J’ai renoncé à trouver la moindre cohérence dans la récente trajectoire intellectuelle de Charles Taylor.
Aurai-je plus de chance avec Gérard Bouchard ? Voyons voir.
Il mobilise trois principaux arguments contre la version actuelle du projet de loi sur la laïcité.
Réalisme
Il conteste d’abord le recours à la clause dérogatoire et voudrait que le gouvernement attende le verdict des tribunaux.
M. Bouchard aurait-il manqué quelques épisodes de notre actualité récente ?
La triste loi 62 du gouvernement Couillard, qui prétendait imposer l’obligation de donner et de recevoir des services publics avec le visage découvert (mais avec possibilité d’accommodements pour des motifs religieux !) fut immédiatement suspendue d’application par le juge Barin (décembre 2017), puis par le juge Blanchard (juin 2018), tous deux de la Cour supérieure.
Le juge Blanchard évoqua le « préjudice irréparable » fait, selon lui, aux femmes musulmanes portant le voile intégral.
Le gouvernement Couillard décida de ne pas porter la cause en appel.
Si la cause était jugée sur le fond, sur la constitutionnalité de la loi à la lumière d’une jurisprudence canadienne reposant sur la doctrine multiculturaliste, il risquerait d’arriver quoi, vous pensez ?
Imaginez la surchauffe après le verdict...
Le recours à la clause dérogatoire apporterait au contraire cinq ans de relative accalmie après dix ans de tergiversations, et donnerait au Québec le moyen d’affirmer concrètement une approche du pluralisme différente de l’approche canadienne.
N’était-ce pas M. Bouchard lui-même qui, au nom de l’« interculturalisme », soutenait que le multiculturalisme ne convenait pas au Québec ?
M. Bouchard reproche ensuite au gouvernement d’avoir évoqué la possibilité du bâillon pour faire adopter sa loi.
On s’apprête pourtant à entendre des dizaines de groupes en commission parlementaire.
M. Bouchard aurait-il l’amabilité de nous dire quel argument n’a pas encore été entendu, ou quelles sont les chances que l’un ou l’autre des partis qui devra se prononcer change d’avis ?
Se relire
L’interdiction du port des signes religieux pour certaines catégories d’employés semble déranger M. Bouchard.
Dans son rapport de 2008, après des pages et des pages de circonvolutions, il tranchait : « En soupesant toutes ces considérations, nous croyons que l’imposition d’un devoir de réserve à cette gamme limitée de postes représente le meilleur équilibre pour la société québécoise d’aujourd’hui [...] ».
La principale exception, et elle est de taille, convenons-en, est celle des enseignants.
M. Bouchard trouve le projet de loi « radical ». Pourrait-il nous dire quel qualificatif convient alors aux propos de ces femmes voilées qui envisagent le déménagement, le changement d’orientation et la désobéissance civile ?
Est-il « radical » de faire primer l’intérêt de l’enfant à apprendre dans un cadre neutre au plan religieux sur le désir d’une personne d’afficher ostensiblement sa spiritualité ?
On nous dira qu’un enseignant n’est pas une personne en autorité.
Curieuse conception de l’enseignement, surtout lorsqu’on considère, comme un lecteur me l’a fait noter, qu’on invoque la « relation d’autorité » pour proscrire les rapports intimes entre l’enseignant et l’élève.
Il y aurait donc « relation d’autorité » pour le sexe, mais pas pour la religion ?
Ouais...