LE SCRUTIN AU FÉMININ

75 ans de lutte continue

Les femmes du Québec ont le droit de vote depuis 1940, mais la marche vers l’égalité se poursuit

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Un devoir de mémoire, une lutte à finir

À l’occasion de l’anniversaire du droit de vote des femmes, notre collaboratrice Lise Payette livre ici une chronique toute spéciale qui en retrace des grandes lignes.
Il en faut, du temps, pour faire bouger une société imprégnée de valeurs religieuses et politiques qui l’empêchent de progresser et de contrôler librement son propre destin en pleine démocratie. Le 75e anniversaire de l’obtention du droit de vote des femmes sera, hélas, pour les femmes du Québec, l’année des reculs plus que des progrès. Nous aurions été en droit d’espérer mieux.

Bien sûr, il faut souligner cet anniversaire en mémoire des femmes déterminées et patientes qui ont mené la lutte, année après année, du XVIIIe au XXIe siècle, sans jamais renoncer.

Bien sûr, nous savons que nous devons nos premières victoires aux Marie Lacoste, Thérèse Casgrain, Idola Saint-Jean et toutes les autres, parmi lesquelles des francophones et des anglophones, face à des gouvernements dont on peut dire aujourd’hui qu’ils ont, pour la majorité d’entre eux, sombré dans le ridicule avant d’accepter une demande légitime des femmes du Québec qui aspiraient à jouer leur rôle de citoyennes à part entière. Il en a fallu, du temps. Et de la patience.

Toutes ces femmes se sont tenues debout devant les injures des députés de l’époque qui les traitaient comme des demeurées, devant les attaques virulentes des journalistes mâles, dont le fondateur du Devoir, Henri Bourassa, était peut-être le plus virulent, et qui n’y allaient pas de main morte.

Il ne faut pas oublier l’attitude méprisante du clergé catholique, complètement déchaîné, qui n’a pas hésité à prendre parti contre la demande des femmes d’accéder au droit de vote et au droit d’éligibilité, préférant les garder en retrait de toute activité autre que celles de tenir maison, de faire des enfants et de dorloter un mari.

Ces meneurs — tous mâles — de la farouche opposition au droit de vote des femmes n’ont pas hésité à encourager un autre groupe de femmes, plus conservatrices et plus soumises, à s’opposer farouchement à la lutte des suffragettes de l’époque, ces méchantes féministes qui faisaient si peur au monde. Sur les conseils du clergé, des femmes plus influencées par les Mgr Bégin en 1922 ou Mgr Paul Eugène Roy, qui recueillaient des signatures contre le droit de vote dans les églises, ont affirmé, pour faire plaisir à ce clergé, qu’elles ne voulaient pas du droit de vote en question parce qu’elles n’avaient pas de temps à perdre avec ça. L’une des meneuses de ce groupe s’est beaucoup assagie par la suite, et elle a été connue sous le nom de Françoise Gaudet-Smet.

Il va sans dire que, dans tout ce débat qui a forcé les féministes à se présenter à Québec devant les membres du Parlement, chaque année pendant 18 ans, sans jamais obtenir un engagement de la part de tous ces élus complètement fermés à l’arrivée des femmes dans le monde politique, personne, jamais personne, n’a affirmé l’égalité des femmes. Devant ce mot-là et le contenu qu’on peut lui faire porter, tous les hommes de pouvoir concernés ont paniqué. Ils seraient plutôt morts de rire, ou de peur. Bonne raison pour les justifier de ne rien faire.

Au cours des dernières décennies, les femmes québécoises ont majoritairement rejeté les liens avec la religion. Conscientes d’avoir été traitées comme des êtres inférieurs par tous ces hommes imbus de pouvoir, religieux et politique, elles ont doucement pris leurs distances, sans hargne ni violence. Elles ont tout simplement dit qu’elles avaient parfaitement le droit de choisir la liberté.

Excuses trop tardives

Pour le 50e anniversaire du droit de vote des femmes en 1990, alors que je n’étais plus en politique depuis neuf ans, accompagnée d’un groupe de femmes formidables et combien méritantes, j’ai reçu officiellement une lettre d’excuses des évêques pour le comportement des membres de l’Église catholique relativement à la demande d’égalité des femmes dans le débat qui avait duré un demi-siècle. Je me suis retenue de pleurer en pensant à toutes celles qui n’étaient plus là et à qui s’adressaient ces excuses beaucoup trop tardives.

Si les femmes ont pris leurs distances d’avec la religion, elles n’ont pas rejeté les liens avec la politique, pas encore, malgré le fait qu’elles s’estiment souvent manipulées par des partis qui n’ont besoin d’elles qu’au moment d’une élection. Il a quand même fallu des années pour voir les premières femmes candidates oser faire le pas sous les quolibets les plus réducteurs.

Elles étaient 11 au total entre 1940 et 1960, mais aucune n’a été élue. Il a fallu l’arrivée de Claire Kirkland, qui a souhaité prendre la succession de son père mort en fonction, pour qu’une première femme siège à Québec. Puis, Lise Bacon a repris le bâton quelques années plus tard. L’année 1976 a été particulièrement fructueuse. Au Parti québécois, nous étions cinq femmes élues. Nous avions l’intention de prendre de la place. Ça, c’était nouveau. Nous avons servi à ouvrir des portes.

La vigilance, encore et toujours

Combien de fois ai-je dit ou écrit que les gains des femmes ne sont jamais acquis définitivement ? Qu’elles doivent rester vigilantes sans jamais renoncer, car il suffit parfois de l’élection d’un gouvernement plus conservateur (comme celui de Stephen Harper) ou, pire encore, d’un gouvernement complètement insensible aux besoins des femmes et aux injustices dont elles continuent d’être victimes (comme celui de Philippe Couillard) pour que les citoyennes se retrouvent dépouillées des victoires qu’elles avaient obtenues à la force du poignet ?

Comment expliquer que des femmes élues et partageant le pouvoir au niveau ministériel tombent si facilement dans le piège de devenir des « hommes politiques » au lieu de porter les demandes des autres femmes jusqu’au niveau décisionnel ? Cette question demeure sans réponse.

Les hommes de pouvoir continuent de préférer les femmes quand elles s’affrontent les unes contre les autres, et pour faire avancer les demandes des femmes, il faudrait qu’elles soient toutes d’accord et ne parlent que d’une seule voix. Quand elles affichent des désaccords, les hommes de pouvoir affirment qu’elles ne savent pas ce qu’elles veulent. Et ils ne font rien. Comme si les hommes, eux, étaient toujours tous d’accord.

C’est pourquoi ce 75e anniversaire du droit de vote des femmes nous oblige à regarder la réalité en face. Tous ceux et celles que le sort des femmes québécoises intéresse ont déjà compris que l’avenir des femmes d’ici n’est pas la préoccupation principale du gouvernement Couillard. Nous ne sommes pas « les trésors » du ministre du Trésor. C’est le moins qu’on puisse dire. Si bien que la preuve a été faite, chiffres à l’appui, que toutes les coupes annoncées vont désavantager beaucoup les femmes.

C’est tout juste si on ne leur dit pas de rentrer à la maison comme en 1945, alors qu’elles venaient de découvrir le travail payé et que les autorités leur disaient que les emplois qu’elles occupaient devaient revenir aux soldats de retour de guerre. Elles ont refusé d’obéir cette fois-là.

Depuis longtemps déjà, l’égalité des femmes est inscrite dans les lois et dans la Charte des droits, mais elle a fait souvent piètre figure dans la vie quotidienne. Dans la réalité, l’égalité pour vrai n’existe pas et reste un objectif pour les femmes. L’égalité n’existe pas en ce qui concerne les salaires, pas plus qu’en ce qui a trait aux possibilités d’accéder aux postes supérieurs ou aux lieux de décision, pour lesquels les femmes sont parfaitement qualifiées maintenant, mais elles se heurtent à des portes fermées à double tour.

Les femmes brillent dans les universités, mais pour les postes prestigieux, on continue de rechercher des hommes, affirmant « qu’on s’entend tellement mieux juste entre gars et que les femmes, ça finit toujours par déranger ». J’ai entendu cette phrase si souvent. Malgré les obstacles, nous, on y croyait. L’idée d’égalité faisait son chemin tout doucement et les femmes, qui ont toujours été d’une patience inouïe, espéraient toutes qu’un jour on les reconnaîtrait comme des humaines à part entière en valorisant vraiment l’égalité dont on cesserait de parler comme d’un rêve impossible.

Ça n’a pas inspiré le gouvernement Couillard, hélas. Ses experts des ciseaux ont facilement réduit les services dont les femmes bénéficiaient. Je n’en ferai pas la liste, vous la connaissez déjà. Et vous savez que vous allez devoir trouver des solutions car, du côté du gouvernement, il n’y a pas d’abonné au numéro que vous avez composé. Il y a pourtant des femmes dans ce gouvernement. Elles devraient faire front commun pour défendre les besoins des femmes. Ont-elles le droit de parole ? Il m’arrive de me le demander.

Bien se servir du droit de vote

Le problème, avec le droit de vote, c’est que, même si nous l’avons maintenant depuis 75 ans, en fait, nous avons trop souvent fait la preuve que nous ne savions pas nous en servir. Il est souvent désolant de voir une ruée de femmes autour de la candidature d’un seul homme pour toutes sortes de raisons qui sont difficiles à comprendre. J’ai tellement entendu de femmes affirmer sans rire qu’elles allaient voter pour untel parce que c’était le plus beau, ou le plus fin, ou le plus drôle. Elles devraient savoir qu’on ne peut se servir adéquatement de son vote que si on connaît les engagements du candidat ou de la candidate, ses qualités et ses défauts, la raison de son désir d’accéder au pouvoir, ses projets pour l’avenir de notre société, sa position sur un tas de petits problèmes qui nous empêchent de dormir souvent et pour lesquels on n’a jamais de réponse. C’est pour ça qu’il y a des campagnes électorales. Encore faut-il y porter l’attention nécessaire.

Le monde est de plus en plus petit et tout ce qui se passe sur la planète nous concerne. Inutile de fermer les yeux, la réalité nous talonne. Pour beaucoup d’autres humains, les femmes continuent de représenter le mal, le péché et la souillure. Il a récemment suffi d’un imam pour nous remettre à notre place. Il n’est plus dans un pays étranger, loin de chez nous. Il est à nos portes.

Si peu de progrès…

C’est pourquoi ce 75e anniversaire doit être souligné. Pour que nous reprenions notre souffle encore une fois, afin d’affronter ce que le monde nous annonce. Au XXIe siècle, des femmes à travers le monde sont encore pauvres, non instruites et complètement dépendantes. On les prive de l’éducation nécessaire, on les marie de force ou on les viole comme butin de guerre.

D’autre part, des religions en recrutement veulent nous voiler, nous interdire de montrer un centimètre de peau dans l’espoir de transformer l’animal ignoble que nous sommes en un être soumis.

Toutes les religions ont admis la sexualité de l’homme, ses besoins, ses écarts et ses abus, mais pour la femme, rien, juste la soumission. Si bien que nos acquis gagnés à force de courage et d’entêtement ne devraient pas nous être retirés. Ici, les femmes disent qu’en politique, il y a de l’espoir, que les hommes sont enfin plus ouverts et que le mot « égalité » ne pourrait plus disparaître du vocabulaire courant. Je suis portée à sourire car, soyons honnêtes, les choses ont si peu progressé depuis 50 ans que c’est à pleurer. Nos gains ne sont jamais garantis.

La marche de la libération

Ici comme dans certains autres pays, quelques femmes sont parfois élues lors des élections. Mais aux élections suivantes, au lieu d’augmenter, le nombre d’élues régresse. Nulle part au monde n’a-t-on vu une représentation équitable d’hommes et de femmes à ce jour. Les pays scandinaves sont les plus avancés dans ce domaine. Ce qui a permis un jour, lors d’une conférence des Nations unies à Pékin, en Chine, à Mme Gro HarlemBrundtland, alors première ministre de la Norvège, de dire ces mots : « Dans mon pays, les enfants demandent parfois si un homme pourrait devenir premier ministre. » Ça n’arrive nulle part ailleurs au monde, j’en ai la certitude.

Les programmes des partis politiques sont tricotés si serré que ne passe pas qui veut entre les mailles. On ne laisse passer que les femmes qu’on veut bien avoir. On aura pris soin d’abord d’évaluer si on en a vraiment besoin et si elles sont contrôlables ou pas. Autrement, on les fera échouer sans remords. Et en toute démocratie !

Pour terminer, je vous laisse sur cette citation de Sacha Guitry, homme de théâtre français : « Je suis bien prêt à leur reconnaître qu’elles nous sont supérieures pourvu qu’elles ne se prétendent pas nos égales… »

Debout, les femmes ! La longue marche de la libération continue.


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