Le troisième budget du Québec, présenté jeudi, doit trancher avec les deux précédents opus signés par Carlos Leitão, ces deux budgets marqués par l’austérité et les coupes, mais aussi par la volonté du premier ministre Philippe Couillard de réformer en profondeur l’État québécois.
Au printemps 2014, Philippe Couillard avait promis d’animer un dialogue social sur les mesures que son gouvernement entendait prendre pour arriver à l’équilibre budgétaire. Mais l’exercice n’a jamais eu lieu. « Dans ce genre d’action, les consensus sont difficiles. Le gouvernement écoutera les divers points de vue, mais agira de façon nette et décisive », avait-il d’ailleurs déclaré lors de son discours d’ouverture en mai 2014.
Cette même année, Philippe Couillard se disait inspiré par la thèse de deux des patrons de la revue The Economist, John Micklethwait et Adrian Wooldridge, qui ont écrit The Fourth Revolution. The Global Race to Reinvent the State. Les États démocratiques sont obèses et peinent à accomplir leurs missions essentielles, alors que les citoyens surtaxés sont attirés par les discours populistes, avancent les auteurs. La solution : imiter Singapour et la Suède. Ce pays scandinave se serait résolu à remettre en question l’État providence pour en faire un État mince ou « lean ».
L’austérité était dans l’air même avant l’arrivée des libéraux au pouvoir. À deux semaines du déclenchement des élections de 2014, le ministre des Finances du gouvernement Marois, Nicolas Marceau, avait lui aussi présenté un budget d’austérité : une diminution de 0,8 % des dépenses de tous les ministères, sauf ceux de l’Éducation et de la Santé, qui voyaient leur budget augmenter de 3 %.
Dans son premier budget, Carlos Leitão avait consenti 2,6 % de plus à la Santé et 2,2 % à l’Éducation. Sa principale coupe, le ministre l’avait faite dans les crédits d’impôt aux entreprises, les réduisant de 20 %, ou de 500 millions. Contrairement à l’engagement pris par Philippe Couillard durant la campagne électorale de ne pas augmenter ni les taxes ni les impôts, Carlos Leitão avait haussé certaines taxes spécifiques sur le tabac et l’alcool. Les tarifs d’électricité ont été majorés de façon substantielle.
Profitant de sa mise économique et financière présentée en décembre 2014, le ministre des Finances réduisait plus avant les dépenses fiscales de 600 millions, dont la moitié visait les particuliers. Des compressions donc, mais les contribuables sont aussi passés à la caisse.
Un deuxième budget révélateur
C’est dans le deuxième budget Leitão que le gouvernement Couillard a donné sa véritable mesure. Le budget ne laissait que 1,4 % de plus à la Santé et un famélique 0,6 % à l’Éducation. Bien qu’au gouvernement, on répétât qu’il ne s’agissait pas d’austérité puisque les budgets n’étaient pas amputés, ces faibles augmentations ne comblaient pas la hausse naturelle des dépenses, ce qu’on appelle les coûts de système. De là, les inévitables compressions dans les services publics.
Après deux ans d’un tel régime, Philippe Couillard ne pouvait plus affirmer sans sourciller que les plus vulnérables ne seraient pas ou seraient peu touchés par les compressions.
De son côté, le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, annonçait l’avènement de « l’État du XXIe siècle ». Il faut dire qu’au Trésor, sa poigne de fer a permis un contrôle des dépenses sans faille dans tous les ministères, sauf dans le réseau de la santé. Il a aussi imposé une réduction de 2 % des effectifs de la fonction publique et suspendu les primes, bonis et allocations des cadres des ministères.
Comme il ne s’agissait pas seulement de sabrer, mais aussi de réformer le modèle québécois, Carlos Leitão mettait sur pied la Commission d’examen de la fiscalité québécoise (CEFQ), présidée par le fiscaliste Luc Godbout, et Martin Coiteux, la Commission de révision permanente des programmes (CRPP), présidée par Lucienne Robillard.
La commission Godbout proposait d’éliminer les crédits d’impôt aux entreprises, de réduire leurs charges fiscales, ainsi que d’augmenter la taxe de vente pour hausser l’impôt sur le revenu.
Les crédits d’impôt n’ont pas disparu, mais ils ont été réduits ; Carlos Leitão a même dû annuler certaines coupes, notamment en matière de jeux vidéo et de culture. Quant à la proposition principale sur l’impôt et la taxe de vente, son application est jugée beaucoup trop risquée pour une économie qui tourne au ralenti.
De son côté, la commission Robillard a fait des propositions audacieuses que d’aucuns ont trouvé radicales, voire farfelues, à commencer par certains ministres. La CRPP proposait de retrancher 2,3 milliards dès cette année du budget de l’État, notamment en réduisant de 1,3 milliard les transferts aux municipalités. En agriculture, il s’agissait tout simplement d’éliminer la contribution de 300 millions de l’État à l’assurance stabilisation des revenus agricoles. « C’est un peu fort », avait euphémisé Pierre Moreau, alors ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire, qui venait de négocier, non sans peine, une réduction de 300 millions du pacte fiscal avec les municipalités.
« Il y a quelque chose d’irréel », avait lancé le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, Pierre Paradis. « Le rôle de l’État, que ce soit au Québec ou ailleurs sur la planète Terre, a toujours été de soutenir son agriculture. Les économistes ont raison quand ils disent que ça coûterait meilleur marché si on ne se nourrissait pas. Sauf que ça ne durerait pas longtemps. »
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