Vive le BAPE !

17. Actualité archives 2007

Un nouveau joueur s'est joint, en fin de semaine, au club des pleureuses. L'ancien p.-d.g. d'Hydro-Québec, André Caillé, s'est «vidé le coeur» dans une entrevue à La Presse dans laquelle, entre autres choses, il prône l'abolition du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE).
Or le BAPE est l'une des plus belles innovations démocratiques des trente dernières années.
Le système d'évaluation du BAPE serait trop contraignant, dit-il, et serait l'une des principales causes du ralentissement de la construction de nouveaux barrages hydroélectriques au Québec.
L'entrevue tombe mal. La veille, le Comité provincial d'examen des projets (COMEX), l'équivalent du BAPE pour les territoires couverts par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, dévoilait un avis unanimement favorable à la dérivation de la rivière Rupert pour le projet Eastmain.
En outre, le BAPE n'a pas un pouvoir décisionnel, mais consultatif. Le gouvernement nomme les commissaires et conserve, dans chaque cas, la capacité de passer outre à leurs recommandations.
L'ancien p.-d.g. d'Hydro-Québec préférerait que les députés de l'Assemblée nationale, plutôt que des commissaires, soient chargés de consulter la population et de formuler des recommandations. Les fonctionnaires du ministère de l'Environnement pourraient, selon lui, se charger de faire les études d'impact.
Aux yeux de l'ancien p.-d.g. d'Hydro-Québec, le système du BAPE n'est pas «vraiment démocratique». «La vraie démocratie, dit-il, c'est qu'il faut voter une fois de temps en temps.» À cet égard, M. Caillé est en retard d'un quart de siècle.
Si M. Caillé veut bien s'en remettre aux députés pour déterminer le sort des projets hydroélectriques, il est intéressant de lire ce qu'il dit des élus dans cette même entrevue. Un homme ou une femme politique ne peut pas, selon lui, dire les choses telles qu'elles sont lorsqu'il s'agit, par exemple, de proposer une augmentation des tarifs d'électricité. «Un politicien ne peut pas dire une chose pareille, il se ferait crucifier», dit-il.
Si les élus sont incapables de vérité sur les tarifs, pourquoi seraient-ils mieux préparés à décider du sort d'un barrage contesté?
Pendant de nombreuses années, c'est une commission parlementaire formée de députés qui était chargée d'étudier les demandes de hausses tarifaires d'Hydro-Québec. Chaque fois, cette commission tournait à la mascarade, les députés prenant soin de ne jamais accorder à la société d'État plus que ce que leurs électeurs pouvaient tolérer. C'est notamment pour dépolitiser ce processus que la Régie de l'énergie a été créée. La régie s'appuie sur des données objectives et des critères économiques pour rendre une décision. Elle tient des audiences publiques.
De la même manière, le BAPE évalue les projets de développement en se fondant sur des critères objectifs, sur une analyse scientifique et sur des normes environnementales universellement acceptées. La procédure d'audiences publiques permet aussi de rechercher et, généralement de trouver, un terrain d'entente avec les citoyens directement affectés.
Dans chaque cas, le promoteur doit exposer en toute transparence les impacts environnementaux de son projet, après en avoir démontré l'utilité économique. Les citoyens ont l'occasion de s'informer, de poser des questions au promoteur (qu'il soit public ou privé ne change rien) et, dans une deuxième étape, d'exprimer leur point de vue.
Les commissaires tiennent compte des données scientifiques et des commentaires des citoyens. Ce processus permet d'améliorer le projet, si celui-ci est justifié et si ses impacts sont contrôlables, et donc d'en assurer la réussite, le rendant à la fois plus sûr, moins dommageable pour la nature et plus acceptable pour les humains qui vivront à proximité. Le tout en quelques mois. Une aubaine.
Le BAPE est, en fait, un instrument démocratique d'avant-garde, car il propose une démarche adaptée aux nouvelles exigences de la démocratie moderne.
Depuis quelques décennies, dans tous les secteurs de la société, les formes hiérarchiques et autoritaires de pouvoir s'effacent au profit de la négociation et de la coopération.
Dans le champ politique, cette transformation découle notamment de la perte de crédibilité des institutions de la démocratie représentative. Les élus détiennent toujours la légitimité de décider, mais les citoyens ne leur font pas suffisamment confiance pour leur signer un chèque en blanc entre deux élections.
On a longtemps cherché à compenser ce déficit de confiance par une augmentation des contraintes sur les élus et l'amélioration de la démocratie électorale. Mais en parallèle s'est développé un ensemble de pratiques, de contre-pouvoirs sociaux informels, mais également d'institutions qui sont, comme l'écrit le sociologue Pierre Rosanvallon, «destinés à compenser l'érosion de la confiance par une organisation de la défiance».
Voilà exactement ce que fait le BAPE: il organise la défiance, la suspicion, l'incrédulité des citoyens en canalisant leurs interventions dans un mécanisme neutre, non partisan, fondé sur des données scientifiques fiables et sur la délibération.
Ces différents mécanismes de contre-pouvoirs, de surveillance, d'empêchement et de mise à l'épreuve du jugement, Rosanvallon, l'un des plus grands spécialistes mondiaux du fonctionnement et de l'histoire de la démocratie, propose de les appeler la contre-démocratie, titre de son plus récent ouvrage (publié au Seuil). La contre-démocratie n'est pas le contraire de la démocratie, précise-t-il, elle en est plutôt le prolongement et sert de contrepoids, dans une société du doute, du risque et de l'incertitude, à l'utopie représentative.
Le BAPE est un des meilleurs exemples connus de cette contre-démocratie organisée. Nous aurions intérêt, au lieu d'en souhaiter l'abolition, à nous en inspirer pour évaluer et débattre de tous les grands projets, avant que ceux-ci ne deviennent l'objet de contestations anarchiques et incontrôlables, parfois non fondées mais compréhensibles lorsque des pouvoirs élitistes se mettent en tête d'imposer leurs visées à un peuple incrédule.
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michel.venne@inm.qc.ca

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Michel Venne35 articles

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Directeur général Institut du Nouveau Monde

Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.





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