De l'accommodement raisonnable ou ce qu'il faut faire pour qu'il le demeure

Tribune libre

Lorsque la Cour Suprême a accouché de cette locution ou de ce nouveau concept juridique, elle désirait sans doute empêcher la majorité d'imposer trop lourdement ses habitudes aux groupes minoritaires faisant partie de la société canadienne. Objectif louable mais qui, avec les trop nombreux dérapages récents, s'avère un lamentable échec dans son application. Et la raison en est fort simple. Certains groupes minoritaires semblent avoir perçu le message de la Cour Suprême comme une "victoire" contre la majorité. Ils croient s'être trouvés face à un vacuum qu'ils s'empressent, consciemment ou non, de combler.
Or, cette notion d'accommodement raisonnable, pour être viable, doit être soutenue par trois éléments fondamentaux :
Le premier est la reconnaissance par la majorité que certaines valeurs fondamentales de groupes minoritaires peuvent s'accommoder mal de quelques-unes de nos habitudes, ou de nos coutumes. Je dis bien «habitudes» ou «coutumes», et non «valeurs». Telle pourrait être, par exemple, la tolérance du port du turban par les Sikhs de la GRC. C'est sûrement ce que la Cour Suprême entendait par «accommodement raisonnable».
Le deuxième élément est la nécessaire distinction entre des habitudes ou des coutumes de la majorité et les valeurs fondamentales d'une société. Lorsqu'on requière des exceptions qui viennent heurter de plein fouet les valeurs profondes d'une société, les accommodements qui en découlent cessent d'être raisonnables. C'est le cas du kirpan. La violence et les armes ne sont pas admissibles au sein de la société québécoise. Le milieu de l'enseignement s'efforce depuis des années de montrer aux jeunes écoliers que les solutions pacifiques sont seules efficaces, et que les armes ne sont pas une réponse. Le fait de tolérer le port d'un couteau même caché, même en plastique, par un jeune transmet symboliquement le message que les valeurs de la société québécoise ne sont pas reconnues par cette minorité et qu'elle en fait fi. Et qu'après tout, la violence pourrait être une solution quoi qu'on en dise.

Le troisième élément est de loin le plus important. C'est simplement la reconnaissance et le respect de la société québécoise et de ses valeurs par les groupes minoritaires. Soit ces groupes considèrent qu'ils font partie d'un ensemble plus large qui s'appelle la société québécoise dont ils ont l'obligation de partager les valeurs profondes. Soit ils refusent. Et se marginalisent et se ghettoïsent eux-mêmes. En assumant toute la responsabilité de cette ghettoïsation librement choisie par eux. Ce que j'ai dit là peut sembler lourd de conséquence. Mais, pour peu qu'on y réfléchisse un tant soit peu, il s'agit en fait d'une notion simple, d'une évidence, à savoir le principe de réciprocité. Si je veux être reconnu par l'Autre, j'ai le devoir de le reconnaître aussi. Si je veux être respecté par l'Autre, il me faut le respecter aussi, surtout s'il est largement majoritaire, et que l'Histoire a consacré son antériorité.

Comme on l'a vu, le premier fondement a, à toutes fins utiles, été énoncé par la Cour Suprême sous une forme générale. Il faut maintenant mettre en oeuvre les deux autres fondements. Ils permettront de clarifier le principe général, et d'en tracer l'étendue et les limites.

D'ici là, je pense qu'il est sage, comme le font MM. Charest et Boisclair, de maintenir les ponts afin d'aider les groupes minoritaires à traverser le fossé. Si, toutefois, ils le veulent bien. Je crois cependant qu'il est prématuré et potentiellement incendiaire d'agir comme le fait Mario Dumont. En France, Sarkozy a joué à ce jeu l'été passé avec les conséquences que l'on sait.

Michel Berbery, Montréal
Joseph Berbery, Laval
Québécois d'origine libanaise



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