La commission d'enquête de l'Assemblée nationale consacrée aux «obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire» semble porter ses premiers enseignements. À tout le moins, elle encourage une certaine liberté de ton chez les magistrats interrogés ; ainsi de l'audition, mercredi 10 juin dernier, d'Éliane Houlette, à la tête du parquet national financier (PNF) de 2014 à 2019, venue raconter son expérience... et livrer des détails potentiellement embarrassants sur «l'affaire Fillon» (Vidéo intégralement retranscrite ici).
Le Point, premier média à avoir relaté cette audition, évoque ainsi une réunion tenue le 15 février 2017 au parquet général à Paris, au cours de laquelle on demande à Éliane Houlette d'ouvrir une information judiciaire contre François Fillon : «J'ai été convoquée au parquet général [...]. On m'engageait à changer de voie procédurale, c'est-à-dire à ouvrir une information judiciaire. J'ai reçu une dépêche du procureur général en ce sens», témoigne-t-elle.
Après avoir résisté et évoqué la nécessité d'avoir plus d'«éléments» pour prendre une telle décision, Éliane Houlette finit par ouvrir l'information judiciaire, le 24 février 2017. Dans son communiqué de presse, la magistrate justifie également la procédure par la réforme de la prescription pénale, alors en plein vote au Parlement, et qui pourrait jouer en faveur de François Fillon. Le parquet général s'oppose vivement à cette mention.
Toute l'audition d'Éliane Houlette, face aux parlementaires, tourne autour de cette méfiance de sa hiérarchie à l'égard des procédures du Parquet national financier (PNF), créé en 2013 après le traumatisme de l'affaire Cahuzac. En jeu : les informations que le PNF fait remonter à la Direction des affaires criminelles de la Chancellerie. Laquelle les transmet au pouvoir exécutif, officiellement pour des objectifs d'élaboration de politique pénale...
«Demandes de précisions» incessantes
Les «pressions» évoquées par la magistrate se caractérisaient également par des demandes incessantes et très précises sur le moindre acte d'investigation. «Les actes de la veille» faisaient l'objet d'une demande, à laquelle il fallait répondre «avant 11 heures le lendemain». Éliane Houlette évoque ainsi «les demandes de précisions, de chronologie générale - tout ça à deux ou trois jours d'intervalle -, les demandes d'éléments sur les auditions, les demandes de notes des conseils des mis en cause...». À propos de l'utilisation faite de ces rapports, la magistrate «ne peut que se poser des questions [...] C'est un contrôle très étroit...» souligne-t-elle dans les passages repris par Le Point. À cela s'ajoutait la pression médiatique subie par le PNF qui a mené l'enquête jusqu'à la mise en examen de l'ancien premier ministre et candidat à la présidentielle, en mars 2017.
Si Éliane Houlette déclare que lors de son passage au Parquet national financier, les gardes des sceaux successifs ne l'ont jamais «interrogé» ou «incité» à agir dans des dossiers particuliers, elle dénonce les « très, très nombreuses demandes » du parquet général. Celles-ci, «d'un degré de précision ahurissant», sont «ressenties comme une énorme pression».
Contacté par Le Point, le parquet général n'a pas souhaité commenter l'audition d’Éliane Houlette dans l'immédiat. Des magistrats, témoignant anonymement auprès de l'hebdomadaire, évoquent le manque de coopération du Parquet national financier. Celui-ci aurait eu des difficultés à «s'insérer, toutes ces années, dans une organisation hiérarchisée»... Dans son audition, Éliane Houlette regrette de ne même pas avoir pu choisir de successeur, contrairement à l'usage pour les chefs de juridiction : « La procureure générale (Catherine Champrenault) en a décidé autrement, contre mon avis».
Ce jeudi 18 juin, les députés Les Républicains de la commission d'enquête ont annoncé demander l'audition de cette dernière, afin de «s'expliquer». «Quoi que l'on pense des faits reprochés par la justice à M. Fillon, il est incontestable que cette affaire pose la question de l'instrumentalisation de la justice et des liens parquet-pouvoir», a estimé Olivier Marleix, vice-président de la commission. Avant d'interroger : «A qui remontaient les notes demandées par la Procureure générale de Paris?».