Une controverse à l'agonie

Affaire Marois-The Gazette


Aussi bien vous prévenir immédiatement, mesdames et messieurs, ne vous attendez pas à du Décormag. Ce sera plutôt du genre la Revue de droit notarial.

Je comprends votre déception, les journalistes l'ont tous partagée au bord de l'étang par ce petit jeudi pluvieux: il n'y aura pas de visite de château, mais de vieux papiers, présentés par Mme Marois - car si son mari a fait les transactions, c'est Mme Marois qui l'a défendu.
De toute manière, le problème, ce n'est pas le château de Pauline Marois et Claude Blanchet. C'est la terre. Essentiellement, l'article du journaliste William Marsden, dans The Gazette de samedi, soulève deux problèmes.
Premier problème: la manière dont le couple a obtenu la permission de construire sa demeure. Deuxième problème: le fait qu'une portion du terrain clôturé soit une terre publique.
Spéculateurs
Dans les années 70 et 80, Claude Blanchet a travaillé avec d'autres au développement immobilier de l'île Bizard. Il a notamment travaillé pour la société Campeau.
Campeau a acheté en 1974 la terre qui est aujourd'hui celle du couple Marois-Blanchet. L'idée était de construire des maisons sur cette terre agricole qui n'était plus cultivée. Le site, en bordure de la rivière des Prairies, est exceptionnel.
Mais quatre ans plus tard, la Loi sur la protection du territoire agricole entre en vigueur. On ne peut construire sur une terre agricole sauf si on fait changer la classification, si on «dézone». Ou si, tout en conservant officiellement la vocation agricole, on transforme une habitation qui est utilisée au moment de l'entrée en vigueur de la loi.
Abordons tout de suite le deuxième problème: une large bande de ce terrain a été expropriée entre 1978 et 1984, pour l'éventuelle construction de l'autoroute 440. Cela n'a pas eu lieu encore. Cette bande de terre est donc située à l'intérieur du terrain clôturé du couple. Ils ont obtenu la permission d'y construire un muret et ont même payé un loyer à une certaine époque. Maintenant, ils ont un «droit de passage», puisque ce terrain public est entre la route principale et leur maison. Inusité, un peu compliqué, mais apparemment parfaitement légal. Précisons que la maison n'est pas sur une terre publique.
Promoteur aguerri
Retour aux années 80. Les années passent et Claude Blanchet accumule les succès en affaires, tandis que Pauline Marois prend du galon au Parti québécois: députée, puis ministre sous René Lévesque (1981-85), députée de l'opposition de 1989 à 1994, ministre, etc.
M. Blanchet connaît fort bien l'île Bizard. Il connaît aussi fort bien les rouages de la loi. Du «dézonage», il en a fait avant pour ses affaires avec ses associés.
Prête-nom
Au moment où il décide d'acquérir le terrain pour y construire sa maison de rêve, M. Blanchet est président du Fonds de solidarité de la FTQ. Il décide d'utiliser un prête-nom, Henry Walsh, un ami et associé dans certaines affaires. Une entente est signée devant notaire entre les deux le 19 octobre, ou il est dit qu'il «ne serait pas opportun, considérant sa situation d'homme public, qu'il (M. Blanchet) achète personnellement ces terrains».
C'est donc M. Walsh qui les achètera pour 66 000$. Et c'est lui, en 1991, qui tentera de les faire «dézoner». Il présente un projet de fermette et d'écurie, avec une maison, et dépose une expertise qui avance que c'est là le seul réel potentiel agricole de la terre.
Le 18 juin 1991, la Commission de protection du territoire agricole rejette sa demande. À ce jour, en 2007, toute cette terre est encore classée agricole.
Le projet de Claude Blanchet est contrecarré. Mais il un as dans sa manche: il n'a pas besoin de faire changer la vocation de la terre s'il peut démontrer qu'en 1978, il y avait là une maison habitée.
Eurêka, il y a effectivement une cambuse déglinguée, ancien chalet déménagé là par un ancien propriétaire.
La question à 66 000$: était-il habité en 1978?
Cadeau ou récompense?
C'est ici qu'entre en scène M. Marcel Turcotte, 86 ans. L'homme a effectivement loué ce chalet à partir de 1962 pour 15$ par mois. L'endroit n'a pas d'électricité, mais il y restait quand même l'hiver.
Sauf que, on l'a dit, ce terrain a changé de propriétaire en 1974, pour entrer en possession de Campeau.
Dans une déclaration sous serment (affidavit) signée en août 1991, M. Turcotte dit qu'il a continué de résider là jusqu'en 1980. Pourtant, il avait une nouvelle maison, avec l'électricité, à deux minutes de là. Selon le document, il allait coucher à ce chalet «un soir sur deux». Pourquoi? Pour «éviter d'avoir du vandalisme et de me faire voler des matériaux que j'entreposais à proximité du chalet».
Ces matériaux étaient des restes de construction, de la tôle, des carcasses de ski-doo.
Contradictions
Au journaliste William Marsden, M. Turcotte a dit avoir signé l'affidavit sans l'avoir lu. Il a dit qu'il a habité "12 ans" au chalet, mais ne pas se souvenir des années - ce qui nous mène au plus tard en 1974. Sa femme dit qu'ils vivent dans leur maison depuis 1975. Et M. Turcotte a dit au journaliste avoir reçu une récompense pour faire cette déclaration-clé.
- Finf cents piastres, a dit M. Turcotte.
Le journaliste, dont le français n'est pas parfait, a compris "seize cents". The Gazette a reconnu l'erreur et rédigé une rétractation mercredi: c'était cinq cents.
Mais 500 ou 1600, la question n'est pas vraiment là. Hier, Mme Marois a dit qu'il ne s'agissait nullement d'une récompense. M. Turcotte a d'ailleurs signé une autre déclaration sous serment, mercredi, affirmant qu'il maintient celle de 1991 et que "M. Blanchet ne m'a jamais offert d'argent", et lui n'a rien demandé.
Hier, Mme Marois a dit que son mari a offert un cadeau de Noël de 500$ à M. Turcotte, en 1991, un mois et demi après que tout eut été terminé, pour le remercier de sa collaboration, tout simplement.
L'article de The Gazette nous mène à croire qu'il est peu vraisemblable que M. Turcotte ait demeuré dans ce chalet au moment critique. Et que, contre de l'argent, on a trouvé ce témoin pour "améliorer" la réalité. Il y a effectivement de sérieuses questions à se poser, surtout qu'il s'agissait d'une ultime tentative pour pouvoir construire.
Mais à ces questions légitimes et d'intérêt public soulevées par le journaliste, Mme Marois oppose des déclarations sous serment et concordantes des deux meilleurs témoins de l'époque, M. Turcotte et son ancien propriétaire, maintenant mort. Devant la Cour, si on s'y rend, ce sera du béton.
Quant au sens à donner aux 500$, dans la vie comme devant la loi, la bonne foi se présume. L'explication fournie par Mme Marois est plausible. D'autant plus inattaquable qu'une nouvelle déclaration sous serment de M. Turcotte vient sceller cette version.
Un juge, peut-être, aura à dire si le journal a commis une faute. Mais quant à la version du couple Blanchet-Marois sur sa propriété, elle semble désormais inattaquable juridiquement.
Ajoutez à cela qu'avec cette poursuite annoncée, Mme Marois ne fera plus de commentaires (elle en aurait cependant le droit). Et, s'il reste des questions, la controverse vient de mourir de sa belle mort.
Pour joindre notre chroniqueur yves.boisvert@lapresse.ca


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