À l’issue d’une immersion dans l’extrême droite québécoise, le chercheur Frédérick Nadeau bouscule les idées reçues sur des groupes comme la Fédération des Québécois de souche (FQS).
Il s’affaire tout d’abord à déboulonner le mythe voulant que l’extrême droite soit principalement constituée de « perdants de la globalisation ». « Contrairement à ce que l’on peut avoir tendance à penser, ce ne sont pas des gens sans éducation, des chômeurs, ou des personnes qui vivent de grandes difficultés ou dans la précarité. Ce sont des gens relativement bien intégrés à leur société, avec une bonne éducation, un bon emploi, de bonnes perspectives d’avenir », soutient le candidat au doctorat en études urbaines à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) dans un échange avec Le Devoir. « S’ils ont peur d’être déclassés, c’est surtout du point de vue culturel », poursuit-il.
De 2013 à 2017, Frédérick Nadeau a pris part à toutes sortes d’activités organisées par les membres de groupes associés à l’extrême droite québécoise, dont la Fédération des Québécois de souche (FQS) et Atalante. « Pour moi, c’était important d’aller rencontrer les gens et de discuter avec eux », affirme-t-il en marge du 87e congrès de l’Acfas à Gatineau.
Les militants des groupes d’extrême droite proviennent de différents milieux : rural ou urbain ; aisé ou populaire ; d’une famille politisée ou non ; religieuse ou non, a-t-il constaté dans les conférences, concerts, marches, distributions de tracts, fêtes, soupers auxquels il a participé.
Les ressorts de l’engagement
Les sentiments « d’exclusion et d’impuissance » d’une part et de « déni de reconnaissance » d’autre part poussent les personnes dans les bras de l’extrême droite québécoise. Les militants de groupes qui y sont associés ont l’impression de « ne pas être écoutés, d’être réduits au silence, d’être victimes d’une injustice immense et évidente, tout en étant totalement impuissants face à un système beaucoup trop fort ». Ils ont également l’impression « qu’on leur manque de respect, qu’on ne leur accorde pas la reconnaissance à laquelle ils estiment avoir droit ».
On ? « Les immigrants qui n’ont pas suffisamment de considération pour la culture québécoise. Les médias et la gauche qui tentent de les démoniser ou de les tourner en ridicule. Les élites politiques qui refusent de les écouter ou de prendre leurs demandes au sérieux », précise le chercheur à l’INRS.
Si [les militants de l’extrême droite] ont peur d’être déclassés, c’est surtout du point de vue culturel
Frédérick Nadeau soutient que l’engagement dans l’extrême droite est vu comme une forme d’empowerment. « C’est une façon de se construire comme sujet ? comme acteur doté d’une capacité d’agir ? et de reprendre le contrôle sur un monde qui semble nous échapper, dans un contexte où les canaux de la politique institutionnelle semblent bloqués », explique-t-il. « Ce qui est intéressant, c’est que ça ne concerne pas seulement l’engagement dans l’extrême droite, mais dans un ensemble de mouvements sociaux : véganisme, écologisme, féminisme, mouvements politico-religieux, etc. »
Encore le « complot juif »
Par ailleurs, les groupes d’extrême droite n’ont pas tous des velléités politiques. Parmi eux, la FQS mène un « combat » culturel, visant à « transformer la façon dont les citoyens perçoivent le monde autour d’eux ». « C’est dans cette optique-là que le magazine Le Harfang a été créé », indique Frédérick Nadeau.
Il a répertorié les « principales cibles » de la FQS. Celles-ci sont, en ordre d’importance, les « élites politiques », l’« immigration », la « gauche », le « capitalisme », les « médias », les « Juifs » et l’« islam », a-t-il conclu après avoir analysé le contenu de 87 articles des trois premiers numéros (2012-2013) et des trois derniers numéros (2018-2019) du Harfang.
Le chercheur a présenté les résultats de son analyse aux participants du congrès de l’Acfas vendredi. « Ce qui m’a surpris de prime abord, c’est de voir à quel point l’islam en tant que tel est à peu près absent des discours de la FQS ? du moins de manière explicite. Ça m’a surpris parce qu’on a souvent tendance à penser que l’islamophobie aurait en quelque sorte éclipsé l’antisémitisme comme élément constitutif de l’extrême droite. Pour certains, ce serait même la caractéristique principale qui permettrait de distinguer l’extrême droite plus “classique” de la “nouvelle” extrême droite. Pourtant, ce que l’analyse révèle, c’est que, finalement, le thème du complot juif demeure un narratif important de l’extrême droite, du moins pour un groupe comme la FQS », souligne-t-il.