Attirer les anglophones dans les collèges francophones - La manière coercitive ou la politique d'accueil?

à l'école française, on ne semble pas avoir particulièrement réfléchi à la question de l'accueil des anglophones

Cégep en français

Cette fin de semaine, le Parti québécois va à nouveau débattre de la pertinence de rendre le cégep en français obligatoire. Avant de se lancer dans une telle politique, il serait bon de se demander pourquoi jusqu'ici, le cégep français n'a pas attiré plus d'étudiants qui avaient déjà fait une partie de leur scolarité en français. Certes, l'anglais conserve tout son attrait en Amérique du Nord, mais il y a plus: à l'école française, on ne semble pas avoir particulièrement réfléchi à la question de l'accueil des anglophones.
Une étude que nous avons menée il y a quelques années auprès de parents anglophones de l'ouest de l'île de Montréal ayant droit à l'école anglaise mais choisissant d'envoyer leurs jeunes à l'école primaire française démontrait que même chez un groupe de parents particulièrement motivés à faire de leurs enfants de «véritables francophones», le défi de maintenir leurs enfants à l'école française au-delà du primaire demeurait grand.
Pourquoi ces parents avaient-ils choisi l'école française? D'abord pour le français, langue de travail au Québec, mais aussi la langue de la société québécoise. Les parents interrogés ne souhaitaient pas que leurs enfants grandissent dans un ghetto et se voient restreints dans leur mobilité professionnelle ou leurs fréquentations sociales. Ils souhaitaient vivement qu'ils puissent s'identifier au Québec et y être reconnus comme de véritables Québécois. [...]
Opter pour l'anglais
Pourtant, sauf exception, ces parents n'ont pas gardé leurs enfants à l'école française au secondaire. Ce choix leur a été imposé, dans une majorité de cas, par leurs enfants qui jugeaient trop astreignant de réussir leurs études en français et ne voulaient pas mettre en péril leurs chances d'être admis plus tard dans les programmes d'études supérieures auxquels ils aspiraient. Les parents interrogés ont donc opté, à forte majorité, pour l'école secondaire anglaise, assortie d'un programme fort d'immersion en français, l'option contraire (école secondaire française avec programme fort d'immersion en anglais) ne leur étant pas offerte.
Plusieurs parents ont aussi mis de l'avant un autre facteur pour expliquer le relatif insuccès de l'apprentissage du français chez leurs enfants: le caractère fortement anglophone du quartier et le peu d'occasions ou d'obligation qu'y ont les enfants de parler le français. L'école qu'avaient choisie nos répondants pour leurs enfants était une ancienne école franco-protestante, comptant environ 50 % d'élèves anglophones.
Après la déconfessionnalisation du système scolaire, cette école avait maintenu, pendant un certain temps, une culture organisationnelle anglophone, marquée par une orientation communautaire. Elle était décrite par les parents comme une école «anglo-friendly», par opposition à l'école «franco-française» du quartier, très largement francophone et où leurs enfants auraient plus eu l'occasion d'être immergés dans la culture française... du moins théoriquement.
Politique d'accueil défaillante
Car s'il y avait une nette majorité d'enfants francophones dans cette deuxième catégorie d'écoles, l'accueil qu'y avaient rencontré les parents anglophones était plus que froid. On n'encourageait guère les anglophones à y inscrire leurs enfants; souvent, on leur offrait de placer leurs enfants en classe d'accueil (alors qu'ils n'étaient pas immigrants); enfin, les enfants qui «s'échappaient» trop en anglais durant les récréations récoltaient des «billets jaunes» et étaient donc punis plus souvent qu'à leur tour. Bref, on semblait préférer réserver cette école à la communauté francophone du quartier.
Même si notre recherche était restreinte, elle est fort éclairante en ce qu'elle démontre que même pour des parents anglophones convaincus de l'importance et de l'attrait du français, il est difficile de maintenir leurs enfants dans le système francophone, qui n'a pas développé de politique d'accueil efficace pour eux.
Au mieux, l'apprentissage du français apparaît aux jeunes fréquentant l'école «française-anglaise» comme une tâche aride; au pire, le fait de parler anglais apparaît, dans l'école franco-française, comme un délit. Avec ces constats, il apparaît clairement que la fréquentation de l'école française ne suffit pas à créer une identification à la langue française chez les élèves: encore faut-il que son apprentissage devienne pour eux une expérience plaisante et enrichissante, qu'elle leur ouvre l'accès à une nouvelle communauté, en bref, qu'elle devienne pour eux aussi une «langue du coeur».
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Patricia Lamarre, Professeure en sciences de l'éducation à l'Université de Montréal
Anne Laperrière, Professeure de sociologie à l'Université du Québec à Montréal


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