Confinement

Décontractés du gland et on bandera quand on aura envie de bander !

Du principe de plaisir au principe de souffrance

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Chronique de Patrice-Hans Perrier

Gérard Depardieu nous a gratifié d’une tirade libératrice alors qu’il conduisait avec nonchalance une Citroën DS zigzaguant à la fin de l’opus Les Valseuses. Toisant son pote Patrick Dewaere qui, manifestement, n’arrive pas à jouir du moment présent, alors que Miou Miou lui tripote les cheveux avec un air taquin, Depardieu met les points sur les i : « On n’est pas bien là ? Paisibles, à la fraîche, décontractés du gland … et on bandera quand on aura envie de bander ! » Tout est dit à une époque où les mœurs étaient revisitées par une bande de voyous qui se servaient du septième art comme d’un exutoire favorisant une libération sexuelle pas toujours aussi factice qu’on veut bien nous le faire croire.


Phagocyter mai 68


 


1974, c’est loin, manifestement à une autre époque, à des années-lumière de la nôtre … pour preuve les analyses d’un Philippe Muray pour qui les européistes de 1998 célébraient le trentenaire de Mai 68 afin de phagocyter la remise en question de « l’ordre ancien » pour justifier la mise en place d’un « ordre nouveau » destiné à nous imposer un globalisme qui finira par réprimer dans le sang les jacqueries actuelles des Gilets jaunes.


Ainsi, les fantastiques intuitions contenues dans son essai, intitulé Après l’histoire et publié en 1998, viennent-elles jeter un éclairage sagace sur notre époque répressive et régressive : « La « révolution de mai 1998 est bien un héritage de la révolte de mai 1968 », écrit-on sans rire dans Le Monde (et sans se soucier non plus de dire de quelle révolution il s’agit en 1998). « Il y a trente ans, c’était la rue. Aujourd’hui, c’est l’euro. » Devant une divagation aussi estourbissante, on pourrait superficiellement conclure à sa pertinence : et en effet il n’y a plus, de toute façon, de rues, c’est-à-dire de villes, depuis qu’elles ont été remplacées, comme nous le savons déjà, par les rollers. »


Toutes ces considérations de Muray tombent sous le sens lorsque l’on prend conscience que c’est à cette triste époque que l’oligarque Pierre Bergé prendra une participation majeure à l’actionnariat du quotidien Le Monde, dans un contexte où ceux qui investissent sur le marché des mères porteuses entendent se servir des média-menteurs pour fermer la gueule à quiconque s’aventurerait à s’offusquer de ce « doux commerce » qui pacifie, enfin, les antagonismes de notre défunte cité. Ainsi, les investisseurs de la nouvelle économie libidinale s’accaparent les fantômes de la révolte libertaire afin de faire mousser leurs intérêts libéraux. Chemin faisant, si les décodeurs qui officient au sein du média que certains nomment « l’immonde » ne parviennent pas à faire taire les récalcitrants, il incombera au pouvoir judiciaire stipendié de les ramener dans le droit chemin. C’est ce que Philippe Muray a parfaitement bien saisi, toujours dans le même essai, et il ne s’en prive d’ailleurs pas : « Au passage, on se garde comme la peste de faire la moindre allusion à cette manie légifératrice, à cet enthousiasme procédurier et à cette passion délatrice dans lesquels Homo festivus, descendant en droite ligne de ceux pour qui il était prétendument « interdit d’interdire », a réfugié depuis belle lurette, comme on sait, ce qui subsiste en lui d’investissements libidinaux. » Et, la boucle étant bouclée, revenons à nos moutons et brebis des Valseuses.


 


Les paumés en cavale


 


Les Valseuses est une fable contemporaine qui nous raconte les aventures et les mésaventures d’un duo de petits délinquants qui tentent de s’évader de leur condition initiale. La révolution sexuelle de l’époque n’est qu’un prétexte pour questionner nos bonnes vieilles habitudes en matière de mœurs, mais, surtout, au niveau du rapport au désir qu’entretien cette humanité contrainte de s’évader du côté des romans à l’eau de rose à défaut de laisser libre-cours à une sensualité qui est tenue en laisse par le quotidien. Gérard Depardieu et feu Patrick Dewaere font les quatre cents coups au tout début de cet opus cinématographique et poussent l’effronterie jusqu’à traquer une infortunée vieille fille pour lui voler son sac-à-main dans le hall d’entrée d’un immeuble d’habitation qui ne paie pas de mine. Puis, changement de plan, ils se poussent avec la « fraîche » tout en étant poursuivis par une bande de voisins qui ont décidé de leur faire la peau.


De fil en aiguille, l’histoire se poursuit sur le mode d’une cavale qui se transforme en sorte de happening érotico-sociologique, à une époque où il était toujours permis de nommer la misère émotionnelle de nos concitoyens. On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec Les Contes de Canterbury, tels que filmés par Pier Paolo Pasolini en 1972. Car, il faut bien l’avouer, Les Valseuses représente une fable contemporaine qui traite du désert affectif des banlieues et autres cité-mouroirs à l’époque des « trente glorieuses », dans un contexte où les classes moyennes avait le fric dans les voiles et où certaines femmes ne savaient plus que faire de leur solitude de parvenues désœuvrées. Idem pour les loubars et autres lumpenprolétaires qui n’avaient aucune perspective en vue, hormis celle de profiter de la déconfiture ambiante pour faire les poches des nouveaux riches et de tenter de mettre la main sur leurs concubines du moment. Parce que les épouses ou les amoureuses se sont transformées en concubines à une époque où il n’y avait pratiquement plus de famille à élever et où les femmes n’avaient pas encore investi massivement le marché du travail. Et, c’est exactement le propos de notre film.


1974, c’est un interstice, une sorte de trou de la serrure qui permettra aux désœuvrés, d’en haut, comme d’en bas, de prendre la clef des champs sur les chemins de traverse d’une sorte de cavale ludique qui débouchera sur la crise économique de 1981. Époque de fantasmes échevelés mis en scène par des pervers polymorphes, les années 1970 ont servi de décors à la production d’une pléiade de « road movies » dépeignant les frasques des « misfits » d’une société de la consommation anthropique. Un peu à la manière des romans de Jack Kerouac, les « road movies » profitent du désœuvrement ambiant pour questionner nos habitudes de vie au gré des péripéties d’une poignée d’antihéros qui ont du temps à perdre afin d’entreprendre une quête existentielle. Les deux voyous des Valseuses, poussent le culot jusqu’à kidnapper la concubine du propriétaire d’un salon de coiffure, sorte d’imbécile heureux qui nous rappelle les personnages des bandes dessinées de Gérard Lauzier.


En effet, dans moultes histoires brossées par Lauzier, on y retrouve invariablement la concubine du nouveau riche qui trompe son mec avec un loubar, un voyou bien déjanté et qui n’a rien à perdre puisqu’il a déjà tout perdu en pleine adolescence. Se moquant des conventions bourgeoises ou catholiques, le voyou « emprunte » la femme du petit-bourgeois le temps d’une joyeuse cavale qui se termine toujours en queue de poisson puisque le principe de réalité finit par rattraper les joyeux naufragés. Prise en serre entre un pourvoyeur sans intérêt et un loubar condamné d’avance, la fausse ingénue profite de cet aparté ludique pour redécouvrir une sensualité qui avait été ensevelie sous le décor en stuc des convenances et des faux-semblants de son port d’attache. On connaît la suite.


 


Le confinement obligatoire


 


Philippe Muray, essayiste et romancier prophétique, que nous avons découverts sur le tard, décortique les méfaits d’une « société du spectacle » qui met en scène un HOMO FESTIVUS à la recherche du « temps perdu » et de cette aura énergétique qui s’est éteinte au cœur d’une cité qui ressemble, désormais, à un camp de concentration pour festivaliers. Alors que de nouvelles pandémies nous frappent – après que les féministes déjantées aient incité le pénal à prendre en chasse tous les porcs potentiellement à risque – nos autorités libertariennes nous enjoignent à rester confinés dans notre cellule citadine. On parle, même, d’une surcharge de la consommation d’internet, ce qui ferait planer la possibilité de débrancher les festivaliers de notre société indigente ! Panique à bord : privés du simulacre des rencontres sur la place publique, nos congénères pourraient ne plus pouvoir s’évader du réel sur leurs réseaux sociaux de prédilection. Tous les théâtres du factice fermés, HOMO FESTIVUS doit se rabattre sur une désagréable conversation en tête-à-tête avec lui-même ou son infortuné (e) compagne (on) du moment. Que faire ? Méditer, dialoguer, faire l’amour ? Mais, voyons, toutes ces anciennes habitudes n’ont plus cours à une époque où le simulacre a déjà remplacé la réalité et où toute vérité est proscrite par les censeurs d’un « vivre ensemble » qui n’est qu’une injonction déguisée nous invitant à éviter de contrarier l’autre. La parole de Muray est d’or en ces funestes circonstances : « … on veut nous faire croire à l’excellence presque complète des nouveaux habitants de la société, qui cultiveraient « une distance à l’égard de tous les a priori » et militeraient « pour la liberté, toutes les libertés, celles des mœurs comme celles des échanges ». Ce n’est même plus le passé qui est convoqué pour éclairer le présent; c’est le fantôme d’une vieille rébellion qui cesse d’avoir jamais eu la moindre existence, et qui n’est plus qu’un moment parmi d’autres de l’abstraction paradisiaque actuelle. D’une façon plus générale, et comme d’habitude, c’est le principe de réalité qui est entièrement annexé, gobé, avalé par le principe de plaisir. »


Si Muray est, certes, sagace et prolifique, on cherche en vain où pourrait bien se loger un « principe de plaisir » qui ne répond pas à nos nombreux appels. Les vins de table que le gouvernement du Québec nous vend à 10 euros sont pleins de sulfites et proprement imbuvables. Les femmes à qui on adresse quelques sourires et compliments nous envoient vertement promener à la terrasse des cafés. Les enfants font signer des contrats à leurs parents qui stipulent leurs droits et responsabilités à la maison et en dehors de la maison. Les « œuvres d’art » et la musique qui envahit la sphère publique ne sont que des immondices qui surajoutent à la pollution mentale des véganes indigents qui font office de police des mœurs en société. Les fruits et légumes vendus à prix d’or par les trusts alimentaires ne goûtent plus rien puisqu’ils proviennent de l’autre bout du monde et qu’ils ont déjà perdu toute leur valeur nutritive en fin de parcours. Le monde festif organisé par les innombrables associations et autres guildes qui monopolisent les prébendes gouvernementales ne fait que mettre en scène les insignifiantes majorettes d’un « vivre ensemble » mécanique et désincarné. On cherche en vain ce fameux « principe de plaisir » à une époque où le sadomasochisme est devenu la norme officielle. À défaut de jouir, on s’évertue à faire chier son voisin en se réjouissant du malheur d’autrui. C’est le triomphe de l’infamie qui s’affiche en toute impunité.


On le constate, ce confinement obligatoire représente probablement une chance en or qui permettra à nos oligarques de tester de nouvelles habitudes de vie, de nouveaux mots d’ordre ou de nouveaux modes de consommation. Ainsi, la hantise de pouvoir contaminer votre clavier, après avoir fait vos courses au supermarché du coin, vous poussera à utiliser la reconnaissance vocale pour, dorénavant, communiquer par trolls interposés. Les gens perdront l’habitude d’écrire et les claviers pourraient, comme l’argent liquide, ne plus être mis en circulation. Les logiciels de reconnaissance vocale feront le reste du boulot pour que votre identité soit dûment répertoriée et que les autorités compétentes puissent agir promptement en cas de … débordement. Refusant les espèces sonnantes et trébuchantes, les quelques relais de consommation toujours ouverts favorisent le retrait de la monnaie réelle. In fine, des implants pourraient permettre aux autorités médicales de diagnostiquer les gens à distance, de suivre à la trace les cas de contamination et de faire en sorte que les contrevenants soient prestement « retirés » de la circulation. Des robots sexuels ou chastes […] pourraient être mis en vente afin d’aider les néo-citadins à supporter une période de confinement appelée à se prolonger indûment, histoire d’habituer la populace à vivre comme des monades totalement isolées les unes des autres. Mais, après tout, la société de consommation de l’après-guerre a déjà fait de nous tous des atomes alimentés par les flux d’une gouvernance qui a institué le FESTIF comme un agent dissolvant interdisant toute parole contradictoire, tout discours critique qui menacerait le « vivre ensemble » des globalistes.


Muray cerne avec une précision sans faille cette mise en place d’une société de la contestation consensuelle et factice : « Et ce qui fait que Mai 68 appartient encore à l’histoire, c’est simplement que le sombre génie diviseur des vieilles révolutions s’y est tout de même fait entendre, et probablement pour la dernière fois. La racine violente des plus anciennes périodes subversives y est remontée à la surface. La vertu séparante et discordante y a tenu pendant un mois le devant de la scène. La négativité active et créatrice s’y est étalée. » En effet, après que les vertus « libératrices » de Mai 68 eussent été phagocytées et digérées par les grands régisseurs derrière tout ce cirque, la société festive pouvait se servir à pleine main dans un panier de merveilleux concepts castrateurs : la non-violence et le vivre-ensemble étant détournés de leur signification initiale pour ne plus servir que de camisoles de force destinées à NEUTRALISER toute capacité de résistance, toute critique objective de cet ORDO marchand.


Désormais, et c’est agréable d’en savourer les contradictions, le système marchand table sur le « désir du meurtre du père » – ou satisfaction des pulsions onanistes des consommateurs indigents – pour faire saliver le COMMUN face au fantasme d’une révolution impossible à réaliser. C’est pourquoi la réalité virtuelle et toutes ses déclinaisons marchandes sont devenues la SOMA idéale afin de condamner à la réclusion les consommateurs décérébrés qui peuvent, enfin, assassiner en toute impunité leur prochain sans craindre de subir des représailles par la suite. Mais, puisque que l’industrie pornographique nous a promis de mettre en marché des robots sexuels compatissants et dociles, nous sommes peut-être en droit de demander à nos marchands de consoles de jeux de nous fournir des drones pour frapper nos voisins porteurs de virus indésirables. Chemin faisant, nous pourrions rendre service à la « société du confinement » tout en nous faisant plaisir.


 


Un principe de plaisir d’un GENRE nouveau


 


Cette période de confinement providentielle aura eu le mérite de réconcilier l’OPUS DEI avec les féministes véganes et tous les supplétifs de la nouvelle inquisition aux manettes. Ainsi, en attendant qu’une nouvelle génération de robot vienne nous fouetter, nous pourrons resserrer les garrots de nos silices afin de faire saigner notre corps par trop coupable d’exulter. À défaut de pouvoir trucider allègrement nos voisins, nous pourrons toujours nous infliger une foison de petits supplices domestiques avec la bénédiction des autorités publiques. Peut-être faudrait-il songer à demander au Vatican de déclassifier les manuels d’instruction destinés aux bons offices des tortionnaires employés par l’inquisition … ainsi, après avoir épinglé aux murs de la salle de bain des affiches expliquant le lavage des mains et la désinfection des cuvettes, nous pourrons imprimer des planches instructives portant sur l’art du garrot, du supplice de la noyade ou de l’arrachement des ongles. Des robots dûment certifiés par le Saint-Office pourraient être mis en vente afin de nous aider à souffrir le martyre et, ainsi, reprendre contact avec ce fameux principe de réalité qui fait tant saliver notre cher Muray.


Chemin faisant, la grande partouze annoncée dans le sillage de Mai 68 n’aura servi qu’à nous isoler toujours plus les uns des autres. Le « principe de plaisir » ayant cédé la place au « principe de souffrance », la vie pourra reprendre son cours. Désormais, les faibles reprendront la place qui leur a été assignée et les forts pourront se remettre à piger à pleine main dans cette corne d’abondance qui est alimentée, depuis toujours, par le « travail à la sueur de leur front » des esclaves de la société du consentement et du confinement permanents. De mauvaises langues seraient peut-être tentées de lancer la tirade suivante : « vivement un peu de licence entre citoyens contaminés ! »


 


Référence :


ESSAIS, Philippe Muray, éditions Les Belles Lettres, Paris, 2015.


ISBN : 978 – 2 – 251 – 44393 – 5


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Patrice-Hans Perrier181 articles

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Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com





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