« A Hongkong, le scénario cauchemar de la répression par Pékin semble invraisemblable »

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Un pays, deux systèmes : le maintien de la spécificité de Hong Kong dépend du bon vouloir de Pékin

Des milliers de manifestants ont pénétré de force dans le Parlement, lundi 1er juillet, après une journée de siège. Carrie Lam, la chef du gouvernement, pourrait se saisir de ces violences pour reprendre en main une situation qui lui échappe. Pékin a fermement condamné mardi le saccage du parlement de Hongkong et dit soutenir l’enquête des autorités locales visant à établir les responsabilités des « auteurs de violences ». Les manifestants à Hong Kong « sont en quête de démocratie », a estimé le président américain Donald Trump. La Chine lui a répondu en l’accusant d’« ingérence flagrante ».


Florence de Changy, journaliste au « Monde » en poste à Hongkong, a répondu aux questions des internautes du Monde.fr.


Quentin : Pourquoi la police est-elle intervenue si tard ? Est-ce pour laisser la frange la plus radicale investir et vandaliser le Legco et ainsi rendre la répression plus légitime ?


Florence de Changy : C’est effectivement la thèse que soutiennent ouvertement les députés du camp prodémocratie. Ils estiment que le mouvement s’est terriblement décrédibilisé à cause de cet épisode violent et n’hésitent pas à parler de « piège » tendu par la police et le gouvernement…


F. de C. : Il y a des rumeurs sur la motivation et l’origine de certains agitateurs, mais je ne suis pas en mesure de les vérifier. Un policier avait été pris en flagrant délit d’une tentative de ce type lors du siège du quartier général de la police vendredi 21 juin, mais les manifestants, trouvant son comportement étrange, l’ont identifié et dénoncé…


F. de C. : C’est avant tout de la provocation, à mon avis, mais une provocation qui a certainement son effet sur le gouvernement central chinois…


F. de C. : Non, si un mouvement les inspire, ce serait plutôt le mouvement étudiant taïwanais dit des « tournesols » (Sunflower Student Movement) qui, en 2014, avait justement occupé le Parlement taïwanais…


F. de C. : C’est le scénario cauchemar. Cela semble invraisemblable. Ce serait une décision de Pékin, dont il est difficile d’anticiper les intentions et les pensées.


F. de C. : C’est sans doute une question de culture et d’usage. Depuis les années 1980, la police a eu une réputation formidable, servie et soutenue par le cinéma. La violence, les crimes, la délinquance sont cantonnés aux triades et quasiment absents de la vie quotidienne pour la plupart des habitants… Lorsqu’en 2014, la police a utilisé des gaz lacrymogènes pour la première fois afin de disperser un rassemblement illégal, cela a déclenché une énorme réaction de choc dans la population et cela a sans doute installé le mouvement dans la durée.


F. de C. : C’est possible. Mais les gens vous disent aussi beaucoup qu’il faut être riche pour pouvoir émigrer…


F. de C. : La réalité des deux systèmes est une évidence que l’on constate dans n’importe quel détail de la vie quotidienne. La Chine et Hongkong sont encore des « mondes » très différents (accès à internet, libertés fondamentales, justice…). Et le principe « un pays, deux systèmes » est tout à fait viable, si tant est que la Chine le respecte. Plusieurs interventions de Pékin dans les affaires de Hongkong ont montré que la Chine mettait le concept « un pays » bien au-dessus du concept « deux systèmes ».


F. de C. : Une éventuelle démission de Carrie Lam serait décidée par Pékin et il est peu probable qu’elle intervienne aussi proche de la crise. Ce serait accréditer un nouveau mode de démocratie qui fait horreur à la Chine. A la suite des grandes manifestations de 2003, le premier chef de l’exécutif, Tung Chee-hwa a (été) démissionné en 2005. Et suite au « mouvement des parapluies » de 2014, C. Y. Leung n’a simplement pas été invité à se présenter pour un second mandat… Si Pékin souhaitait faire tomber Carrie Lam pour la sanctionner, il faudrait aussi lui trouver un successeur.


F. de. C. : Non, la plupart des manifestants veulent simplement que « Hongkong reste Hongkong », et que le principe « Un pays, deux systèmes » continue d’être respecté…


F. de. C. : Choc, consternation, tristesse, colère, inquiétude, regrets…


F. de. C. : Taïwan suit évidemment de près ce qui se passe à Hongkong, surtout depuis que le président Xi Jinping a parlé de proposer le même principe « un pays, deux systèmes » à Taïwan, ce qui a été fortement rejeté. Le malaise de Hongkong « prouve » à Taiwan que le principe n’est pas satisfaisant.


Pour le moment, la Chine a tout intérêt à maintenir à Hongkong toutes ses exceptions. Sans son Etat de droit, Hongkong ne serait pas le centre financier international qu’il est. Hongkong rend beaucoup de services à la Chine par ses différences. Mais la part de Hongkong dans l’économie chinoise s’est considérablement réduite, et on voit la région du sud de la Chine se développer sur des secteurs stratégiques beaucoup plus vite que Hongkong…


F. de. C. : C’est exact. Il y a eu une grande manifestation de partisans pro-Pékin dimanche après-midi. Le thème était le soutien à la force de police de Hongkong. Les Chinois continentaux ont le droit d’immigrer à Hongkong selon un quota établi de 150 personnes par jour. Ils ne restent pas forcément tous pro-Pékin en découvrant les libertés hongkongaises, mais ils ont sûrement un sens patriotique et une loyauté plus forts que les citoyens hongkongais. Une très grande partie de la population de Hongkong est arrivée de Chine il y a plusieurs générations.