N'est décidément pas de Gaulle qui veut! Bien sûr, la petite phrase sur la souveraineté du Québec de Ségolène Royal, la candidate socialiste à la présidentielle française de 2007, a provoqué immédiatement chez nous des réactions qui n'étaient pas sans rappeler les suites du grand coup de gueule du général en 1967: stupeur à Québec et indignation à Ottawa. Mais à peu près tout le reste dans l'affaire diffère. La souveraineté n'est pas la priorité des Québécois ces temps-ci, alors que s'affirme une évidence: Mme Royal n'a pas la gravitas de cet homme d'État plus grand que nature qu'était de Gaulle, venu rembourser aux Québécois «la dette de Louis XV» à l'égard de leurs ancêtres livrés aux Anglais.
Si personne ne reprochera à Mme Royal de ne pas être de Gaulle, un certain amateurisme de sa part commence à devenir embarrassant non seulement pour les Français mais aussi pour nous. La candidate socialiste est-elle consciente du poids des mots qu'on prononce quand on aspire à diriger une puissance mondiale comme la France? Les cafouillages s'additionnent: surréaliste déclaration d'admiration pour la rapidité de la justice en Chine, un pays où la peine de mort est appliquée tous les jours; incursion dans le ridicule par l'invention de «la bravitude», en remplacement de la bravoure qui aurait fait son temps. Cela serait attribuable à une campagne menée en solitaire, exagérément décalée par rapport à un Parti socialiste dont le conjoint de Mme Royal est pourtant secrétaire-général.
On est peut-être injuste mais, en regardant Ségolène Royal à la télévision lundi, on avait l'impression qu'elle avait appuyé la souveraineté du Québec entre deux portes et deux réunions, sans y avoir pensé vraiment, sans connaître surtout la complexité des relations Québec-Ottawa-Paris depuis quarante ans. Elle semblait également le faire sans tenir compte des conséquences qu'il y avait à évoquer aussi légèrement, comme si de rien n'était, le démantèlement d'un pays allié de la France, membre comme elle de l'OTAN et du G8.
Parce que le Québec a besoin et aura toujours besoin de la France, on ne peut que se réjouir de la sympathie à notre endroit de la part d'une politicienne française majeure comme Ségolène Royal. Mais dans la mesure où la candidate était sincère - ce dont on n'a pas raison de douter -, on ne peut qu'être attristé par la maladresse de l'expression de cet intérêt. On espère que cela ne lui fut pas soufflé par le chef du Parti québécois, André Boisclair, qu'elle venait tout juste de rencontrer.
Car pour des raisons évidentes, ce genre d'intervention dans les affaires intérieures québécoises et canadiennes n'est pas la bienvenue. Cela n'ajoute rien à la crédibilité d'une éventuelle souveraineté québécoise, rabaissée au niveau de la dernière bourde d'une candidate qui ne vole pas nécessairement vers la victoire. Mais surtout, en rendant le Canada inutilement méfiant à l'égard de la relation privilégiée qui existe entre la France et le Québec, cela nuit à cette relation de même qu'au rôle du Québec sur le plan international. Cela, sans contrepartie ni gain évident pour le Québec ou pour la France.
Ce que les Québécois attendent de leur ancienne mère-patrie en ce qui a trait à leur avenir collectif, c'est tout d'abord cette politique de non-ingérence et de non-indifférence qui a fait ses preuves depuis quarante ans, au travers des différents gouvernements qui se sont succédés à Paris, à Québec et à Ottawa, de gauche ou de droite, fédéralistes comme souverainistes. Ce qu'on attend aussi, c'est la continuation de l'indispensable appui de la France à la place et au rôle du Québec sur la scène internationale. C'est enfin une aide sans faille, le jour où les Québécois auraient souverainement opté pour leur indépendance nationale.
Pour le reste, est-ce trop demander que les politiciens français fassent leurs devoirs s'ils veulent intervenir dans le dossier Québec-France de façon efficace et professionnelle? Ils y verront que «Vive le Québec libre!» a déjà été dit par un grand Français que les Québécois n'ont pas oublié, les deux nations cheminant ensemble depuis comme jamais auparavant. Ils y liront peut-être aussi que la cruciale revalorisation de la vieille interface atlantique de la France - dominée par la relation avec le Royaume-Uni et les États-Unis - est facilitée par l'existence d'une modernité québécoise en français au coeur de l'Amérique du Nord.
Christian Dufour
Professeur à l'ENAP, l'auteur vient de publier Le Défi français - regards croisés sur la France et le Québec (Septentrion, Québec, 2006).
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