Ce désastre qu’est devenue notre langue

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«La barbarisation de notre langue est aussi celle de notre esprit»

J'ai passé la soirée à lire ou relire tous les commentaires reçus depuis le commencement de la campagne de financement des éditions Trois-Pistoles. J’ai noté que, depuis quelques jours (est-ce dû au temps des Fêtes ?), beaucoup… beaucoup trop d’interlocuteurs, contrairement à ce qui se passait avant sur cette page, semblent considérer le fait de m’écrire comme un défouloir.

Je n’aurais rien contre si ce n’était du fait de l’extrême pauvreté de la langue dans laquelle ils s’expriment. J’écris langue, mais peut-on encore parler de langue quand le propos est d’une telle incohérence — un véritable magma de mots dont on triture l’orthographe, un maelström de phrases dont il est impossible de comprendre la structure tellement celle-ci est bancale ? Ici, il ne s’agit plus de pensée… mais de dépensée : écrire comme on défèque (appelons les choses telles qu’elles doivent l’être), par simple contraction des muscles — et pour cela, nul n’a besoin de savoir réfléchir, nul n’a besoin d’avoir appris à penser.

C’est non seulement une insulte à la langue et au symbole de beauté dont elle est la déesse titulaire, mais c’est une injure au pays lui-même, c’est le considérer comme un bac à ordures, pas comme la plus haute des aspirations pour laquelle toutes et tous nous sommes tenus de nous battre. La barbarisation à un tel point de notre langue est aussi celle de notre esprit — elle est le signe inquiétant que nous désapprenons à penser, et il devrait y avoir une loi interdisant ce crime contre la beauté.

Marcel contre la lâcheté

Pourtant, cette veulerie et cette lâcheté peuvent être combattues. Permettez que je vous cite le cas de mon ami Marcel. Quand je dirigeais le Caveau-Théâtre des Trois-Pistoles, il ne savait ni lire ni écrire. Je lui offrais régulièrement des billets pour qu’il assiste aux représentations des pièces que j’y donnais. Il en pleurait d’émotion toutes les fois. Eh bien, savez-vous ce qu’a fait Marcel… à l’âge de 60 ans ? Lui qui ne savait même pas écrire son nom s’est inscrit au centre Alpha des Basques, un organisme qui fait un énorme travail, pas souvent reconnu, dans un coin de pays où les statistiques nous révèlent que plus de 45 % des gens sont analphabètes.

À 60 ans, apprendre à lire et à écrire n’est pas facile. Pourtant, un an après s’être inscrit au Centre Alpha des Basques, mon ami Marcel me remettait une carte de bons voeux à l’occasion de mon anniversaire : quelques phrases sans faute, une écriture soignée et une signature à laquelle il avait su ajouter quelques jolis fions. J’ai serré mon ami Marcel dans mes bras et, de joie partagée, nous nous sommes mis à pleurer tous les deux.

Tout cela pour vous dire que dorénavant, j’éliminerai systématiquement de ma page toutes celles et tous ceux-là que je considère comme les assassins de notre langue, donc du pays à faire venir. Que toutes celles et tous ceux-là aillent foquer le chien avec des pareils à eux-mêmes !

Texte reproduit de la page Facebook de l’auteur avec son aimable autorisation.

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Victor-Lévy Beaulieu84 articles

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Victor-Lévy Beaulieu participe de la démesure des personnages qui habitent son œuvre. Autant de livres que d'années vécues, souligne-t-il à la blague, comme pour atténuer l'espèce de vertige que l'on peut éprouver devant une œuvre aussi imposante et singulière. Une bonne trentaine de romans, une douzaine d'essais et autant de pièces de théâtre ; des adaptations pour la télévision





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