Dans Le Monde, 127 intellectuels se prononcent contre la proposition de résolution examinée mardi dernier à l’Assemblée nationale assimilant antisionisme et antisémitisme.
Dans un livre de Léon Poliakoff, j’ai trouvé une charmante et sympathique définition de l’antisémitisme. Un baron hongrois du début du XXe siècle avait la fâcheuse réputation d’être antisémite. Un ami vint le lui reprocher. « Moi, antisémite ? Mais non, jamais, au grand jamais, protesta le baron, un antisémite est quelqu’un qui hait les Juifs plus que de raison ». Le baron était donc raisonnable. Les 127 signataires de la pétition contre la loi Sylvain Maillard sont également, et à leur façon, raisonnables…
Cette loi, initiée par Macron, prévoit que l’antisionisme dans sa version la plus hystérique, qui nie le droit à Israël d’exister, pourra être assimilé à de l’antisémitisme. Les signataires, tous Juifs comme ils le proclament, s’indignent au nom de la liberté d’expression. Et invoquent le droit de critiquer « la politique répressive d’Israël à l’égard des Palestiniens ».
À première vue – mais seulement à première vue – il n’y a pas de quoi de se scandaliser. Des Juifs ont le droit de réprouver le sionisme, n’est-ce pas ? En effet, et en parallèle, il y a bien des intellectuels musulmans qui s’insurgent contre l’islamisme.
Ce parallèle est faux. Les intellectuels musulmans cités plus haut sont seulement de culture musulmane. Ils ont depuis longtemps rompu avec l’Islam et ne passent pas leur temps à crier qu’ils sont arabes. Ce qui leur vaut d’être insultés et menacés de mort. Les intellectuels juifs de la pétition, eux, se revendiquent d’un peuple auquel ils refusent le droit d’avoir une patrie. Et ils ne risquent rien: même les rabbins les plus fanatiques ne connaissent pas le mot « fatwa ».
Dans leur pétition – une assez banale litanie anti-israélienne – il y a un passage particulièrement écœurant qui disqualifie, si besoin était, tout leur texte. Ils écrivent que « parmi les gazés des camps de la mort, il y avait aussi des Juifs antisionistes » ! Le regretté chancelier du IIIe Reich était sans doute frappé de myopie: il ne distinguait pas les Juifs sionistes des Juifs antisionistes…
Fouiller dans les cendres d’Auschwitz pour les besoins d’une pétition, c’est, pour le moins, se comporter en charognards. Les signataires de la pétition affectent aussi d’ignorer qu’à l’époque contemporaine (pas celle de Theodor Herzl) le qualitatif « sioniste » équivaut souvent à un permis de tuer.
C’est ainsi que Staline a fait assassiner des médecins « sionistes ». Qu’à Prague, à l’époque stalinienne, on a pendu des dirigeants communistes parce que « sionistes ». Et qu’à Jérusalem, quand un Israélien est poignardé, l’agresseur ne prend manifestement pas la peine de s’informer avant si sa victime est sioniste ou antisioniste. On vous le dit et on vous le répète: les signataires de la pétition sont raisonnables.