M. Hermel Cyr, en terminant la lecture de votre texte « “Nationalisme” : un mot piégé d’un débat brouillé » publié dans Le Devoir le 20 septembre, je constate que, manifestement, vous n’avez pas saisi la définition du nationalisme de l’historien Maurice Séguin que j’ai présentée dans Le Devoir du 10 septembre. De plus, la définition que vous donnez du nationalisme de l’historien Séguin ne correspond aucunement à ce que j’en ai dit ; son nationalisme n’est pas, contrairement à ce que vous écrivez, « plus centré sur l’économie ». Où avez-vous pris cela ? Séguin insiste sur l’interaction des facteurs politique, économique et culturel. Sa définition tient compte de l’ensemble des situations que vous décrivez.
Le nationalisme, c’est cette tendance générale de toute nation qui se reconnaît distincte de vouloir maîtriser et de réussir sa vie collective dans tous ses aspects. Pour un groupe qui se reconnaît distinct, l’agir par soi collectif est nécessaire dans tous ces trois aspects. Le nationalisme est cette tendance à vouloir maîtriser tant sa vie politique et sa vie économique que sa vie culturelle. La négation ou la privation de l’agir par soi collectif peut survenir dans tous les domaines et y constituer une oppression. Être remplacé et privé de la possibilité d’agir par soi constitue une forme d’oppression. Le groupe remplacé est privé de la possibilité d’acquérir de l’expérience, des compétences et de se développer conformément à ses intérêts, en étant maître de ses moyens.
Le nationalisme peut ainsi se définir, pour un groupe qui se reconnaît distinct, comme la recherche de l’agir par soi collectif, s’il ne l’a pas.
C’est le cas du nationalisme des grands leaders anticolonialistes des peuples colonisés d’Asie, puis du Maghreb et de l’Afrique noire, qui ont lutté pour l’indépendance de leur pays. Vous citez des cas où ce nationalisme peut être associé à un mouvement révolutionnaire. Le nationalisme peut prendre aussi la forme d’une affirmation de l’agir par soi collectif. Si le groupe est indépendant et possède déjà l’agir par soi collectif et que son nationalisme devient excessif au point de dominer d’autres peuples, on parle alors d’impérialisme. C’est la forme la plus courante de nationalisme excessif. Vous la décrivez ainsi : « dans les États plus puissants, le nationalisme est devenu une idéologie de domination très fortement marquée à l’extrême droite ».
Et finalement, si, pour le groupe qui se reconnaît distinct, son agir par soi collectif est menacé, son nationalisme tentera de défendre son autonomie. Vous citez les cas du général « de Gaulle et Churchill qui regroupèrent les résistances de leurs nations contre le fascisme ». C’est aussi, dans le cadre du fédéralisme, le nationalisme provincial de Duplessis et de Legault, qui constatent les empiétements du gouvernement fédéral qui réduit l’autonomie de la province où se trouve la nation opprimée. Ce nationalisme défensif tente de conserver ou d’élargir la maîtrise politique du groupe, sans pouvoir atteindre le nationalisme complet qui est nécessairement séparatiste.
Progressiste ou conservateur
Le nationalisme n’est pas nécessairement du conservatisme politique, mais il peut l’être. Il peut être progressiste ou conservateur. Ainsi, pour Séguin, le nationalisme prend l’une de ses trois formes : recherche, défense ou affirmation de la maîtrise de sa vie politique, économique et culturelle. C’est un phénomène constant lié à la nature même de la vie organisée d’une communauté qui se reconnaît distincte. Cette définition du nationalisme est expliquée dans Les normes de Maurice Séguin, au chapitre « Sociologie du national ».
Contrairement à ce que vous avancez, toutes les situations historiques que vous décrivez pêle-mêle peuvent s’expliquer par une définition englobante du nationalisme. Non, je ne partage pas du tout votre affirmation selon laquelle « nous serions devant un concept tellement éclaté qu’il en vient à ne plus rien signifier ».
J’aurais souhaité que vous preniez la peine de bien saisir la définition de Séguin, que j’ai brièvement présentée et que manifestement vous n’abordez pas, avant de vous lancer dans une énumération de cas historiques sans voir le lien avec le concept éclairant et fort pertinent de l’historien Séguin (1918-1983). Ce n’est pas le débat qui est brouillé, mais vos affirmations qui tentent d’embrouiller la situation au lieu de l’éclairer.