulletin et le redoublement. À l'ère du Web 2.0, d'un marché du travail changeant à la vitesse des innovations technologiques et d'un métissage socio-culturel inédit dans l'histoire de l'humanité, il est triste de constater que la «pédagogie» se résume à des enjeux de notes, des moyennes de groupe, de décisions de passage.
Elle passe à côté des débats de fond sur ce qu'il convient d'inculquer à nos enfants, pourquoi le faire, comment intéresser ceux d'entre eux qui n'aiment pas l'école, etc. L'évaluation ne vient pas «après»; elle n'est pas une phase terminale, plus ou moins laborieuse -- tel le tableau de bord d'une voiture --, elle est censée nous guider vers la destination: des enfants autonomes, instruits, qualifiés, prêts à jouer leur rôle de citoyens éclairés. Toutes les autres manières imaginables de motiver les élèves y sont préférables si elles fonctionnent: on fréquente l'école pour apprendre, pas pour être évalué.
- Le redoublement n'est pas un enjeu de conditions de travail
En 1995, participant à la Commission des États généraux sur l'éducation, l'ex-CEQ (Centrale de l'enseignement du Québec) disait du redoublement: «Cette pratique ne produit pas toutes les conséquences positives escomptées. Au contraire, le redoublement est habituellement vécu par l'élève comme une punition, une preuve qu'il ne peut réussir à l'école; il a donc souvent des effets négatifs sur l'estime de soi. De plus, comme le démontrent de nombreuses études, cette pratique n'offre généralement pas d'avantages durables sur le rendement scolaire. [...] Nous pensons donc qu'il faut proposer une organisation plus souple de l'enseignement primaire.»
Aujourd'hui, à la veille de la prochaine période de négociations de la convention collective, la position syndicale a changé, si l'on en croit ce que la Fédération autonome de l'enseignement demande. Il est vrai que, au cours de cette génération, les classes dites régulières ont évolué dans un sens inquiétant. Dans le contexte de l'exode des classes moyennes vers les collèges privés, nos enfants les plus faibles se retrouvent souvent parmi une proportion trop élevée de pairs démotivés, turbulents, etc. Encourager plus de ségrégation ne fera qu'empirer le sort de nos enfants les plus vulnérables.
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Collectif d'auteurs,
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Auteurs: Diane Miron, Camille Marchand, Mimose Constant, Louise Dufresne, Virginie Lamb et René Lemay, Membres du Réseau pour l'avancement de l'éducation au Québec (RAEQ)
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