Ce samedi 3 novembre se tenait le 11e colloque « Quelque chose comme un grand peuple » organisé par l’Institut de recherche sur le Québec (IRQ) et le Mouvement national des Québécois (MNQ) ayant pour titre Situation du nationalisme québécois après le 1er octobre : vers un nouveau contexte historique.
Débutons immédiatement en affirmant qu’il ne sort généralement pas grand chose d’intéressant de ce genre de colloque, habituellement empêtré dans le politiquement correct du mouvement souverainiste institutionnel.
Entre les postures incantatoires nous affirmant qu’il faut « reconquérir le coeur de la jeunesse » (sic) et les appels à l’unité dont la profondeur stratégique ne se résume qu’à parler d’indépendance, cet évènement aurait pu tomber dans une énième banale autocongratulation péquiste.
Ce ne fut pas le cas, principalement en raison de la qualité des participants. Enfin, pour être plus précis, de la moitié des participants au colloque, car – disons-le franchement – nous nous serions bien passés d’une grande partie des conférenciers. Les intervenants les plus décevants furent évidemment les journalistes et les politiciens.
Les bons éléments
Le juriste Guillaume Rousseau – qui a été défait aux dernières élections par une candidate solidaire – a semblé le plus lucide et combatif sur la situation du nationalisme actuel. Loin d’être pessimiste, il voit dans l’élection caquiste une bonne indication de l’attachement des Québécois à un nationalisme identitaire et défend la possiblité que le gouvernement Legault puisse relancer le souverainisme québécois par la dynamique de confrontation qu’il impose à Ottawa. Il a défendu la conquête de nouveaux pouvoirs par l’État québécois en insistant sur le fait qu’il demeurait impensable de signer l’actuelle constitution canadienne.
Il a aussi brillamment associé la défaite péquiste à l’effondrement mondial des partis sociaux-démocrates en rappelant l’impopularité occidentale de tous les partis de centre-gauche. Ainsi, il faut donc plus voir la défaite péquiste comme l’échec de la social-démocratie québécoise que l’effondrement du nationalisme québécois ou encore du souverainisme.
Le professeur de droit a également brièvement parlé des stratégies possibles à utiliser pour affronter Ottawa, notamment la fameuse clause dérogatoire qui permetterait de contourner les dérives radicales du multiculturalisme canadien. Rousseau a publié une étude sur la clause dérogatoire, prouvant la fréquence de son utilisation.
Guillaume Rousseau est professeur de droit à l’Université Sherbrooke
Charles-Philippe Courtois est un jeune professeur d’histoire malheureusement trop méconnu du public souverainiste. Il a tout d’abord rappelé que notre situation nationale était particulière en cela qu’elle était à la confluence des mondes français et britannique et que – contrairement à ce qui est généralement avancé dans l’histoire du nationalisme – le sentiment national de ces deux pays précède le XIXe siècle, généralement vu comme le siècle de l’émergence des passions nationales.
L’enracinement des Canadiens – le terme utilisé dès le XVIIe siècle – dans leur patrie précède donc largement les Rébellions patriotes et s’inscrit dans l’histoire plus longue du développement national de la France en Amérique. Mais l’historien rappelle surtout que le débat historiographique québécois opposant le nationalisme culturel au nationalisme politique relève plus d’une mauvaise interprétation que de la réalité. Le nationalisme de la Survivance a permis le nationalisme politique qui s’est lui-même nourri du premier.
Il n’y a donc pas lieu d’opposer le « mauvais » nationalisme à partir de 1840 au « bon » nationalisme émancipateur qui apparaît en 1960 comme les libéraux tentent de le faire croire. Il a insisté sur la permanence et la complémentarité de ces deux expressions de notre volonté de vivre, mais il aurait été intéressant de l’entendre plus longtemps que les petites quinze minutes qui lui furent consacrées.
Rappelons qu’il vient de publier une superbe biographie de Lionel Groulx qui mérite d’être lue par tous les nationalistes.
Une biographie pour comprendre l’importance politique de l’abbé Groulx
L’essayiste David Leroux a fait un brillant exposé sur la lassitude moribonde qui affecte l’ensemble de la société québécoise. Dans un style qui peut rappeler celui de Christian Saint-Germain, le jeune protégé de Mathieu Bock-Côté dénonce l’anesthésie politique qui nous paralyse et attaque en des termes peu amènes la paresse intellectuelle qui affecte le mouvement souverainiste actuel.
Prenant ses distances avec son mentor Bock-Côté, il appelle à la mise en place d’une « démocratie illibérale » qui semble faire référence aux propos du premier ministre hongrois Viktor Orban. Pour sortir du marasme actuel, le mouvement souverainiste devra rompre avec son bonententisme et entrer dans le realpolitik afin d’assumer que la lutte pour la création d’un État souverain en Amérique du Nord ne se fera pas sans heurts.
On aurait aimé qu’il puisse développer plus en profondeur sa réflexion sur l’effectivité du processus référendaire, mais il fut contraint d’y couper court, faute de temps. Son premier essai Anesthésie générale semble donc particulièrement prometteur.
David Leroux termine des études en sciences politiques à l’Université McGill
Le sociologue et chroniqueur Mathieu Bock-Côté a été égal à lui-même : il a appelé à poursuivre le combat national contre Ottawa sur les thèmes de l’immigration, du multiculturalisme et de la langue. Il a également souligné combien il était étrange de voir un parti n’étant pas explicitement anti-Québécois à la tête de l’État. Malgré les reproches que l’on peut faire à la CAQ – son côté brouillon mâtiné d’anti-intellectualisme – il n’en demeure pas moins qu’il s’agit avant tout d’un parti profondément québécois, même si d’étranges personnages s’y sont glissés.
L’éditorialiste de L’Action nationale Robert Laplante a paru particulièrement déprimé et pessimiste, comme s’il n’arrivait pas à sortir de l’ornière des années 1990. Il y a chez lui la lassitude générationnelle du péquiste fatigué de voir son camp perdre à répétition. Malheureusement, il ne semble pas avoir quitté pleinement la stratégie référendaire, même s’il demeure un des plus brillants analystes de la scène souverainiste.
La militante laïque Louise Mailloux a refait l’historique du combat du lobby du voile contre les projets d’encadrement des dérives multiculturalistes depuis le milieu des années 2000. Malgré certaines positions christianophobes prises par le passé, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une femme courageuse qui ose nommer l’ennemi islamiste et qui a été injustement accusée de racisme (sic) par tous les lobbys minoritaires vivant de la pleurniche victimaire.
Le chroniqueur Simon-Pierre Savard-Tremblay a martelé son habituelle critique du libre-échange et de la mondialisation néo-libérale. Du reste, on saisit mal la nature de ses reproches faits à la fois à l’étapisme et à celle du Grand soir référendaire. Sa réflexion sur la question mériterait d’être clarifiée.
Petite mention honorable à la chroniqueuse Josée Boileau que l’on sent sincère dans son amour du Québec, mais qui se contente d’une analyse des phénomènes de surface, ce qui est typique de la plupart des journalistes politiques québécois. Elle a quand même brillament dénoncé l’anglicisation fulgurante de la littérature québécoise chez les auteurs de 40 ans et moins, s’inquiétant de la bilinguisation de notre univers littéraire national. Le bilan qu’elle en fait est sidérant : des pages entières sont désormais rédigées en anglais…
Ceux dont on aurait pu se passer
Les journalistes Paul Journet de La Presse et Antoine Robitaille du Journal de Montréal ont été d’une assez grande mollesse intellectuelle. Le premier déguisait son militantisme solidaire en analyse de la défaite du PQ, tandis que le second s’est contenté de reprendre les lieux communs sur le désintérêt québécois envers la souveraineté.
M. Journet a tout de même le mérite d’avoir mentionné la haine du PQ qui anime l’exécutif de Québec solidaire. Involontairement, il a donc rappelé que le principal obstacle à toute entente entre les deux partis réside principalement dans l’animosité viscérale des solidaires à l’endroit du nationalisme québécois et non dans l’incompatibilité idéologique qu’entretient la gauche péquiste avec QS.
Que dire de Jean-Martin Aussant, sinon qu’il a annoncé à mots couverts son intention de pousser pour une refondation du Parti québécois ? Horizon Québec Actuel a fait l’analyse de son rôle dans la dissolution du PQ et sa possible récupération par QS.
Soulignons également l’ineptie de sa pensée qui consiste à croire qu’il faut uniquement axer le discours souverainiste sur l’économie et délaisser le vote identitaire, ce dernier étant – selon lui – déjà acquis au Parti québécois.
Cela révèle toute l’incurie intellectuelle du personnage.
Les Québécois ont justement voté pour un parti ayant un discours plus ferme et plus clair sur l’identité nationale que le PQ. Si les péquistes abandonnent définitivement la critique de l’immigration massive et du multiculturalisme, ils confirmeront l’inutilité totale de leur parti.
La plus jeune députée de l’Assemblée nationale, Catherine Fournier, a été d’une insignifiance quasiment génante. Entre ses tableaux Power Point en guise de rélexion et les sondages de Jean-Marc Léger, aucune réflexion sérieuse n’est sortie de sa bouche pendant toute sa présentation. Sa présence fut une totale perte de temps.
Quel dommage de voir une jeune patriote si sincère – et disons-le franchement, si naïve – s’embourber dans des considérations insignifiantes. Il s’agirait qu’elle prenne une ou deux positions fermes sur l’identité nationale ou l’immigration massive et sa cote de popularité remonterait instantanément au sein du milieu nationaliste.
La Catherine Fournier dont le Québec a besoin
En matière d’insignifiance, la palme revient tout de même au chroniqueur radio-canadien Yves-François Blanchet qui a été incapable de terminer sa tentative de définition du nationalisme tellement sa pensée s’est révélée médiocre. Il a préféré nous entretenir sur cette ineptie gauchiste qu’est le scrutin proportionnel, omettant de nous rappeler que cela aurait pour effet de donner encore plus de pouvoir aux forces de l’Anti-Québec incarnées par les masses anglo-immigrées qui votent systématiquement contre les intérêts nationaux.
La présence du professeur de CÉGEP Éric Martin, auteur d’un énième livre sur la nécessité de lier le souverainisme et le socialisme dont j’ai déjà fait la critique, a eu au moins le mérite de nous rappeler pourquoi il est impératif que le mouvement souverainiste se distancie de toute forme de gauchisme. À l’inverse de Mlle Fournier ou de M. Blanchet, Éric Martin a au moins les idées claires : il veut raviver un populisme de gauche, façon Mélenchon en France ou – pourquoi pas – façon Chavez à la vénézuélienne !
Évidemment, sélectionner les plus mauvais modèles économiques planétaires pour en faire un argument servant à convaincre les Québécois de fonder un État souverain relève de la pure folie, mais les socialistes n’ont que faire du realpolitik : ce qu’ils veulent c’est défendre leur idéologie funeste, coûte que coûte.
Comme tout bon socialiste, M. Martin tente de nous faire croire que la question identitaire relève d’un « faux problème » qui masque le réel des inégalités économiques. En ce sens, la gauche socialiste ne s’éloigne pas beaucoup de la drotie néolibérale : pour elles deux, seul le rapport économique au monde relève du concret.
Or, l’indépendance du Québec est avant tout une question de civilisation et non de redistribution de richesse ou de classe sociale. Le combat contre « le 1% le plus riche » peut se faire dans un Canada dirigé par un NPD socialiste. Maintenir en vie le foyer lumineux de l’Amérique française est une tache beaucoup plus ardue…
La critique du livre de Martin
Conclusion
Sauvé par des intervenants de qualité ayant su remettre en question les poncifs progressistes habituels du PQ, le colloque aura eu au moins la vertu de démontrer que le camp souverainiste n’est pas totalement mort sur le plan intellectuel. Même si les intervenants répugnent encore à aborder trop frontalement la question centrale du péril démographique qui guette le Québec, il n’en demeure pas moins qu’on voit poindre le début d’une remise en question de la stratégie référendaire qui empoisonne le souverainisme depuis des décennies.
Malgré l’existence d’une relève patriote et nationaliste lucide, tout sera fait pour la marginaliser sur le plan médiatique et intellectuel. Nulle surprise si ce sont toujours les plus insignifiants des « souverainistes » qui occupent le champ médiatique, puisqu’ils ne représentent aucun danger pour l’État canadien. Cette relève patriote aura besoin d’un énorme courage afin de poursuivre le combat qui est le sien, car la propagande de l’adversaire ira en s’intensifiant.
La phase de recomposition qui s’amorce délimitera les véritables nationalistes lucides des rêveurs et des insipides qui parasitent le champ intellectuel du mouvement depuis trop longtemps. Ce colloque aura au moins eu le mérite de révéler une partie des effectifs de chaque camp.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
10 commentaires
Catherine Doucet Répondre
13 novembre 2018Ce que dit M. Bouchard est très vrai, d'autant plus que c'est la Québécitude qui nous a appris la haine de soi du haut de laquelle on se croit autorisé à lever le nez sur ce qu'on a appelé la survivance et sur l'affirmation identitaire canadienne française, dont la revendication, selon ACD, ne mérite pas plus de considération que celle des Indiens puisqu'elle se base sur des critères d'appartenance culturelle, et donc ethniques.
Mais c'est quoi, dans ce cas, une Nation? Croyez-vous vraiment Monsieur Cormier Denis, que c'est l'État qui fait exister la Nation? Je ne sais pas si vous réalisez qu'en se réclamant de l'identité canadienne française à l'intérieur de la Québécitude, cela nous permet de nous revêtir d'une identité qui ne parle que de nous. Vous pouvez rabaisser cette démarche autant que vous voulez, vous pouvez la qualifier de tribale ou de primitive (comme dailleurs le font tous les progressistes), mais elle n'en reste pas moins la seule façon, pour une communauté, de manifester son existence.
Après ça, si elle en a les moyens, et la volonté, cette Nation peut se doter d'un État, pas avant.
Gilles Verrier Répondre
13 novembre 2018M. Cormier-Denis, votre réponse à mon intervention témoigne de grandes et sincères ambitions pour le Québec. Malheureusement, à moins que quelque chose m'échappe, elles apparaissent toutefois irréalisables quand on les met en relief avec les moyens que vous comptez mettre en oeuvre pour y arriver. C'est bien vous qui écriviez ceci en réponse à Éric F. Bouchard le 11 novembre :
Les nouveaux pouvoirs que vous aimeriez voir assumer ou « quémander » par la CAQ, d'une part, et le puissant État souverain du Québec que vous évoquez d'autre part, n'ont un rapport entre eux que dans un enchaînement imaginaire. Les mesures que vous soutenez ne peuvent s'inscrire dans une dialectique du réel, au regard des objectifs « révolutionnaires » que vous énoncez. Ce manque de réalisme est certainement attribuable, du moins en partie, au peu de cas que vous faites de la présence de la nation « canadian » au Québec. Cette « minorité démographique » domine le Québec et le Canada français depuis la conquête et elle ne lâchera pas prise. Elle constitue une majorité sociologique qui détient toujours un pouvoir de décision démesuré, sans rapport avec son nombre, sur les destinées du Québec. Et ce pouvoir remonte à la conquête. Je me contenterai d'affirmer ce qui précède sans tenter de le démontrer ici, tant les preuves jalonnent notre histoire.
On pourrait essayer de réduire la nation canadienne-française à une minorité ethnique comme les autres. Ce sera certainement une objection qui reviendra à répétition. Or, pour paraphraser J.-T. Delos, nous formons une communauté de conscience, laquelle est : un état de faits, une réalité objective, une parenté spirituelle, un produit de l'histoire. Nous formons une nation et il faut se plier à la réalité que cette nation en côtoie d'autres au Québec, en particulier une qui est très puissante et qui ne consentira ni à s'assimiler ni à partir. On a vu après 1995 que certains de ses éléments étaient même prêts à partitionner le Québec, à titre préventif, vu que l'indépendance n'a jamais constitué une menace sérieuse. Avez-vous bien réfléchi à tout ça ?
Il ne faut donc pas chercher à soumettre nos maîtres historiques, comme votre ambitieux projet d'état du Québec le préconise, ce qui serait leur donner un nouveau prétexte pour réprimer nos dernières volontés d'affirmation nationale. Il faut, à la place, une approche plus universelle et plus souple de la question des nations au Canada. Une approche qui reconnaît et assure à chacune d'elles un statut d'égalité politique. Si, de guerre lasse, y compris l'internationalisation de la question, l'égalité ne peut être consentie par les vainqueurs de 1760, l'avenir demeurera toujours ouvert à d'autres façons de la réaliser.
Je me demande si le référendisme ne serait pas le recto d'une même médaille qui a, au verso, des ambitions démesurées alimentées par des moyens de famine. Deux versions de l'ancien paradigme péquiste qui a été rejeté par les Canadiens-Français du Québec au dernier scrutin.
Je rappelle que la nation canadienne-française a toujours été inclusive, elle a inclu en masse de nouveaux arrivants, dont Le Hir, Verrier, Facal, Turp, Benhabib, etc. et elle continuera de le faire si elle sait conserver sa vitalité. Elle n'est pas une communauté ethnique mais la nation fondatrice du Canada.
J'espère que ceci aidera à clarifier mon premier commentaire. Ce sera d'ailleurs ma dernière intervention sur ce fil puisque le sujet passionnant de ce « nouveau paradigme », peut se lire ailleurs et en détail dans Vigile.
Gilles Verrier Répondre
11 novembre 2018Je ferai mon commentaire sur un seul aspect, un point qui m'apparaît capital. En fait une rectification de faits. L'auteur de la chronique se trompe lourdement quand il écrit :
Nous n'avons rien à quémander ! La reconnaissance que nous voulons nous a déjà été accordée deux fois, et par les Anglais eux-mêmes, dans des circonstances qui revêtent un caractère constitutionnel. Il s'agit de rappeler cette reconnaissance et de la ré-affirmer. Voici les faits que je résume :
1- Les Canadiens sont signataires des Actes de capitulation de Québec et de Montréal, en 1759 et 1760. Ces Canadiens sont les fondateurs du Canada, le Canada de la Nouvelle-France, un Canada français. C'est eux qui sont désignés, donc reconnus, parmi les vaincus de la guerre de conquête. Leur existence ne fait donc pas de doute.
2- Dans les débats constitutionnels de 1865, le principal artisan de la Confédération, George Brown, a fait référence à plusieurs reprises aux « descendants des vaincus ». Il ne se référait pas aux habitants du Bas-Canada, ni aux Québécois, mais à ceux qui avaient déjà signé deux actes de capitulation. Il s'agit donc de qui ? Des Canadiens, de ces Canadiens pré-britanniques, fondateurs du premier Canada.
Il reste à l'auteur à expliquer comment il réconcilie sa défense d'un « combat identitaire » (pour l'identité de qui ?), qu'il semble tenir pour légitime, alors qu'il se refuse ensuite à reconnaître l'existence d'une nation socio-historique pourtant reconnue par les nouveaux maîtres du Canada dès 1759 ? Il lui reste à nous expliquer en quoi l'indépendance de la Province of Quebec, crée par le Anglais en 1763, est un combat plus légitime que la libération de la nation canadienne française, reconnue deux fois comme nation vaincue par les pirates de 1760 ?
Selon moi, il faut ré-affirmer ce qui a déjà été reconnu. Partir de la légitimité historique et non du libéralisme et du droit anglo-saxon. Il faut sortir du provincialisme pour entrer dans le combat national avec envergure. Après avoir reconnu onze (11) nations autochtones dans la Loi 99, il faut maintenant exiger que The Province of Quebec reconnaisse officiellement la nation canadienne-française. C'est une condition qui nous rapprochera de négociations constitutionnelles avec le « nouveau » Canada, d'égal à égal, de nation à nation. Ce sera donc des négociations « inter-nationales » bi-latérales, ou, à défaut d'entente, des négociations avec une présence internationale élargie.
Alexandre Cormier-Denis Répondre
12 novembre 2018La souveraineté est un projet qui vise à faire de l'État du Québec un État souverain possédant ses propres frontières, ses propres forces armées, sa propre banque centrale. Ce n'est pas celui d'une vague reconnaissance ethnique par Ottawa ou pire, par Québec.
Nous voulons un État souverain où nous serons les maîtres, puisque majoritaires sur le plan démographique. Si vous souhaitez être reconnus comme une minorité ethnique par l'État québécois au même titre que les Cris ou les Attikameks, grand bien vous fasse ! Je m'étonne pourtant de voir des nationalistes s'enthousiasmer sur le projet d'une reconnaissance ethnique des Canadiens-français qui les mettraient sur le même plan institutionnel que ces pauvres Autochtones. Le statut d'Indien Blanc comme destin national semble pourtant le pire qui soit.
À défaut de leur assimilation, l'Empire britannique souhaite l'ethnicisation des Canadiens français depuis deux siècles et demi. Il semble que ce soit désormais également le projet de certains nationalistes...
Sans le savoir, vous souhaitez accomplir le rêve de Trudeau en faisant des Canadiens français une identité parmi d'autres du grand tout multiculturel canadien. Votre projet implique implicitement de rentrer dans la conception canadienne du multiculturalisme puisque vous voulez, comme c'est le cas des Autochtones, avoir une reconnaissance communautaire par l'État fédéral.
Voilà une pensée qui - soit dit en passant - est typiquement britannique : elle relève du communautarisme dans la plus pure tradition anglaise.
Personnellement, je défends un projet assimilationniste, tant pour les descendants des peuples primitifs sur le territoire national que pour les immigrés ou le peu d'Anglais qu'il reste au Québec. Pas de privilèges institutionnels pour les minorités surfinancées : qu'elles se francisent où qu'elles déménagent en Ontario. Même chose pour les écoles juives illégales ou les tribunaux rabbiniques : la fin des privilèges et la mise en place d'une politique d'assimilation culturelle. Ceux qui ne souhaitent pas s'assimiler ou qui en sont incapables se verront montrer la sortie. Il faut mettre fin au réflexe communautariste qui sévit encore dans le mouvement souverainiste.
Ethniciser institutionnellement notre cause naitonale, c'est justement faire le jeu du Canada anglais qui ne souhaite qu'une chose : nous présenter comme une des minorités culturelles du Canada post-national, alors que nous aspirons plutôt à mettre en place un État national souverain.
Il faut arracher des pouvoirs à Ottawa et non pas demander une reconnaissance tribale aux juges de la Cour suprême dans le but de refonder un hypothétique Canada « multinational ».
Vous souhaitez la reconnaissance ethnique des Canadiens français par les États canadien et/ou québécois. Je défends la souveraineté de l'État du Québec. Le premier s'inscrit dans la logique du multiculturalisme canadien, la seconde souhaite y mettre fin.
Pierre Bouchard Répondre
12 novembre 2018Bonjour M. Cormier-Denis,
je pense que vous faites une grosse erreur d’appréciation quand vous dites : « Sans le savoir, vous souhaitez accomplir le rêve de Trudeau en faisant des Canadiens français une identité parmi d'autres du grand tout multiculturel canadien. ».
Nous sommes déjà, depuis plusieurs années, dans cette situation. Le plus loin qu’on ose aller pour parler de nous, c’est de faire référence à la communauté québécoise francophone. Nous ne sommes pas comme les nations Amérindiennes reconnues à l’ONU, nous sommes comme une communauté ethnique de Montréal, une communauté parmi d’autres. Il s’agit d’en finir avec ça.
Le Canada nous ignore depuis longtemps parce que nous sommes neutralisés par la minorité de blocage, ce corps étranger de notre nation québécoise civique. On force, on force mais à 2 reprises, ça n’a pas marché. Et dans une troisième reprise, même si on gagnait, les choses risqueraient de tourner comme en Catalogne. Rendu là, notre situation de communauté francophone n’aurait pas grand poids aux yeux du monde.
Pour vous, refaire formellement nation, c’est régresser au rang des Amérindiens. Non, au contraire, c’est sortir enfin de l’anonymat et gagner le pouvoir énorme de nous nommer, donc d’exister dans la joute politique.
J’ai longtemps pensé que l’indépendance de notre pays ne pouvait se faire que par l’action d’un gouvernement de la province. J’ai compris à présent que ça ne peut pas arriver, pas comme ça. Avant de faire le pays, il faut exister, ce que nous faisons de moins en moins. Quand nous nous serons reconnus nous-mêmes, formellement, tout sera plus clair, on ne s’enfargera plus dans les fleurs du tapis et nous recommencerons à avancer.
Vincent Baron Répondre
11 novembre 2018Bonjour M. Cormier-Denis,
Je partage largement votre diagnostic du colloque. Les deuxième (Rousseau, Courtois et Mailloux) et quatrième (Bock-Côté, Martin, Boileau et Leroux) blocs étaient de loin les plus stimulants.
C'est surtout dans ceux-ci que les pistes de réflexion sur le nationalisme ont été abordés en cherchant à dégager les réalités actuelle et passée. Il aurait été souhaitable de donner plus de temps à la réflexion sur la question du nationalisme au Québec dans l'histoire et dans le monde. Courtois aurait pu nous entretenir encore plus en profondeur sur son portrait captivant du nationalisme dans l'histoire du Québec. Rousseau aurait pu profiter de plus de temps pour établir un rapport entre la situation actuelle du nationalisme au Québec et celle d'autres nations, notamment pour nous éclairer sur la situation nationale post-échec électoral d'autres peuples qui ont subi une dégelée souverainiste. Ceci dit, je partage votre avis sur la qualité du travail effectué par Courtois et Rousseau.
Le colloque aurait aussi pu se pencher plus clairement sur le rapport entre nationalisme et souverainisme. Pour chercher à savoir si la majorité obtenue par la CAQ n'est que le seul résultat d'un dégagisme envers les libéraux ou s'il y a vraiment déplacement de la nature de l'expression politique de la fibre nationaliste des Québécois, qui pourraient chercher à contrôler certains aspects de la vie québécoise (notamment l'immigration et l'économie) dans un contexte d'absence de concrétisation prévisible de l'indépendance. Une politique réaliste, des vraies affaires nationales, pour caricaturer.
Pour ce qui est de l'implication des journalistes, il aurait pu être pertinent d'inviter quelqu'un comme Christian Rioux, qui a des idées sur la nation et qui aurait pu insuffler un certain dynamisme au colloque en y apportant son regard teinté par la culture française.
Au plaisir de continuer de vous lire et, peut-être, d'échanger avec vous lors d'événements futurs.
Vincent Baron
Alexandre Cormier-Denis Répondre
12 novembre 2018Merci pour votre commentaire, M. Baron.
En effet, il aurait été intéressant d'entendre Courtois et Rousseau plus longtemps au lieu d'écouter les inepties des Robitaille, Blanchet, Fournier et cie.
Christian Rioux est un analyste sensible de la condition nationale québécoise. Je vous envoie l'interview qu'il a accordée aux Francs-Tireurs et qui me semble résumer sa position très modérée sur l'état du malaise identitaire occidental et québécois.
https://www.youtube.com/watch?v=F3Eo9sPBybU&t=3s
Ce sera un plaisir d'échanger avec vous.
Éric F. Bouchard Répondre
10 novembre 2018Cette marginalisation systémique que vous évoquez en conclusion, est le plus grand handicap au maintien d’un nationalisme conséquent. Elle est néanmoins inévitable car, en québécitude bilingue et pluraliste (dixit les fondamentales lois 101 et 99), tout nationaliste « majoritaire historique francophone » sera d’emblée considéré xénophobe ou sectaire. Seuls les ânonneurs de vœux pieux comme ceux de l’Action Nationale ou du Journal de Montréal, voire les éternels attentistes du Grand Soir souverainiste, version QS ou version PQ, peuvent s’y trouver à l’aise, et parfois même y être bien considérés. Car dans les faits, ces derniers servent les multiculturalismes québécois et canadien en nous engageant dans des combats rhétoriques qui toujours masquent l’essentiel : le rapide déclin démographique et la profonde acculturation des Canadiens-Français.
Ils agissent tant et si bien, qu’il ne leur faut plus que nous maintenir 15 ans dans l’équivoque québécoise (autrement dit, dans l’insignifiance politique) pour régler le problème séculaire posé par la nation canadienne-française, jusqu’alors insoluble dans le monde anglo-saxon. Vous le savez, cette dernière sera minoritaire dans le Québec vers 2035 et, par le fait même, totalement « provincialisée ».
Que faire alors? Simplement nous reconnaître et nous réunir pour ce que nous sommes, pour ce que nous étions avant l’imposture péquiste : des Canadiens-Français. Dans le contexte légal et politique de la québécitude, c’est le seul choix sensé pour un nationaliste sincère.
Parce que les Canadiens-Français forment bel et bien une nation dont l’existence n’a jamais été remise en question, hormis par les tenants de l'imposture québécoise. Envers cette nation qui les a précédés, les États québécois et canadien ont des lourdes responsabilités notamment quant à l’assurance de sa pérennité. Des responsabilités si négligées, si bafouées, qu’il est désormais possible d’en dénoncer le fait et d’en demander réparation.
La première demande serait d’exiger une pleine et entière reconnaissance, apparentée sans doute à celle accordée aux Premières Nations. C’est d’ailleurs seulement dans le cadre d’une telle reconnaissance qu’un gouvernement caquiste pourrait se trouver légitimé de prendre des mesures durables restreignant l’immigration et protégeant le caractère français de notre patrie.
Qu’en pensez-vous?
Alexandre Cormier-Denis Répondre
11 novembre 2018La perspective de faire des Québécois une immense tribu indienne me semble être le pire projet politique qui soit. Sans que vous sembliez vous en rendre compte, vous proposez exactement la même chose que Trudeau : faire des Canadiens français une simple ethnie à l'intérieur du grand tout multiculturel canadien.
Nous ne voulons pas quémander une reconnaissance ethnique à Ottawa comme de vulgaires primitifs. L'objectif est de faire de l'État québécois un État souverain dont nous aurons le plein contrôle. Pour ce faire, il faut faire pression sur le gouvernement actuel afin qu'il ralentisse - à défaut de mieux - la déferlante migratoire qui s'abat sur nous et qu'il aille de l'avant dans son combat contre le multiculturalisme canadien. Il faudra aussi qu'il lutte pour rapatrier les pouvoirs d'immigration, de taxation et d'imposition.
La promesse de mettre en place une déclaration de revenu unique est un point de départ intéressant. Il faut conquérir la souveraineté du Québec un pas à la fois en mettant derrière nous l'idée du Grand Soir référendaire qui n'adviendra jamais.
Éric F. Bouchard Répondre
13 novembre 2018En somme, il n’y a pas de problème du point de vue identitaire. On réalise la souveraineté du Québec et, du simple fait que nous y soyons majoritaires, tout sera réglé. Fort bien, mais qu’avons-nous donc cherché d’autre depuis 50 ans? N’est-ce pas là la solution miracle de Lévesque et de son parti? Mais si le PQ n’a su l’obtenir alors que nous formions 80% de la population québécoise, maintenant que nous n’en représentons plus que 60%, comment pourrait-elle être réalisable et comment pourrait-elle encore faire sens? « Pas à pas » dites-vous? Mais vous savez bien que nous n’avons plus de temps et que toute avancée de la CAQ pourra être annulée par un gouvernement ultérieur redevable à un électorat plus progressiste.
Votre argumentaire repose sur le fait que nous formons une majorité au Québec, mais d’ici 15 ou 20 ans, ce ne sera plus le cas. Cette soi-disant légitimité politique s’effondrera du même coup, nous laissant sans défense aucune. Comment peut-on s’illusionner encore à ce point?
Ce que certains cherchent à faire ici, c’est de quitter cette voie suicidaire, c’est de retrouver la légitimité qui était celle des anciens et aussi celle des indépendantistes d’avant le PQ. Une dignité nationale qui nous avait donné la force de résister au conquérant et de lui arracher des libertés toujours plus grandes, une nationalité qui donnait sens à notre expansion et à notre combat séculaire pour l’émancipation et pour la durée, pour la survivance, disait-on autrefois.
En 1967, cette survivance commandait de faire du Québec l’État national des Canadiens-Français, mais curieusement la québécitude est venue brouiller les cartes. Après 50 ans de régression et de « dénationalisation tranquille », je crois qu’il est urgent de clore cette malheureuse aventure et de reprendre le fil de notre histoire, voilà tout.